Psychologues et santé publique, Psychologues & Psychologie, n°204
Je rappellerai, pour mémoire, le constat de départ du dossier précédent : « Si la santé publique n’a pas été enseignée aux psychologues et si celle-ci n’intègre pas la psychologie dansses enseignements, y a-t-il rencontre possible ? Les avancées comme les butées trouvées sur le terrain des pratiques semblent indiquer des confrontations utiles et possibles, encoretrop souvent méconnues ».Ce nouveau dossier prolonge et en même temps approfondit ou complète la richesse del’apport critique des psychologues au champ de la Santé publique, que ce soit en France ou dans d’autres pays : anglo-saxons, Québec, Brésil, Suisse.

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Problèmatique

Les mêmes questions que dans le précédent dossier ont servi de fil rouge à l’argumentaire : «comment prendre encompte la singularité individuelle dans les pratiques en santé publique ? Y a-t-il et comment obligation de lutter contre desfacteurs de risque ? Est-ce compatible avec la liberté et l’expression de la personne ? Qu’est-ce qui est négociable dans cette relation entre le collectif et l’individuel ? Quelle est la part des représentations individuelles et collectives dans le rapport aurisque ? Quelle idée avons-nous de la liberté de l’autre dans nos travaux ? »Anne Golse, sociologue et par ailleurs psychologue praticienne, affirme et démontre à partir du « renouvellementdes assises du savoir médical » en quoi « le savoir de la santé publique se fonde sur la population alors qu’une large partie deson action vise la transformation du comportement de l’individuet de ce fait ce savoir en vient à imposer une pression normative…». Le psychologue est ainsi reconnu comme « acteurde santé par les Pouvoirs publics » mais avec quelle positioncritique ?Elisabeth Donnet-Descartes présente les enjeux des démarches qualité au Québec et en France, les premières se situent du côté de la qualité perçue et donnent place aux savoirs d’expérience, les secondes sont du côté de la satisfaction mesurée en fonction de « la conformité à des modèles externes ». Défendant les « savoirs d’expérience des usagers, particulièrement d’usagers vulnérables », dialoguant avec les représentations des professionnels, l’auteur interroge l’écart entre le droit positif et la réalité concrète obligeant à penser les conditions d’une réelle « révolution culturelle ».Angela Pinto Da Rocha nous fait entrer dans l’univers carcéral par le biais de la nursery. Entre l’univers pénitentiaire et hospitalier, entre l’incarcération d’une femme et la liberté du nourrisson dans un lieu contraint, avec les exigences de protection maternelle et infantile, quels espaces crée rpour donner sens à ces événements de vie complexes ?La création d’une unité mobile mère enfant dont l’auteur a la responsabilité de la coordination, exprime une réponse possible et créative ouvrant sur un véritable de nombreuses questions.Jacqueline Faure, exerçant auprès de patients atteints par l’infection VIH SIDA, décrit un partenariat de plus de 15ans entre une association de réflexion et d’action des communautés africaines et un hôpital parisien. Elle démontre la pertinence de savoirs construits à partir d’interventions telles que le soutien communautaire, la médiation culturelle,la consultation transculturelle. Ce travail a des effets au niveau des professionnels et des migrants concernés mais aussi auprès des tradipraticiens des pays d’origine.Martine Peignier nous présente l’univers de la réanimation et interroge le sens d’une clinique psychologique dans un tel lieu « extrême ». A l’écoute des uns et des autres,dans le respect des compétences de chacun, l’auteur nous conduit, dans les méandres des « espaces interstitiels, intemporels,institutionnels », à la reconnaissance d’une clinique impliquée visant l’amélioration de la qualité des soins et « permettant de réintroduire de la vie dans le quotidien». Le groupe de réflexion PACA « LrA : les réa s’affichent» contribue à transmettre les connaissances acquises au-delà même du service initialement concerné.Thomas Saïas, dans la suite de son article paru dans le dossier précédent, précise l’intérêt de la psychologie communautaire telle que développée principalement aux Etats-Unis et dans certains pays d’Europe (Italie, Angleterre…): « Faire émerger des ressources de santé pérennes non dépendantes des professionnels de santé au sein des communautés », « élaboration de modèles et d’actions de prévention, promotion de la santé et de développement communautaire ». L’auteur nous convie au 7ème congrès européen de psychologie communautaire qui aura lieu pour la 1ère fois en France en 2009.Doris Lieth Peçanha et Maria Helena Rosalini nous invitent
au Brésil où la diversité culturelle s’affirme comme valeur, posant « la différence comme facteur d’innovation et de changement social ». En contre-point, elles interrogent le modèle occidental produisant « l’analphabétisme du sens et des relations interpersonnelles ». Se situant dans une perspective politique, elles présentent une pratique systémique d’intervention communautaire du point de vue théorique et méthodologique afin d’accompagner lespersonnes à plus de citoyenneté.Doris Lieth Peçanha, reprend, avec Katia Mercier, la méthoded’évaluation systémique décrite dans le bulletinprécédent, pour rendre compte d’une nouvelle applicationdans les services psychosociaux et de santé québécois. Desprofessionnels issus de diverses cultures organisationnelleset des gestionnaires sont amenés à penser autrementleur manière de travailler. Interventions, formation, supervisionont conduit au projet de création d’un laboratoireclinique centré sur la famille et pas seulement sur l’enfant.Marie Santiago Delefosse interroge la capacité d’une penséecritique dans les sciences de la santé à partir de 3 courantsanglo-saxons :

• la psychologie de la santé est à dominante cognitivocomportementale, ne portant pas d’intérêt aux expériences vécues ou aux déterminants macro-sociaux,collant au modèle biomédical de rééducation adaptative;

• la « psychologie critique de la santé » s’attache aux travaux ancrés sur les terrains, développe la recherche fondamentale de terrain, porte sa vigilance sur les présupposés idéologiques et « interroge le sens, la fonction et l’éthique du travail du psychologue » ;

• la « psychologie communautaire de la santé » vise l’amélioration de la qualité de vie des personnes et des groupes ; elle reconnaît les dimensions politiques des problèmes et prend appui sur le collectif.L’auteur invite les psychologues français à s’intéresser à ces débats afin de mieux saisir « leur place et leur rôle politico-économique … dans un monde où la mondialisation accroît les impacts des crises macro-sociales sur les individus ». La société internationale de psychologie critique de la santé organise son 6ème colloque sur le thème « Pensée critique en psychologie de la santé » en juillet prochain à Lausanne.

Que chaque auteur soit ici remercié pour son travail et trouve matière à confronter ses hypothèses avec d’autres parcours dans une histoire en pleine construction. Le lecteur découvrira des modes de pensée et d’intervention créatifs, productifs de connaissances …et d’emploi.

Mise en perspective
La santé publique convoque le psychologue à travailler la complexité des objets et des méthodes spécifiques à ce champ. Ce qui suppose pour lui de prendre le risque de l’interdisciplinarité et donc devoir interroger ses outils et ses techniques dans la rencontre des autres disciplines et sous-disciplines. Il ne s’agit pas, pour autant, de céder sur ce qui fait le positionnement éthique du psychologue, comme nous y engage le code de déontologie (1996) : « le respect de la personne humaine dans sa dimension psychique est un droit inaliénable. Sa reconnaissance fonde l’action des psychologues ».

Jacqueline Maillard

Psychologue FPH

Rédigé par Senja STIRN le Lundi 30 Mars 2009 à 16:43