Le métier de psychiatre peut être considéré comme constitué de trois volets :
● Celui de médecin spécialiste, diagnostic, certificat, prescription, (volet 1) et de responsable médico-légal, via une formation clinique, pharmacologique et scientifique appropriée à ces missions.
● Celui de psychothérapeute individuel, de famille ou de groupe (volet 2), comportant de nombreuses approches théorico-pratiques diverses. Les volets 1 et 2 qui concernent plutôt les soins directs, sont plutôt référés à un patient, et s’exercent principalement en présence de celui-ci.
● Celui d’opérateur en santé mentale (volet 3), ou de dirigeant/responsable dans le domaine, via la conception, la promotion, la direction ou la mise en oeuvre d’actions de santé mentale diversifiées et complexes auprès de patients dans le cadre d’activités cliniques, ou bien au bénéfice d’institutions ou de populations dans le cadre d’actions de structure, de projets ou de programmes. Il s’agit d’actions indirectes, de santé publique, non référées à un patient identifié.
Nous pensons que les volets 2 et 3 ne relèvent pas exclusivement du métier de médecin et sont partageables, au titre de démarches personnelles et de formation, par les autres métiers de la santé mentale. Les infirmiers, les éducateurs et leurs cadres respectifs travaillent, de moins en moins exclusivement, dans les hôpitaux ou les institutions. Ils sont de moins en moins gardiens dans les asiles ou les structures éducatives, exercent de façon croissante sur le terrain, au sein de la communauté.
Nombreux parmi eux se montrent de fait, avec l’expérience acquise ou grâce à une formation, d’excellents thérapeutes et opérateurs en santé mentale.
Il en est de même des travailleurs sociaux, qui ont été placés sous une tutelle médico-centrique dès l’instauration de la politique de secteur. Ils ont pourtant été, dès avant son instauration officielle, les premiers et remarquables opérateurs en santé mentale dans la communauté. Ils devraient s’épanouir de nouveau sur ce terrain.
La question des psychologues parait semblable. Même si l’on peut s’interroger sur les aléas d’une formation beaucoup trop théorique, l’expérience montre que, comme pour les autres métiers, ils sont en mesure – ils le montrent quotidiennement – d’être psychothérapeutes et d’animer des programmes de santé mentale. On peut considérer qu’ils sont scandaleusement sous-recrutés et sous-utilisés par rapport aux besoins des patients et des structures qui servent ces derniers, au regard du nombre de psychologues formés et sans emploi. Ce même raisonnement pourrait s’appliquer aux rééducateurs.
La question de la place des médecins généralistes est plus complexe.
Tout d’abord ils délivrent, dans la pratique, des soins et un accompagnement au bénéfice de nombreux patients présentant des troubles avérés, modérés ou légers, pour lesquels ils sont le principal recours. Ce nombre pourrait et devrait s’accroître, y compris pour des cas plus graves, si leur formation initiale à la psychiatrie et à la santé mentale était moins modeste et entretenue régulièrement; s’ils bénéficiaient, de la part du dispositif spécialisé, d’une réponse prompte et systématique, et d’une activité de liaison continue authentique. Ils peuvent exercer dans le secteur public comme internes ou assistants généralistes, mais dans ce cas leur activité n’est reconnue que comme suppléance sous-formée et souspayée d’un dispositif pénurique sur le plan médical. L’expérience montre que cela n’est pas sans retentissement sur le nombre d’indications d’hospitalisation ou sur la durée des séjours, car ces professionnels ont tendance à prendre moins de risques. Au bout de quelques années de formation combinée académique et « sur le tas » ils peuvent, maintenant, devenir psychiatres hospitaliers. C’est une façon déguisée de revenir aux anciens CES sans passer par l’internat.
Les médecins généralistes ont incontestablement accès, comme les autres métiers de la santé mentale, à l’exercice de la psychothérapie et aux missions d’opérateurs en santé mentale, aux mêmes conditions de durée d’exercice et de formation, la question de la déontologie étant réglée pour eux.
Le problème de la délégation ou du transfert de tâches ne se pose pas, uniquement, dans un contexte de pénurie mais, également, parce que les nombreux autres métiers que nous avons évoqués ont accru, au fil de leur expérience et de leur formation initiale plus longue et plus approfondie qu’il y a vingt ou trente ans, savoir faire et compétences. Ceci rend plus contestable encore leur subordination complète aux psychiatres dans les actions psychothérapiques et de programme. Malgré les démentis, c’est une situation caricaturale encore souvent rencontrée dans le secteur public.
C’est pourquoi nous préconisons la voie qui consiste à permettre aux médecins psychiatres de continuer l’exercice des trois volets de leur métier, tout en ouvrant explicitement l’accès des autres métiers de la santé mentale aux volets 2 et 3. Il s’agit de pérenniser et de consolider l’apport des médecins au sein de la psychiatrie et de la santé mentale, sans les « rabattre » exclusivement sur le volet 1 du diagnostic et de l’expertise.
Cette évolution, si elle est retenue, doit s’accompagner d’un cadre juridique qui assure des garanties de qualité de contenu de formation, d’obligation dans la déontologie et de clarté dans la responsabilité pour les autres métiers, ainsi que de mesures organisationnelles susceptibles de mieux identifier les équilibres entre les métiers. Enfin, on voit mal comment cette responsabilité accrue pourrait être reconnue sans sa contrepartie en matière de rémunération. Ce dernier point représente une condition de l’assouplissement des acteurs et de la réussite du transfert de tâches.
La formation elle-même, pour assurer des métiers et des pratiques renouvelés, au sein d’un équilibre entre les métiers, transformé et clarifié, doit évoluer.
● Pour les psychiatres il s’agit de rendre obligatoire, ou de consolider, dès la formation initiale et, à défaut, pour les psychiatres déjà en exercice qui ne la possèderaient pas, par le biais de la FMC ou d’autres formules, l’apprentissage d’au moins un modèle d’expérience psychothérapeutique ou sociothérapique comportant, pour le praticien, la reconnaissance d’une qualification professionnelle et, pour l’usager, l’information adéquate. Cela concerne aussi bien le travail avec les familles, les couples ou les systèmes micro-sociaux plus larges. On ne peut se contenter en effet, à l’heure actuelle, d’un apprentissage complètement à titre privé ou isolé, « sur le tas », sans compagnonnage ou formation authentiques reconnus et valorisés, la question étant balayée car le psychiatre est considéré, de droit, comme psychothérapeute, ce dont l’expérience ne rend pas compte. Pour ce qui concerne le volet d’opérateur en santé mentale, les exigences sont analogues : doit-on, en effet, attendre qu’un praticien ait accumulé dix à quinze ans d’expérience sur le terrain, pour qu’on pense qu’il soit capable d’animer et de mettre en oeuvre efficacement un programme basique, généraliste, sectoriel, de santé mentale dans la communauté, ou de participer à des programmes d’action davantage thématiques, mono, multi, ou supra-sectoriels, en partenariat avec des dispositifs sanitaires et non sanitaires (urgence-crise, liaison sociale et médico-sociale, suicide, éducation sanitaire, détection précoce, travail avec les patients difficiles, au long cours, prévention des phénomènes de « porte tournante »). Comme pour le reste, cet apprentissage ne peut s’improviser sur le terrain, au gré de contraintes locales ou d’appétences personnelles. Il doit faire l’objet d’une formation stabilisée, reconnue et évaluable.
● Pour les non-médecins, on peut développer des considérations identiques.
Des garanties de durée d’exercice, d’accréditation pédagogique et des obligations déontologiques sont indispensables. Le droit et l’organisation des services devraient être réévalués pour faciliter ou clarifier les espaces de changement, trancher des dilemmes organisationnels, clarifier les règles de responsabilité.
Il s’agit ici, sans renoncer à la qualification du métier d’origine, de reconnaître
officiellement des fonctions qui ne s’inscrivent pas actuellement dans la diversité hospitalière des métiers, en partie ou en totalité : psychothérapeutes et opérateurs en santé mentale. Les personnels nonmédicaux accrédités à ces fonctions se verraient reconnaître, au sein des services où ils travaillent :
– la capacité à exercer effectivement une activité de psychothérapeute ou d’opérateur en santé mentale, dans le respect de l’organisation du service, sous la responsabilité ou la supervision du responsable médical ou d’une personne mandatée à cet effet ;
– cette capacité serait liée au professionnel accrédité dans ce ou ces domaines, reconnue et respectée dans sa compétence technique et indépendante du « bon vouloir » hiérarchique ou idéologique du médecinchef de service, y compris par la transposabilité de cette reconnaissance d’un service à un autre ;
– cette capacité pourrait s’accompagner, autant que nécessaire, de la délégation d’autorité de la part du responsable médical, indispensable à la mise en oeuvre de la mission d’opérateur (responsabilité de programmes ou d’actions thématiques au sein d’un service ou d’un secteur).
On n’est plus très éloigné d’une fonction d’encadrement… et de ses conséquences en termes de rémunération.
Gérard Massé1 et Serge Kannas2
1. Psychiatre, PH, chef de service au centre hospitalier Sainte-Anne (Paris), MNASM.
2. Psychiatre, PH, MNASM.
Pluriels* n°59, "La démographie médicale en psychiatrie", Juin 2006
* La Lettre de la Mission nationale d'appui en santé mentale
Pour plus d'informations sur la Mission, RDV à la rubrique "Mailings"
● Celui de médecin spécialiste, diagnostic, certificat, prescription, (volet 1) et de responsable médico-légal, via une formation clinique, pharmacologique et scientifique appropriée à ces missions.
● Celui de psychothérapeute individuel, de famille ou de groupe (volet 2), comportant de nombreuses approches théorico-pratiques diverses. Les volets 1 et 2 qui concernent plutôt les soins directs, sont plutôt référés à un patient, et s’exercent principalement en présence de celui-ci.
● Celui d’opérateur en santé mentale (volet 3), ou de dirigeant/responsable dans le domaine, via la conception, la promotion, la direction ou la mise en oeuvre d’actions de santé mentale diversifiées et complexes auprès de patients dans le cadre d’activités cliniques, ou bien au bénéfice d’institutions ou de populations dans le cadre d’actions de structure, de projets ou de programmes. Il s’agit d’actions indirectes, de santé publique, non référées à un patient identifié.
Nous pensons que les volets 2 et 3 ne relèvent pas exclusivement du métier de médecin et sont partageables, au titre de démarches personnelles et de formation, par les autres métiers de la santé mentale. Les infirmiers, les éducateurs et leurs cadres respectifs travaillent, de moins en moins exclusivement, dans les hôpitaux ou les institutions. Ils sont de moins en moins gardiens dans les asiles ou les structures éducatives, exercent de façon croissante sur le terrain, au sein de la communauté.
Nombreux parmi eux se montrent de fait, avec l’expérience acquise ou grâce à une formation, d’excellents thérapeutes et opérateurs en santé mentale.
Il en est de même des travailleurs sociaux, qui ont été placés sous une tutelle médico-centrique dès l’instauration de la politique de secteur. Ils ont pourtant été, dès avant son instauration officielle, les premiers et remarquables opérateurs en santé mentale dans la communauté. Ils devraient s’épanouir de nouveau sur ce terrain.
La question des psychologues parait semblable. Même si l’on peut s’interroger sur les aléas d’une formation beaucoup trop théorique, l’expérience montre que, comme pour les autres métiers, ils sont en mesure – ils le montrent quotidiennement – d’être psychothérapeutes et d’animer des programmes de santé mentale. On peut considérer qu’ils sont scandaleusement sous-recrutés et sous-utilisés par rapport aux besoins des patients et des structures qui servent ces derniers, au regard du nombre de psychologues formés et sans emploi. Ce même raisonnement pourrait s’appliquer aux rééducateurs.
La question de la place des médecins généralistes est plus complexe.
Tout d’abord ils délivrent, dans la pratique, des soins et un accompagnement au bénéfice de nombreux patients présentant des troubles avérés, modérés ou légers, pour lesquels ils sont le principal recours. Ce nombre pourrait et devrait s’accroître, y compris pour des cas plus graves, si leur formation initiale à la psychiatrie et à la santé mentale était moins modeste et entretenue régulièrement; s’ils bénéficiaient, de la part du dispositif spécialisé, d’une réponse prompte et systématique, et d’une activité de liaison continue authentique. Ils peuvent exercer dans le secteur public comme internes ou assistants généralistes, mais dans ce cas leur activité n’est reconnue que comme suppléance sous-formée et souspayée d’un dispositif pénurique sur le plan médical. L’expérience montre que cela n’est pas sans retentissement sur le nombre d’indications d’hospitalisation ou sur la durée des séjours, car ces professionnels ont tendance à prendre moins de risques. Au bout de quelques années de formation combinée académique et « sur le tas » ils peuvent, maintenant, devenir psychiatres hospitaliers. C’est une façon déguisée de revenir aux anciens CES sans passer par l’internat.
Les médecins généralistes ont incontestablement accès, comme les autres métiers de la santé mentale, à l’exercice de la psychothérapie et aux missions d’opérateurs en santé mentale, aux mêmes conditions de durée d’exercice et de formation, la question de la déontologie étant réglée pour eux.
Le problème de la délégation ou du transfert de tâches ne se pose pas, uniquement, dans un contexte de pénurie mais, également, parce que les nombreux autres métiers que nous avons évoqués ont accru, au fil de leur expérience et de leur formation initiale plus longue et plus approfondie qu’il y a vingt ou trente ans, savoir faire et compétences. Ceci rend plus contestable encore leur subordination complète aux psychiatres dans les actions psychothérapiques et de programme. Malgré les démentis, c’est une situation caricaturale encore souvent rencontrée dans le secteur public.
C’est pourquoi nous préconisons la voie qui consiste à permettre aux médecins psychiatres de continuer l’exercice des trois volets de leur métier, tout en ouvrant explicitement l’accès des autres métiers de la santé mentale aux volets 2 et 3. Il s’agit de pérenniser et de consolider l’apport des médecins au sein de la psychiatrie et de la santé mentale, sans les « rabattre » exclusivement sur le volet 1 du diagnostic et de l’expertise.
Cette évolution, si elle est retenue, doit s’accompagner d’un cadre juridique qui assure des garanties de qualité de contenu de formation, d’obligation dans la déontologie et de clarté dans la responsabilité pour les autres métiers, ainsi que de mesures organisationnelles susceptibles de mieux identifier les équilibres entre les métiers. Enfin, on voit mal comment cette responsabilité accrue pourrait être reconnue sans sa contrepartie en matière de rémunération. Ce dernier point représente une condition de l’assouplissement des acteurs et de la réussite du transfert de tâches.
La formation elle-même, pour assurer des métiers et des pratiques renouvelés, au sein d’un équilibre entre les métiers, transformé et clarifié, doit évoluer.
● Pour les psychiatres il s’agit de rendre obligatoire, ou de consolider, dès la formation initiale et, à défaut, pour les psychiatres déjà en exercice qui ne la possèderaient pas, par le biais de la FMC ou d’autres formules, l’apprentissage d’au moins un modèle d’expérience psychothérapeutique ou sociothérapique comportant, pour le praticien, la reconnaissance d’une qualification professionnelle et, pour l’usager, l’information adéquate. Cela concerne aussi bien le travail avec les familles, les couples ou les systèmes micro-sociaux plus larges. On ne peut se contenter en effet, à l’heure actuelle, d’un apprentissage complètement à titre privé ou isolé, « sur le tas », sans compagnonnage ou formation authentiques reconnus et valorisés, la question étant balayée car le psychiatre est considéré, de droit, comme psychothérapeute, ce dont l’expérience ne rend pas compte. Pour ce qui concerne le volet d’opérateur en santé mentale, les exigences sont analogues : doit-on, en effet, attendre qu’un praticien ait accumulé dix à quinze ans d’expérience sur le terrain, pour qu’on pense qu’il soit capable d’animer et de mettre en oeuvre efficacement un programme basique, généraliste, sectoriel, de santé mentale dans la communauté, ou de participer à des programmes d’action davantage thématiques, mono, multi, ou supra-sectoriels, en partenariat avec des dispositifs sanitaires et non sanitaires (urgence-crise, liaison sociale et médico-sociale, suicide, éducation sanitaire, détection précoce, travail avec les patients difficiles, au long cours, prévention des phénomènes de « porte tournante »). Comme pour le reste, cet apprentissage ne peut s’improviser sur le terrain, au gré de contraintes locales ou d’appétences personnelles. Il doit faire l’objet d’une formation stabilisée, reconnue et évaluable.
● Pour les non-médecins, on peut développer des considérations identiques.
Des garanties de durée d’exercice, d’accréditation pédagogique et des obligations déontologiques sont indispensables. Le droit et l’organisation des services devraient être réévalués pour faciliter ou clarifier les espaces de changement, trancher des dilemmes organisationnels, clarifier les règles de responsabilité.
Il s’agit ici, sans renoncer à la qualification du métier d’origine, de reconnaître
officiellement des fonctions qui ne s’inscrivent pas actuellement dans la diversité hospitalière des métiers, en partie ou en totalité : psychothérapeutes et opérateurs en santé mentale. Les personnels nonmédicaux accrédités à ces fonctions se verraient reconnaître, au sein des services où ils travaillent :
– la capacité à exercer effectivement une activité de psychothérapeute ou d’opérateur en santé mentale, dans le respect de l’organisation du service, sous la responsabilité ou la supervision du responsable médical ou d’une personne mandatée à cet effet ;
– cette capacité serait liée au professionnel accrédité dans ce ou ces domaines, reconnue et respectée dans sa compétence technique et indépendante du « bon vouloir » hiérarchique ou idéologique du médecinchef de service, y compris par la transposabilité de cette reconnaissance d’un service à un autre ;
– cette capacité pourrait s’accompagner, autant que nécessaire, de la délégation d’autorité de la part du responsable médical, indispensable à la mise en oeuvre de la mission d’opérateur (responsabilité de programmes ou d’actions thématiques au sein d’un service ou d’un secteur).
On n’est plus très éloigné d’une fonction d’encadrement… et de ses conséquences en termes de rémunération.
Gérard Massé1 et Serge Kannas2
1. Psychiatre, PH, chef de service au centre hospitalier Sainte-Anne (Paris), MNASM.
2. Psychiatre, PH, MNASM.
Pluriels* n°59, "La démographie médicale en psychiatrie", Juin 2006
* La Lettre de la Mission nationale d'appui en santé mentale
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