Extraits :
De fait, alors que la situation de la France reste globalement très favorable, la densité moyenne des psychiatres est très élevée et a encore augmenté en 2004, la disparité de leur répartition dans les régions, les départements et surtout au sein de zones rurales, infra départementales, est devenue telle que le territoire national laisse désormais apparaître de véritables « zones blanches » ; il s'agit de cantons ou d'arrondissements, de secteurs, au sens de la sectorisation psychiatrique, où la présence médicale est d'ores et déjà devenue insuffisante pour assurer le maintien de la politique de secteur telle que voulue depuis 1960 ; ne rien imaginer de novateur – et de préventif – équivaut à laisser s'effondrer insidieusement tout un pan de notre système sanitaire avec, rapidement, des conséquences, d'ailleurs déjà visibles : malades errants de plus en plus nombreux, institutions d'hébergement de personnes âgées de plus en plus isolées, familles de malades se sentant abandonnées face à leurs difficultés.
Les présentes propositions se fondent donc sur les observations que la Mission nationale d'appui en santé mentale a pu faire dans ses rapports portant sur près des deux tiers des départements français : ... minimum jugé nécessaire (on considère qu'un secteur de l'ordre de 70 000 à 100 000 habitants doit disposer d'un effectif moyen de cinq à sept praticiens hospitaliers pour offrir toute la palette de réponses, et fonctionne difficilement au-dessous de quatre ETP, ce qui correspond à un peu plus de trois ETP de présence réelle sur toute l’année) ; ...
... améliorer le rôle et la formation des médecins généralistes, qui sont souvent le premier recours, est donc essentiel.
...
Ce travail de la Mission nationale d’appui en santé mentale se borne donc à proposer des mesures concernant l'organisation des services, dans l'objectif de procéder à des expériences de remaniement du dispositif de prise en charge sur le fondement de l'article 131 de la loi du 9 août 2004 (pour les questions de compétence médicale) et des articles 6 et 8, alinéa XVI, de l'ordonnance du 04 septembre 2003 (pour ce qui est de la réorganisation, à titre expérimental, des soins). Le périmètre de l'expérience pourrait, conformément à la loi, être déterminé dans le(s) texte(s) fixant le statut juridique de cette expérience. La Mission nationale d'appui en santé mentale pourrait très rapidement faire des propositions à ce sujet et assurer, sur le fondement d'une saisine appropriée, l'évaluation de l'efficacité de ce dispositif remanié.
Quatre mesures semblent de nature à stabiliser la situation :
– l'organisation, dans le champ de la santé mentale, du transfert de compétences entre les professionnels ;
– la création de centres de régulation des appels téléphoniques concernant des demandes de prise en charge psychiatrique ;
– la modification des règles d'affectation des praticiens hospitaliers au profit du territoire de santé ;
– l'installation de réseaux de soins à distance (télé-psychiatrie).
1. L'organisation du transfert de compétence
Dans les départements où la crise de recrutement de nouveaux psychiatres remplaçant les départs (Ardèche, Deux-Sèvres, Eure, Guadeloupe, Seine-Maritime, etc.) est la plus aiguë, une des possibilités palliatives consiste à organiser le transfert des compétences des médecins vers d'autres professionnels. En effet, les textes successifs créant, depuis 1960, le secteur psychiatrique, ont fait du chef de service un véritable homme-orchestre : il établit les diagnostics, détermine les prescriptions, assure également le suivi thérapeutique au long cours (plusieurs mois voire plusieurs années), et joue enfin un rôle d'opérateur de soins pour établir les liens avec d'autres structures sociales et médico-sociales, de manière à fixer la meilleure trajectoire de soins pour les patients. Il s'agit donc d'un véritable challenge qui peut se transformer en pari impossible quand le nombre de médecins se réduit : il est donc temps de faire face résolument à cette situation d'autant que, la pénurie alimentant la pénurie, le temps joue contre toute tentation d'immobilisme.
Il s'agit donc, dans les départements champs de l'expérience, d'établir réglementairement la distinction entre les tâches a priori non transférables (diagnostic et prescriptions) et celles qui peuvent l'être (suivi des patients au long cours, prises en charge par psychothérapie de certains patients, rôle d'opérateur de soins). La délégation devra prévoir les professions bénéficiaires du transfert pour chacune des responsabilités : il s'agit, pour l'essentiel, des cadres infirmiers, dans certains cas des infirmiers, des psychologues, des cadres socio éducatifs.
Le texte à prévoir devra s'inscrire dans la continuité de l'arrêté du 13 décembre 2004, qui prévoit ce transfert de compétence pour d'autres corps de métiers du soin (au demeurant moins déployés dans l'espace et moins atteints par la pénurie que ne le sont les activités de la psychiatrie).
2. La création de centres de régulation des appels.
... Ce centre ayant une activité de régulation pourrait se créer par transformation ou reconversion d'un centre médico-psychologique ; il pourra le cas échéant disposer du standard téléphonique du centre hospitalier spécialisé ; dans tous les cas sa mission sera d'écouter et d'orienter l'appel, selon sa nature, vers les structures existantes.
...
3. La modification des règles d'affectation des praticiens.
.................
Des transferts à quelles conditions ?
Le métier de psychiatre peut être considéré comme constitué de trois volets :
* Celui de médecin spécialiste, diagnostic, certificat, prescription, (volet 1) et de responsable médico-légal, via une formation clinique, pharmacologique et scientifique appropriée à ces missions.
* Celui de psychothérapeute individuel, de famille ou de groupe (volet 2), comportant de nombreuses approches théorico-pratiques diverses.
Les volets 1 et 2 qui concernent plutôt les soins directs, sont plutôt réfréférés à un patient, et s’exercent principalement en présence de celui-ci.
* Celui d’opérateur en santé mentale (volet 3), ou de dirigeant/responsable dans le domaine, via la conception, la promotion, la direction ou la mise en oeuvre d’actions de santé mentale diversifiées et complexes auprès de patients dans le cadre d’activités cliniques, ou bien au bénéfice d’institutions ou de populations dans le cadre d’actions de structure, de projets ou de programmes. Il s’agit d’actions indirectes, de santé publique, non référées à un patient identifié.
Nous pensons que les volets 2 et 3 ne relèvent pas exclusivement du métier de médecin et sont partageables, au titre de démarches personnelles et de formation, par les autres métiers de la santé mentale.
Les infirmiers, les éducateurs et leurs cadres respectifs ... nombreux parmi eux se montrent de fait, avec l’expérience acquise ou grâce à une formation, d’excellents thérapeutes et opérateurs en santé mentale.
Il en est de même des travailleurs sociaux, qui ont été placés sous une tutelle médico-centrique dès l’instauration de la politique de secteur.
...
La question des psychologues parait semblable. Même si l’on peut s’interroger sur les aléas d’une formation beaucoup trop théorique, l’expérience montre que, comme pour les autres métiers, ils sont en mesure – ils le montrent quotidiennement – d’être psychothérapeutes et d’animer des programmes de santé mentale. On peut considérer qu’ils sont scandaleusement sous-recrutés et sous-utilisés par rapport aux besoins des patients et des structures qui servent ces derniers, au regard du nombre de psychologues formés et sans emploi. Ce même raisonnement pourrait s’appliquer aux rééducateurs.
La question de la place des médecins généralistes est plus complexe. ... Les médecins généralistes ont incontestablement accès, comme les autres métiers de la santé mentale, à l’exercice de la psychothérapie et aux missions d’opérateurs en santé mentale, aux mêmes conditions de durée d’exercice et de formation, la question de la déontologie étant réglée pour eux.
Le problème de la délégation ou du transfert de tâches ne se pose pas, uniquement, dans un contexte de pénurie mais, également, parce que les nombreux autres métiers que nous avons évoqués ont accru, au fil de leur expérience et de leur formation initiale plus longue et plus approfondie qu’il y a vingt ou trente ans, savoir faire et compétences. Ceci rend plus contestable encore leur subordination complète aux psychiatres dans les actions psychothérapiques et de programme. Malgré les démentis, c’est une situation caricaturale encore souvent rencontrée dans le secteur public.
C’est pourquoi nous préconisons la voie qui consiste à permettre aux médecins psychiatres de continuer l’exercice des trois volets de leur métier, tout en ouvrant explicitement l’accès des autres métiers de la santé mentale aux volets 2 et 3. ... Cette évolution, si elle est retenue, doit s’accompagner d’un cadre juridique qui assure des garanties de qualité de contenu de formation, d’obligation dans la déontologie et de clarté dans la responsabilité pour les autres métiers, ainsi que de mesures organisationnelles susceptibles de mieux identifier les équilibres entre les métiers. Enfin, on voit mal comment cette responsabilité accrue pourrait être reconnue sans sa contrepartie en matière de rémunération. Ce dernier point représente une condition de l’assouplissement des acteurs et de la réussite du transfert de tâches.
La formation elle-même, pour assurer des métiers et des pratiques renouvelés, au sein d’un équilibre entre les métiers, transformé et clarifié, doit évoluer.
● Pour les psychiatres il s’agit de rendre obligatoire, ou de consolider, dès la formation initiale et, à défaut, pour les psychiatres déjà en exercice qui ne la possèderaient pas, par le biais de la FMC ou d’autres formules, l’apprentissage d’au moins un modèle d’expérience psychothérapeutique ou sociothérapique comportant, pour le praticien, la reconnaissance d’une qualification professionnelle et, pour l’usager, l’information adéquate. Cela concerne aussi bien le travail avec les familles, les couples ou les systèmes micro-sociaux plus larges. On ne peut se contenter en effet, à l’heure actuelle, d’un apprentissage complètement à titre privé ou isolé, « sur le tas », sans compagnonnage ou formation authentiques reconnus et valorisés, la question étant balayée car le psychiatre est considéré, de droit, comme psychothérapeute, ce dont l’expérience ne rend pas compte. Pour ce qui concerne le volet d’opérateur en santé mentale, les exigences sont analogues : ... Comme pour le reste, cet apprentissage ne peut s’improviser sur le terrain, au gré de contraintes locales ou d’appétences personnelles. Il doit faire l’objet d’une formation stabilisée, reconnue et évaluable.
● Pour les non-médecins, on peut développer des considérations identiques. Des garanties de durée d’exercice, d’accréditation pédagogique et des obligations déontologiques sont indispensables. Le droit et l’organisation des services devraient être réévalués pour faciliter ou clarifier les espaces de changement, trancher des dilemmes organisationnels, clarifier les règles de responsabilité.
Il s’agit ici, sans renoncer à la qualification du métier d’origine, de reconnaître officiellement des fonctions qui ne s’inscrivent pas actuellement dans la diversité hospitalière des métiers, en partie ou en totalité : psychothérapeutes et opérateurs en santé mentale. Les personnels nonmédicaux accrédités à ces fonctions se verraient reconnaître, au sein des services où ils travaillent :
– la capacité à exercer effectivement une activité de psychothérapeute ou d’opérateur en santé mentale, dans le respect de l’organisation du service, sous la responsabilité ou la supervision du responsable médical ou d’une personne mandatée à cet effet ;
– cette capacité serait liée au professionnel accrédité dans ce ou ces domaines, reconnue et respectée dans sa compétence technique et indépendante du « bon vouloir » hiérarchique ou idéologique du médecinchef de service, y compris par la transposabilité de cette reconnaissance d’un service à un autre ;
– cette capacité pourrait s’accompagner, autant que nécessaire, de la délégation d’autorité de la part du responsable médical, indispensable à la mise en oeuvre de la mission d’opérateur (responsabilité de programmes ou d’actions thématiques au sein d’un service ou d’un secteur).
On n’est plus très éloigné d’une fonction d’encadrement… et de ses conséquences en termes de rémunération.
Gérard Massé (Psychiatre, PH, chef de service au centre hospitalier Sainte-Anne, Paris, MNASM) et Serge Kannas (Psychiatre, PH, MNASM. Syndicats médicaux).
Source : Pluriels n°59, juin 2006, revue de la MNASM (Mission nationale d'appui en santé mentale
De fait, alors que la situation de la France reste globalement très favorable, la densité moyenne des psychiatres est très élevée et a encore augmenté en 2004, la disparité de leur répartition dans les régions, les départements et surtout au sein de zones rurales, infra départementales, est devenue telle que le territoire national laisse désormais apparaître de véritables « zones blanches » ; il s'agit de cantons ou d'arrondissements, de secteurs, au sens de la sectorisation psychiatrique, où la présence médicale est d'ores et déjà devenue insuffisante pour assurer le maintien de la politique de secteur telle que voulue depuis 1960 ; ne rien imaginer de novateur – et de préventif – équivaut à laisser s'effondrer insidieusement tout un pan de notre système sanitaire avec, rapidement, des conséquences, d'ailleurs déjà visibles : malades errants de plus en plus nombreux, institutions d'hébergement de personnes âgées de plus en plus isolées, familles de malades se sentant abandonnées face à leurs difficultés.
Les présentes propositions se fondent donc sur les observations que la Mission nationale d'appui en santé mentale a pu faire dans ses rapports portant sur près des deux tiers des départements français : ... minimum jugé nécessaire (on considère qu'un secteur de l'ordre de 70 000 à 100 000 habitants doit disposer d'un effectif moyen de cinq à sept praticiens hospitaliers pour offrir toute la palette de réponses, et fonctionne difficilement au-dessous de quatre ETP, ce qui correspond à un peu plus de trois ETP de présence réelle sur toute l’année) ; ...
... améliorer le rôle et la formation des médecins généralistes, qui sont souvent le premier recours, est donc essentiel.
...
Ce travail de la Mission nationale d’appui en santé mentale se borne donc à proposer des mesures concernant l'organisation des services, dans l'objectif de procéder à des expériences de remaniement du dispositif de prise en charge sur le fondement de l'article 131 de la loi du 9 août 2004 (pour les questions de compétence médicale) et des articles 6 et 8, alinéa XVI, de l'ordonnance du 04 septembre 2003 (pour ce qui est de la réorganisation, à titre expérimental, des soins). Le périmètre de l'expérience pourrait, conformément à la loi, être déterminé dans le(s) texte(s) fixant le statut juridique de cette expérience. La Mission nationale d'appui en santé mentale pourrait très rapidement faire des propositions à ce sujet et assurer, sur le fondement d'une saisine appropriée, l'évaluation de l'efficacité de ce dispositif remanié.
Quatre mesures semblent de nature à stabiliser la situation :
– l'organisation, dans le champ de la santé mentale, du transfert de compétences entre les professionnels ;
– la création de centres de régulation des appels téléphoniques concernant des demandes de prise en charge psychiatrique ;
– la modification des règles d'affectation des praticiens hospitaliers au profit du territoire de santé ;
– l'installation de réseaux de soins à distance (télé-psychiatrie).
1. L'organisation du transfert de compétence
Dans les départements où la crise de recrutement de nouveaux psychiatres remplaçant les départs (Ardèche, Deux-Sèvres, Eure, Guadeloupe, Seine-Maritime, etc.) est la plus aiguë, une des possibilités palliatives consiste à organiser le transfert des compétences des médecins vers d'autres professionnels. En effet, les textes successifs créant, depuis 1960, le secteur psychiatrique, ont fait du chef de service un véritable homme-orchestre : il établit les diagnostics, détermine les prescriptions, assure également le suivi thérapeutique au long cours (plusieurs mois voire plusieurs années), et joue enfin un rôle d'opérateur de soins pour établir les liens avec d'autres structures sociales et médico-sociales, de manière à fixer la meilleure trajectoire de soins pour les patients. Il s'agit donc d'un véritable challenge qui peut se transformer en pari impossible quand le nombre de médecins se réduit : il est donc temps de faire face résolument à cette situation d'autant que, la pénurie alimentant la pénurie, le temps joue contre toute tentation d'immobilisme.
Il s'agit donc, dans les départements champs de l'expérience, d'établir réglementairement la distinction entre les tâches a priori non transférables (diagnostic et prescriptions) et celles qui peuvent l'être (suivi des patients au long cours, prises en charge par psychothérapie de certains patients, rôle d'opérateur de soins). La délégation devra prévoir les professions bénéficiaires du transfert pour chacune des responsabilités : il s'agit, pour l'essentiel, des cadres infirmiers, dans certains cas des infirmiers, des psychologues, des cadres socio éducatifs.
Le texte à prévoir devra s'inscrire dans la continuité de l'arrêté du 13 décembre 2004, qui prévoit ce transfert de compétence pour d'autres corps de métiers du soin (au demeurant moins déployés dans l'espace et moins atteints par la pénurie que ne le sont les activités de la psychiatrie).
2. La création de centres de régulation des appels.
... Ce centre ayant une activité de régulation pourrait se créer par transformation ou reconversion d'un centre médico-psychologique ; il pourra le cas échéant disposer du standard téléphonique du centre hospitalier spécialisé ; dans tous les cas sa mission sera d'écouter et d'orienter l'appel, selon sa nature, vers les structures existantes.
...
3. La modification des règles d'affectation des praticiens.
.................
Des transferts à quelles conditions ?
Le métier de psychiatre peut être considéré comme constitué de trois volets :
* Celui de médecin spécialiste, diagnostic, certificat, prescription, (volet 1) et de responsable médico-légal, via une formation clinique, pharmacologique et scientifique appropriée à ces missions.
* Celui de psychothérapeute individuel, de famille ou de groupe (volet 2), comportant de nombreuses approches théorico-pratiques diverses.
Les volets 1 et 2 qui concernent plutôt les soins directs, sont plutôt réfréférés à un patient, et s’exercent principalement en présence de celui-ci.
* Celui d’opérateur en santé mentale (volet 3), ou de dirigeant/responsable dans le domaine, via la conception, la promotion, la direction ou la mise en oeuvre d’actions de santé mentale diversifiées et complexes auprès de patients dans le cadre d’activités cliniques, ou bien au bénéfice d’institutions ou de populations dans le cadre d’actions de structure, de projets ou de programmes. Il s’agit d’actions indirectes, de santé publique, non référées à un patient identifié.
Nous pensons que les volets 2 et 3 ne relèvent pas exclusivement du métier de médecin et sont partageables, au titre de démarches personnelles et de formation, par les autres métiers de la santé mentale.
Les infirmiers, les éducateurs et leurs cadres respectifs ... nombreux parmi eux se montrent de fait, avec l’expérience acquise ou grâce à une formation, d’excellents thérapeutes et opérateurs en santé mentale.
Il en est de même des travailleurs sociaux, qui ont été placés sous une tutelle médico-centrique dès l’instauration de la politique de secteur.
...
La question des psychologues parait semblable. Même si l’on peut s’interroger sur les aléas d’une formation beaucoup trop théorique, l’expérience montre que, comme pour les autres métiers, ils sont en mesure – ils le montrent quotidiennement – d’être psychothérapeutes et d’animer des programmes de santé mentale. On peut considérer qu’ils sont scandaleusement sous-recrutés et sous-utilisés par rapport aux besoins des patients et des structures qui servent ces derniers, au regard du nombre de psychologues formés et sans emploi. Ce même raisonnement pourrait s’appliquer aux rééducateurs.
La question de la place des médecins généralistes est plus complexe. ... Les médecins généralistes ont incontestablement accès, comme les autres métiers de la santé mentale, à l’exercice de la psychothérapie et aux missions d’opérateurs en santé mentale, aux mêmes conditions de durée d’exercice et de formation, la question de la déontologie étant réglée pour eux.
Le problème de la délégation ou du transfert de tâches ne se pose pas, uniquement, dans un contexte de pénurie mais, également, parce que les nombreux autres métiers que nous avons évoqués ont accru, au fil de leur expérience et de leur formation initiale plus longue et plus approfondie qu’il y a vingt ou trente ans, savoir faire et compétences. Ceci rend plus contestable encore leur subordination complète aux psychiatres dans les actions psychothérapiques et de programme. Malgré les démentis, c’est une situation caricaturale encore souvent rencontrée dans le secteur public.
C’est pourquoi nous préconisons la voie qui consiste à permettre aux médecins psychiatres de continuer l’exercice des trois volets de leur métier, tout en ouvrant explicitement l’accès des autres métiers de la santé mentale aux volets 2 et 3. ... Cette évolution, si elle est retenue, doit s’accompagner d’un cadre juridique qui assure des garanties de qualité de contenu de formation, d’obligation dans la déontologie et de clarté dans la responsabilité pour les autres métiers, ainsi que de mesures organisationnelles susceptibles de mieux identifier les équilibres entre les métiers. Enfin, on voit mal comment cette responsabilité accrue pourrait être reconnue sans sa contrepartie en matière de rémunération. Ce dernier point représente une condition de l’assouplissement des acteurs et de la réussite du transfert de tâches.
La formation elle-même, pour assurer des métiers et des pratiques renouvelés, au sein d’un équilibre entre les métiers, transformé et clarifié, doit évoluer.
● Pour les psychiatres il s’agit de rendre obligatoire, ou de consolider, dès la formation initiale et, à défaut, pour les psychiatres déjà en exercice qui ne la possèderaient pas, par le biais de la FMC ou d’autres formules, l’apprentissage d’au moins un modèle d’expérience psychothérapeutique ou sociothérapique comportant, pour le praticien, la reconnaissance d’une qualification professionnelle et, pour l’usager, l’information adéquate. Cela concerne aussi bien le travail avec les familles, les couples ou les systèmes micro-sociaux plus larges. On ne peut se contenter en effet, à l’heure actuelle, d’un apprentissage complètement à titre privé ou isolé, « sur le tas », sans compagnonnage ou formation authentiques reconnus et valorisés, la question étant balayée car le psychiatre est considéré, de droit, comme psychothérapeute, ce dont l’expérience ne rend pas compte. Pour ce qui concerne le volet d’opérateur en santé mentale, les exigences sont analogues : ... Comme pour le reste, cet apprentissage ne peut s’improviser sur le terrain, au gré de contraintes locales ou d’appétences personnelles. Il doit faire l’objet d’une formation stabilisée, reconnue et évaluable.
● Pour les non-médecins, on peut développer des considérations identiques. Des garanties de durée d’exercice, d’accréditation pédagogique et des obligations déontologiques sont indispensables. Le droit et l’organisation des services devraient être réévalués pour faciliter ou clarifier les espaces de changement, trancher des dilemmes organisationnels, clarifier les règles de responsabilité.
Il s’agit ici, sans renoncer à la qualification du métier d’origine, de reconnaître officiellement des fonctions qui ne s’inscrivent pas actuellement dans la diversité hospitalière des métiers, en partie ou en totalité : psychothérapeutes et opérateurs en santé mentale. Les personnels nonmédicaux accrédités à ces fonctions se verraient reconnaître, au sein des services où ils travaillent :
– la capacité à exercer effectivement une activité de psychothérapeute ou d’opérateur en santé mentale, dans le respect de l’organisation du service, sous la responsabilité ou la supervision du responsable médical ou d’une personne mandatée à cet effet ;
– cette capacité serait liée au professionnel accrédité dans ce ou ces domaines, reconnue et respectée dans sa compétence technique et indépendante du « bon vouloir » hiérarchique ou idéologique du médecinchef de service, y compris par la transposabilité de cette reconnaissance d’un service à un autre ;
– cette capacité pourrait s’accompagner, autant que nécessaire, de la délégation d’autorité de la part du responsable médical, indispensable à la mise en oeuvre de la mission d’opérateur (responsabilité de programmes ou d’actions thématiques au sein d’un service ou d’un secteur).
On n’est plus très éloigné d’une fonction d’encadrement… et de ses conséquences en termes de rémunération.
Gérard Massé (Psychiatre, PH, chef de service au centre hospitalier Sainte-Anne, Paris, MNASM) et Serge Kannas (Psychiatre, PH, MNASM. Syndicats médicaux).
Source : Pluriels n°59, juin 2006, revue de la MNASM (Mission nationale d'appui en santé mentale