Parliamentary Assembly
Assemblée parlementaire
Avenir de la sécurité sociale en Europe
Doc. 10098
20 février 2004
Rapport
Commission des questions sociales, de la santé et de la famille
Rapporteur: M. Claude Evin, France, Groupe socialiste
Résumé
Le rapport rappelle que les économies européennes se sont progressivement ouvertes ces trente dernières années, ce qui a eu pour conséquence d’accroître la compétition sur les coûts. Mais aujourd’hui la compétitivité se joue aussi sur la performance de la main d’œuvre et sur les conditions de travail et de protection sociale garantissant une sécurité du lendemain. La rapport souligne que la sécurité sociale a un coût, mais ne pas avoir de sécurité sociale peut entraîner des coûts plus élevés encore en termes économiques, sociaux et politiques.
Le rapport considère qu’il n’existe pas une réponse unique et uniforme pour les réformes de la sécurité sociale dans les pays membres du Conseil de l’Europe, vu les traditions et objectifs différents en matière de sécurité sociale d’un pays à l’autre. En revanche, l’Assemblée parlementaire rappelle un certain nombre de principes que les Etats membres doivent respecter et qui figurent dans les instruments juridiques du Conseil de l’Europe.
L’Assemblée parlementaire recommande au Comité des Ministres d’introduire la question de la sécurité sociale et la lutte contre la pauvreté dans l’ordre du jour du Troisième Sommet des chefs d’Etats et des Gouvernements du Conseil de l’Europe et de renforcer les mécanismes de contrôle dans le domaine social, en considérant que le respect des engagements des pays membres en la matière soit une priorité.
I. Projet de recommandation
1. L’environnement économique européen s’est considérablement modifié ces trente dernières années et les économies européennes se sont progressivement ouvertes vers l’économie globale. Par conséquent, la compétitivité des économies européennes ne se joue pas seulement sur les coûts de production, mais aussi sur la performance des systèmes de sécurité sociale qui garantissent une sécurité du lendemain. Parallèlement, la transformation des modes de production et de l’organisation du travail, devenus plus « souples », et les carrières moins uniformes, suppose de nouveaux standards pour la protection sociale.
2. A cet égard, l’Assemblée parlementaire exprime sa profonde préoccupation concernant la persistance d’un chômage de masse qui pose de nombreux problèmes aux pays membres du Conseil de l’Europe et à leurs systèmes de sécurité sociale. Elle tient à souligner que les droits sociaux, effectivement garantis, sont un facteur de la cohésion sociale et un facteur de stabilité démocratique. La sécurité sociale a un coût, mais ne pas avoir de sécurité sociale peut entraîner des coûts plus élevés encore en termes économiques, sociaux et politiques.
3. Le futur des systèmes de retraite représente un grand défi, considérant notamment le vieillissement de la population du fait de l’allongement de la durée de vie et de la diminution du nombre des naissances. Dans ce contexte, l’Assemblée parlementaire tient avant tout à souligner l’aspect positif de l’allongement de la durée de vie, que l’on présente souvent comme une contrainte. Face au défi de soutenabilité future des systèmes de retraite, elle réaffirme la nécessité de maintenir un système de retraite, fondé sur les solidarités nationales et entre les générations, de respecter le juste équilibre entre le régime public et privé, ainsi que le rôle de l’Etat en tant que garant.
4. Plus spécifiquement, l’Assemblée considère que les politiques sociales les plus favorables à la famille et à la natalité sont celles qui permettent aux parents et aux femmes en particulier de combiner harmonieusement la vie professionnelle et la vie familiale. Les pays, ayant développé ce type de politiques, connaissent les taux de fécondité les plus élevés par rapport aux pays ayant préféré uniquement l’aide aux mères qui restent au foyer.
5. L’Assemblée parlementaire est persuadée de la nécessité de modifier les politiques sociales, compte tenu du fait que les sociétés ont changé depuis l’époque de la fondation des systèmes européens de la protection sociale, qui ne sont plus parfaitement adaptés aux nouvelles situations.
Trois objectifs majeurs marquent les réformes présentes et futures :
i. mieux contrôler l’évolution des dépenses sociales, les ressources disponibles pour les financer étant plus limitées qu’auparavant ;
ii. mieux répondre aux nouveaux modes de vie et aux transformations des risques sociaux, ainsi qu’aux nouveaux besoins sociaux : meilleure formation tout au long de la vie, services aux besoins des femmes qui travaillent et des personnes âgées dépendantes ;
iii. rendre les systèmes de la sécurité sociale plus favorables à l’emploi.
6. L’Assemblée parlementaire souligne qu’il n’existe pas une réponse unique, univoque et uniforme pour les réformes de la sécurité sociale, vu les différentes traditions et objectifs en matière de sécurité sociale d’un pays européen à l’autre. S’il n’est pas possible de définir une seule voie pour les réformes de la protection sociale, il faut rappeler en revanche un certain nombre de principes que les Etats membres se doivent de respecter.
7. L’Assemblée se prononce pour l’application des principes de la sécurité sociale tels qu’ils figurent dans les instruments juridiques du Conseil de l’Europe : La Charte sociale européenne et la Charte sociale européenne révisée, le Code européen de sécurité sociale, son Protocole et le Code européen de sécurité sociale révisé.
8. Les instruments juridiques du Conseil de l’Europe dans le domaine social ont défini une véritable norme européenne et ont fait de la protection sociale un droit fondamental, avec un système de contrôle international. La sécurité sociale occupe également dans la Convention européenne des droits de l’homme une place importante, de nombreux arrêts, au fil des quinze dernières années, ayant traité de cette question.
9. La Charte sociale européenne révisée a introduit un droit nouveau : le droit à la protection contre la pauvreté et l’exclusion sociale (article 30). Dans ce contexte, l’Assemblée parlementaire déplore le fait que seulement huit Etats membres du Conseil de l’Europe ont accepté d’être liés à l’article 30. Elle considère qu’il est nécessaire, à l’échelle européenne, de manifester une volonté politique afin de rendre les droits sociaux plus accessibles.
10. En matière de réforme des systèmes de santé l’Assemblée parlementaire rappelle sa Recommandation 1626 (2003) sur ce sujet qui précise que « le principal critère employé pour apprécier le succès de la réforme des systèmes de santé doit être l’accès effectif aux services de santé pour tous sans discrimination en tant que droit fondamental de l’individu, et en conséquence, l’amélioration du niveau général de santé et de bien-être de la population dans son ensemble ».
11. L’Assemblée tient également à souligner le rôle de l’Etat comme garant de la stabilité du régime de sécurité sociale qui devrait intervenir dès que les principes fondamentaux sont violés sans déléguer ses responsabilités essentielles à des acteurs privés. De même, durant des périodes de réformes et de transition, la responsabilité de l’Etat revêt une importance particulière pour l’évolution future de la sécurité sociale.
12. L’Assemblée parlementaire est convaincue que le renforcement de la cohésion sociale, grâce à un niveau soutenu de protection sociale, est une stratégie préventive efficace afin de réduire les risques de troubles sociaux et de perturbations politiques dans certaines jeunes démocraties, membres du Conseil de l’Europe. A cet égard, elle rappelle que le Deuxième Sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement du Conseil de l’Europe en 1997 a affirmé sa détermination de promouvoir la cohésion sociale comme « un élément indispensable de la promotion des droits de l’homme et de la dignité humaine ».
13. L’Assemblée parlementaire tient aussi à rappeler que plusieurs textes du Conseil de l’Europe fixent des objectifs qui permettraient d’élever le niveau des droits à la sécurité sociale dans l’ensemble des Etats membres. Il en est ainsi de la Charte sociale révisée qui, dans son article 12 affirme le droit à la sécurité sociale, dans son article 13 affirme le droit à l’assistance sociale et médicale et qui, dans son article 30, affirme le droit à la protection contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Par ailleurs, le Code européen de sécurité sociale fixe, quant à lui, des normes utiles pour garantir ces droits. L’Assemblée rappelle la nécessité que ces différents dispositifs soient le plus rapidement possible ratifiés et demande au Comité des Ministres de renforcer son action dans ce sens.
14. A cet égard l’Assemblée se félicite des travaux menés par le Comité européen pour la cohésion sociale dans le domaine de la sécurité sociale, en particulier les réflexions engagées sur les conséquences pour la cohésion sociale et l’égalité entre les hommes et les femmes des réformes en cours dans le domaine des retraites. Elle relève également l’initiative d’organiser en 2004 une Conférence euro méditerranéenne ouverte à des Etats méditerranéens non membres.
15. Elle se félicite aussi que le Comité directeur pour les droits de l’homme travaille actuellement à l’inclusion des droits sociaux dans la Convention européenne des droits de l’homme ce qui permettrait notamment de mettre en œuvre la Recommandation N° R(2003)3 du Comité des Ministres sur le droit à la satisfaction des besoins matériels élémentaires des personnes en situation d’extrême précarité. Elle soutient ces travaux.
16. L’Assemblée se félicite de la décision du Conseil Européen de Bruxelles sur l’emploi, la politique sociale, la santé et la protection des consommateurs de décembre 2003 visant à « renforcer le processus actuel de coordination des politiques des Etats membres dans le domaine de la protection sociale, de manière à contribuer à la nécessaire modernisation des systèmes de santé ». Dans ce contexte, elle considère que le domaine de la sécurité sociale doit être un domaine prioritaire de la coopération entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne avec une meilleure planification des activités communes à moyen et long terme.
17. L’Assemblée invite les parlementaires des Etats membres à lancer à cette occasion un débat au niveau national et européen, de même qu’à promouvoir – au niveau national – les outils juridiques du Conseil de l’Europe pour trouver des solutions viables aux questions complexes de la réforme dans le domaine social. L’Assemblée parlementaire devrait examiner à échéance de deux ans un rapport présentant les conclusions de ces débats dans chacun de ses Etats membres.
18. En conséquence, l’Assemblée parlementaire recommande au Comité des Ministres :
i. d’introduire la question de la sécurité sociale et la lutte contre la pauvreté dans l’ordre du jour du Troisième Sommet des Chefs d’Etats et de Gouvernements du Conseil de l’Europe et de favoriser l’inclusion des cinq principes de la Recommandation N° R(2000)3 du Comité des Ministres dans le système de la Convention européenne des Droits de l’Homme ;
ii. de renforcer les mécanismes de contrôle dans le domaine social, en considérant comme une priorité le respect des engagements des pays membres en la matière ;
iii. de développer la connaissance des situations des différentes populations en termes d’indicateurs sociaux dans les pays membres où les problèmes sociaux sont une source grave d’instabilité politique afin de préparer des projets thématiques, régionaux, intégrés et de les mettre en œuvre en étroite coopération avec l’Union européenne ;
iv. de soutenir les actions de coopération menées par le Comité européen pour la Cohésion Sociale et le Bureau International du Travail afin d’améliorer la sécurité sociale dans les différents Etats membres.
II. Exposé des motifs par M. Evin
Un nouveau contexte
1. L’environnement économique mondial et européen s’est considérablement modifié ces trente dernières années. Les économies européennes se sont progressivement ouvertes, ce qui a eu pour conséquence d’accroître la compétition sur les coûts – notamment salariaux – pour les entreprises, et la compétition fiscale pour les Etats. Beaucoup tirent de l’ouverture croissante des économies un argument pour promouvoir une nécessaire diminution des charges qui pèsent sur l’Etat et les entreprises, au premier chef les charges représentées par le financement de la protection sociale.
2. Cependant, la compétitivité des économies ne se joue pas seulement sur leur coûts de production, mais repose aussi sur une main d’œuvre bien formée, qualifiée, mais aussi bien soignée et d’autant plus performante que les conditions de travail et de protection sociale garantissent une sécurité du lendemain nécessaire à tout investissement dans le travail. Ne pas avoir de système de protection sociale représente un coût élevé pour l’économie tout autant que pour les individus.
3. Les évolutions récentes de l’économie ont aussi signifié une transformation de la division internationale du travail, poussant les économies développées à une révolution post-industrielle et un recyclage vers les activités de service, sources de moins de gains de productivité que ne l’avaient été les activités industrielles. Cette évolution fait redouter un ralentissement de la croissance des ressources pour les dépenses sociales.
4. Parallèlement, la transformation des modes de production et de l’organisation du travail, devenu plus « souple » et les carrières moins uniformes, supposent de nouveaux standards pour la protection sociale qui a le plus souvent été construite pour protéger un salarié/ouvrier ayant une carrière continue et ascendante au sein d’une entreprise industrielle.
5. La persistance d’un chômage de masse pose de nombreux problèmes aux sociétés européennes, mais aussi à leurs systèmes de protection sociale. Le chômage est une source de dépenses importantes (en indemnisation ou autre forme de couverture plus ou moins directe des inactifs comme les préretraites, les assurances invalidités…), tandis qu’il diminue les recettes (du fait que les personnes sans emplois payent moins ou pas de cotisations sociales notamment).
6. Pour de nombreux pays européens, il est devenu essentiel que les politiques sociales soient le plus favorables possibles à l’emploi, aussi bien en ne représentant pas un coût trop élevé pour le travail, qu’en délivrant des prestations qui favorisent le retour à l’emploi. Le développement de politiques sociales actives, associant indemnisation généreuse du chômage et formation professionnelle, avec accompagnement individualisé des demandeurs d’emploi, semble une solution pour diminuer le chômage sans en passer par des politiques coercitives imposant un retour forcé sur le marché du travail, politiques qui se traduisent le plus souvent par un accroissement du nombre de travailleurs pauvres.
7. La société elle aussi s’est transformée, modifiant les références qui ont servis de base pour construire les systèmes européens de protection sociale. Le modèle de la famille où le mari travaille et la femme reste au foyer a été remis en cause avec la diversification des modèles de foyers, et notamment l’accroissement des familles monoparentales.
8. L’entrée massive des femmes sur le marché du travail a non seulement transformé les modèles familiaux et le marché du travail, mais elle suscite aussi de nouveaux besoin de services sociaux, afin de permettre de rendre compatibles vie familiale et vie professionnelle.
9. Le vieillissement de la population du fait de l’allongement de la durée de vie et de la diminution du nombre des naissances suscite de nombreuses interrogations quant à la soutenabilité future des systèmes de retraite. L’arrivée à l’âge de la retraite des enfants du baby boom tout comme l’allongement de la durée de vie vont entraîner une hausse des besoins pour les systèmes européens de retraites, tandis que ceux qui sont susceptibles de financer les retraites sont de moins en moins nombreux, du fait d’une diminution continue du nombre des naissances.
10. A première vue, ce sont surtout les systèmes financés en répartition (où les cotisants actuels financent les retraites actuelles) qui paraissent les plus touchés par ces évolutions démographiques. À l’inverse, les systèmes financés en capitalisation ne semblent pas touchés par le vieillissement de la population, dans la mesure où une génération se prépare elle-même sa propre retraite, et n’est donc pas dépendante de la taille de la génération suivante pour lui financer sa retraite. Pour autant, les systèmes en capitalisation vont aussi être sensibles aux évolutions démographiques. En effet, quand les fonds de pension vont devoir payer beaucoup de pensions aux générations nombreuses parties en retraite après 2010, ils vont devoir commencer à vendre leurs actifs (actions, bons du Trésor, etc.) pour trouver les financements nécessaires. Les personnes en âge de travailler susceptibles d’acheter ces actifs seront quant à elles moins nombreuses. Ce contexte de vente massive d’actifs auprès d’une population réduite va considérablement faire baisser la valeur de ces actifs, et va donc réduire la valeur du capital prévu pour les retraites et les ressources disponibles pour les retraités
11. Si les taux de fécondité ont partout baissé en Europe à partir de la fin des années 1970 (et plus récemment pour les pays d’Europe centrale et orientale), de nombreux observateurs ont noté qu’aujourd’hui, les politiques sociales les plus favorables aux naissances sont celles qui permettent aux femmes de combiner harmonieusement vie professionnelle et vie familiale en développant des modes de garde des enfants type crèche, nourrice ou aides aux gardes d’enfants à domicile. Ce sont en effet les pays qui ont développé ce type de politiques familiales qui connaissent les taux de fécondité les plus élevés, alors même que les pays aux dépenses familiales élevées mais uniquement destinées à aider les mères qui restent au foyer connaissent une chute importante de leur taux de fécondité.
12. Si le vieillissement de la population n’est pas le facteur principal des augmentations présentes et futures des dépenses de santé, il va néanmoins entraîner de nouveaux besoin en matière de soins de longue durée pour les personnes âgées dépendantes, dont le nombre ne va cesser de croître au cours des années à venir.
13. Dans tous les pays d’Europe, les dépenses de santé ne cessent de croître. Cette évolution correspond à des tendances lourdes, liées au vieillissement de la population, aux progrès de la technologie médicale et pharmaceutique, chaque avancée étant source de progrès sanitaire mais aussi de coût supplémentaire.
14. Il convient cependant de remarquer que les dépenses de santé n’évoluent pas toutes au même rythme selon les systèmes de santé des différents pays européens. Certains pays réussissent à relativement maîtriser l’évolution de leurs dépenses de santé, tout en garantissant un accès à tous aux soins de santé. Il s’agit notamment des pays qui sont parvenus à mettre l’accent sur les actions de prévention, ceux aussi qui ont réussi à instaurer une relation de responsabilité entre les fournisseurs de soins, les patients et les financeurs du système.
Des réformes nécessaires
15. Ces transformations nécessitent une modification des politiques sociales. Le monde et les sociétés ont tant changé depuis l’époque de la fondation des systèmes européens de protection sociale qu’ils ne sont plus parfaitement adaptés aux nouvelles situations. Trois orientations majeures marquent les réformes présentes et futures.
16. Il s’agit tout d’abord de mieux contrôler l’évolution des dépenses sociales, les ressources disponibles pour les financer étant plus limitées que dans la période des trente glorieuses.
17. Mais il s’agit aussi de profiter de la nécessité des réformes pour adapter les systèmes européens de protection sociale aux nouveaux modes de vie et aux transformations des risques sociaux. Certains manques ou certaines inégalités des politiques sociales passées peuvent en effet être corrigés dans les années à venir. La nécessité des réformes n’implique pas seulement des ajustements à la baisse et des coupes sombres. Il s’agit aussi de répondre à de nouveaux besoins sociaux, comme une meilleure formation professionnelle tout au long de la vie, comme aussi les besoins en services de la part des femmes qui travaillent, ou bien des personnes âgées dépendantes.
18. La dernière orientation générale vise à rendre la protection sociale plus favorable à l’emploi. Quel que soit le système de protection sociale, le maintien d’un haut niveau de protection sociale apparaît conditionné à terme par le maintien – ou le retour – à un haut niveau d’emploi. A ce jour, trois séries principales de réformes ont été engagées dans les différents pays européens afin de rendre effective cette priorité à l’emploi : des réformes du financement de la protection sociale visant à faire baisser les charges pesant sur le coût du travail ; l’instauration de contreparties plus strictes de formation ou d’activité en échanges de l’octroi des prestations ; la promotion de services collectifs destinés à favoriser l’activité féminine.
Il n’y a pas de réponse unique, univoque et uniforme
19. Si les difficultés générales rencontrées par les différents systèmes de protection sociale sont similaires, les différents gouvernements nationaux ne se trouvent pas confrontés aux mêmes enjeux dans la mesure où tous les pays européens n’ont pas les mêmes institutions de protection sociale ni ne partagent les mêmes objectifs en matière de protection sociale.
20. Pour l’Europe de l’Ouest, on peut regrouper les systèmes de protection sociale en trois grands groupes (les pays scandinaves, les pays anglo-saxons, les pays d’Europe continentale), en différenciant à la fois les objectifs politiques et sociaux qu’ils cherchent à atteindre et les instruments qu’ils utilisent pour les atteindre (politiques universelles et services sociaux gratuits, politiques sociales ciblées, assurances sociales financées par des cotisations sociales).
21. Ainsi, les politiques sociales sont organisées d’une manière différente, parce que les histoires sont différentes entre une vieille Europe dont la sécurité sociale est fondée plutôt sur les assurances sociales et les pays de l’Europe centrale et orientale où la sécurité sociale connaissait une très forte présence de l’Etat, conformément au modèle paternaliste de l’économie. Même à la suite des réformes économiques importantes qui ont été entreprises dans ces pays, la tradition de l’Etat providence reste très prégnante. Il est clair que le système de financement est aussi différent, avec un recours plus important à l’impôt dans certains pays, et dans d’autres pays des cotisations sociales plus élevées.
22. Face à ces défis, certains pays cherchent des solutions dans la privatisation des systèmes, d’autres pays, au contraire, réaffirment la nécessité de maintenir un système fondé sur les solidarités nationales et entre les générations. Le rapporteur ne croit pas qu’il soit possible au niveau de l’Assemblée parlementaire d’adopter des recommandations précises, adressées à chaque pays. Dans la mesure où prévalent des façons de faire et des objectifs en matière de Sécurité sociale très différents d’un pays européens à l’autre, il n’est en effet pas possible de définir une seule solution valable pour tous.
Il existe en revanche des principes communs à respecter
23. S’il n’est pas possible de définir une seule voie pour les réformes de la protection sociale, le rapporteur estime en revanche qu’il faut rappeler un certain nombre de principes que les Etats membres se doivent de respecter. Ces principes sont déjà affirmés dans les documents du Conseil de l’Europe ou d’autres organisations internationales : le BIT a consacré sa Conférence de 2001 aux problèmes de la sécurité sociale, l’AISS en 2002 a aussi rappelé les grands principes de la sécurité sociale.
24. Il est important que l’Assemblée parlementaire dans sa recommandation réaffirme les principes dont les Etats membres doivent tenir compte dans la mise en œuvre de leurs politiques sociales. Le rapporteur rappelle que le Conseil de l’Europe a déjà fortement contribué à définir ces principes.
25. En tant qu’organisation de défense des droits de l’homme, le Conseil de l’Europe a comme objectifs premiers la démocratie, la promotion des droits fondamentaux, le développement de l’Etat de droit afin de construire des sociétés européennes cohésives, durables et stables. Dans ce contexte, les textes fondamentaux que sont la Convention européenne des Droits de l’Homme, la Charte sociale européenne et la Charte sociale européenne révisée ainsi que le Code européen de sécurité sociale, son Protocole et le Codeeuropéen de sécurité sociale révisé sont des instruments qui permettent de définir les principes de la Sécurité sociale.
26. La sécurité sociale trouve son fondement dans la Charte sociale européenne et dans la Charte révisée. L’article 12 de la Charte demande expressément aux Parties contractantes :
* d’établir ou maintenir un régime de sécurité sociale (par. 1)
* de maintenir le régime de sécurité sociale à un niveau satisfaisant(par. 2)
* d’améliorer progressivement ce régime (par. 3)
* d’assurer l’égalité de traitement des nationaux des autres Parties contractantes dans ce domaine (par. 4)
27. L’article 12 se réfère par ailleurs à la Convention n° 102 de l’OIT sur la norme minimum de la sécurité sociale et au Code européen de sécurité sociale pour fixer le niveau de protection sociale considéré comme satisfaisant.
28. La Charte sociale européenne révisée protège aujourd’hui trente et un droits sociaux fondamentaux couvrant ainsi tous les aspects de la protection sociale. En plus du droit à la sécurité sociale, la Charte garantit le droit à l’aide sociale et médicale et celui de bénéficier de services sociaux. La Charte sociale révisée renforce cette dimension en introduisant un droit nouveau: la protection contre la pauvreté et l’exclusion sociale.
29. Aujourd’hui signée et/ou ratifiée par la quasi totalité des Etats membres du Conseil de l’Europe, la Charte définit une véritable norme européenne dans le domaine social et fait de la protection sociale un droit de l'homme fondamental.
30. Le Code européen de sécurité sociale et son protocole, et le Code de sécurité sociale révisé indiquent aux Etats les normes à respecter dans l’établissement de leur système de sécurité sociale. Ils définissent le niveau minimal de protection requise dans les branches traditionnelles de la sécurité sociale : la sécurité sociale a pour fonction de garantir des prestations en natures et en espèces (soins, indemnités, pensions, allocations) lors de la réalisation de certains événements tels la vieillesse, le chômage, la maladie, l’invalidité, les accidents du travail, la maternité, la disparition du soutien de famille.
31. La sécurité sociale occupe également dans la Convention européenne des droits de l’Homme une place importante, de nombreux arrêts, au fil des quinze dernières années, ayant traité de cette question.
Des principes pour l’avenir
32. L’ensemble de ces principes doit être préservés voire améliorés à l’occasion des nécessaires réformes. La mission première de la sécurité sociale est, comme son nom l'indique, d'assurer une sécurité aux personnes. En d'autres termes, chacun doit pouvoir s'en remettre à ce système pour obtenir une protection aujourd'hui, mais aussi dans les décennies à venir. Par conséquent, tout nouveau modèle de protection sociale doit être en mesure de garantir un revenu de remplacement d'un certain niveau lorsque le risque survient.
33. En matière de réforme des systèmes de santé, le rapporteur tient ainsi à rappeler que la tendance à la privatisation de nombreux services publics de santé dans les économies prospères et de manière encore plus marquée dans les économies en transition a fortement entamé le caractère universel des services de santé publique. Certes, le financement de la santé publique de nombreux Etats se trouve confronté à des défis importants et il est normal que des stratégies visant à réduire les coûts, à lutter contre le gaspillage et le manque d'efficacité soient mises en place. Mais comme l’a rappelé l’Assemblée dans la recommandation votée le 1er octobre 2003, les réformes des systèmes de santé en Europe doivent concilier équité, qualité et efficacité. « Le principal critère employé pour apprécier le succès de la réforme des systèmes de santé doit être l’accès effectif aux services de santé pour tous sans discrimination en tant que droit fondamental de l’individu, et en conséquence, l’amélioration du niveau général de santé et de bien-être de la population dans son ensemble. »
34. Malgré ces tendances et l'instauration de plus fortes participations aux frais par les usagers, un régime universel de santé publique, capable de garantir l'égalité d'accès aux principaux services de santé pour tous les membres de la société, gratuitement ou en échange d'une participation minimale doit rester l'objectif à atteindre.
35. En matière de réforme des retraites, le rapporteur tient à rappeler que le Code européen de Sécurité sociale, dans sa Partie V qui traite du risque vieillesse, prévoit l’attribution de prestations de vieillesse consistant en paiements périodiques, garanties à compter d’un âge prescrit et cela jusqu’au décès de la personne en respectant les règles suivantes :
* la pension doit consister en un versement périodique et non en un versement en capital
* l’âge déclenchant le versement de la pension doit être fixé (en principe 65 ans mais des exceptions sont permises)
* le montant de la pension doit être fixé en fonction d’un salaire de référence lors de la liquidation du droit (40% dans le Code – 45% dans le Protocole du gain antérieur de la personne)
* la pension doit être adaptée au coût de la vie
* le financement des pensions doit reposer sur la solidarité
* les cotisations à la charge des salariés ne doivent pas excéder 50% du total des ressources affectées à leur protection et à celle de leur famille
* l’Etat doit assurer la responsabilité générale du service des prestations.
36. D’une façon générale, la notion de sécurité sociale implique que :
* le système porte sur les risques sociaux essentiels
* qu’il couvre une part importante de la population
* qu’il s’appuie essentiellement sur un financement collectif
* que l’Etat soit le garant des cotisations.
37. La solidarité doit en effet porter sur la société dans son ensemble. Elle ne se limite pas à la solidarité qui existe entre les employeurs et les salariés, mais s'exprime par une responsabilité de ceux qui ont plus envers ceux qui ont moins.
38. L'Etat doit agir comme garant de la stabilité du régime de sécurité sociale, contrôler le fonctionnement du système et intervenir dès que les principes fondamentaux sont violés sans déléguer ces responsabilités essentielles à des acteurs privés. C’est durant des périodes de réformes et de transition comme nous les connaissons que la responsabilité de l’Etat revêt une importance particulière pour le développement futur de la sécurité sociale.
La protection sociale comme facteur de cohésion sociale
39. La protection assurée par la sécurité sociale est plus essentielle que jamais à une époque qui est caractérisée par l’insécurité du travail et de la globalisation et, par conséquent, il faut la renforcer et en étendre la couverture. Le rapporteur rappelle que le Conseil de l’Europe a inscrit la promotion de la cohésion sociale dans tous ses Etats membres parmi ses objectifs prioritaires, et souhaite que l’Assemblée soutienne cette initiative. Le Conseil de l’Europe a souligné l’importance des actions suivantes :
* la promotion d’instruments normatifs, et en particulier de la Charte sociale européenne et du Code européen de sécurité sociale;
* la promotion de l’accès aux droits sociaux fondamentaux, notamment la protection sociale, l’emploi, l’éducation, le logement, les soins de santé;
* la protection des groupes vulnérables
* l’édification d’une société européenne inclusive fondée sur les droits de l’homme, l’égalité entre les sexes, la non-discrimination, la tolérance, la participation et l’égalité des chances; la garantie d’un accès universel aux services sociaux, associé à des mesures de protection spécifiques.
40. Les droits sociaux sont le point de départ de la stratégie de cohésion sociale laquelle insiste sur l’importance des systèmes de sécurité sociale dans les termes suivants : « Les systèmes de sécurité sociale représentent l’une des expressions institutionnelles les plus puissantes de la solidarité sociale. Toute stratégie de cohésion sociale doit faire du renforcement de ces systèmes l’un de ses objectifs majeurs – surtout en ces temps où leur avenir et la question de leur financement suscite bien des interrogations » (paragraphe 14).
41. La sécurité sociale a pour tâche – et non des moindres – de promouvoir la stabilité sociale, d’éviter une trop grande fragmentation de la société, de diminuer la gravité des conflits sociaux et de réduire les disparités entre les classes sociales. Des normes minimales de protection sociale pour tous garantissent incontestablement des sociétés plus justes où chacun a accès aux services sociaux fondamentaux. Un développement économique sans développement social entraîne à plus ou moins long terme de graves problèmes. Le renforcement de la cohésion sociale grâce à un niveau minimal de protection sociale peut être considéré comme une stratégie préventive destinée à réduire les risques de troubles sociaux et de perturbations politiques dans l’avenir. En ce sens on peut affirmer que la sécurité sociale est un facteur de cohésion sociale car vivre sans sécurité sociale, c’est aussi vivre dans la peur : peur de la maladie, de l’accident, du chômage, de la vieillesse...
En conclusion
42. Le rapporteur rappelle que chacun doit pouvoir s'en remettre au système de Sécurité sociale pour obtenir une protection aujourd'hui, mais aussi dans les décennies à venir. Par conséquent, tout nouveau modèle de protection sociale doit être en mesure de garantir un revenu de remplacement d'un certain niveau lorsque le risque survient. Les droits sociaux, effectivement garantis, sont un facteur de la cohésion sociale et un facteur de stabilité démocratique. La sécurité sociale coûte cher, mais ne pas avoir de sécurité sociale peut coûter encore plus cher en termes économiques, sociaux et politiques.
43. Le rapporteur souligne que pour le présent comme pour l’avenir, l’affirmation des principes et des droits est importante, mais la garantie effective de ces droits est aussi essentielle. La stabilité, la crédibilité, l’efficacité des systèmes de sécurité sociale doivent être garantis, et c’est une responsabilité de l’Etat. Face aux tendances à la privatisation croissante des systèmes de Sécurité sociale, le rapporteur souligne combien il est de la responsabilité de l’Etat de garantir l’égalité et la solidarité face aux risques sociaux.
44. Dans une période où se multiplient les réformes de la Sécurité sociale, l’Assemblée parlementaire doit donc reprendre l’initiative afin d’affirmer les grands principes qui sont à la base de la sécurité sociale et qui renforcent les droits de l’homme. L’assemblée doit réaffirmer l’importance des outils qui existent au Conseil de l’Europe : le Code européen de la sécurité sociale, la Charte sociale du Conseil de l’Europe, ainsi que d’autres outils, par exemple, ceux du BIT ou de l’AISS. Les parlementaires doivent promouvoir ces outils au niveau national pour trouver des solutions viables et socialement justes aux questions complexes des réformes de la Sécurité sociale.
Commission chargée du rapport : Commission des questions sociales, de la santé et de la famille
Renvoi en commission : Doc. 9298, renvoi n° 2684 du 21 janvier 2002
Projet de recommandation adopté le 16 janvier 2004
Membres de la commission:
Mme Belohorská (Présidente), MM. Christodoulides (1er Vice-Président), Surján (2e Vice-Président), Mme McCafferty (3e Vice-Présidente), Mme Ahlqvist, M. Arnau, Mme Bargholtz, M. Berzinš, Mmes Biga-Friganovic, Bolognesi, MM. Brînzan, Brunhart, Buzatu (Remplaçant: Ionescu), Çavusoglu Yüksel, Colombier, Cox (Remplaçant: Vis), Daban Alsina, Dees, Donabauer, Drljevic, Evin, Flynn, Mmes Frimannsdóttir, Gamzatova, MM. Geveaux, Giertych, Glesener, Gonzi, Gregory, Gülçiçek, Gündüz Irfan, Gusenbauer, Hegyi, Herrera, Hladiy, Høie, Mme Hurskainen, MM. Jacquat, Klympush, Baroness Knight (Remplaçant: M. Hancock), MM. Kocharyan, Lomakin-Rumiantsev, Mmes Lotz (Remplaçante: Rupprecht), Lucic, MM. Makhachev, Malachowski, Markowski, Marty (Remplaçant: Schmied), Maštálka, Mmes Milicevic, Milotinova, MM. Mladenov, Monfils (Remplaçant: Goutry), Ouzký, Padilla, Pavlidis, Podobnik, Popa, Poty, Poulsen, Provera (Remplaçant: Tirelli), Pysarenko, Rauber, Riester, Rigoni, Rizzi, Mmes Roseira, Saks, M. Seyidov, Mme Shakhtakhtinskaya, MM. Slutsky, Sysas, Mmes Tevdoradze, Topalli, M. Vathias, Mme Vermot-Mangold, MM. Viera, Volpinari, Mme Wegener, MM. Van Winsen, Zernovski, ZZ…
NB: Les noms des membres qui ont pris part à la réunion sont imprimés en italique.
Secrétariat de la commission: M. Mezei, Mme Meunier, Mme Karanjac, M. Chahbazian
Février 2004
Assemblée parlementaire
Avenir de la sécurité sociale en Europe
Doc. 10098
20 février 2004
Rapport
Commission des questions sociales, de la santé et de la famille
Rapporteur: M. Claude Evin, France, Groupe socialiste
Résumé
Le rapport rappelle que les économies européennes se sont progressivement ouvertes ces trente dernières années, ce qui a eu pour conséquence d’accroître la compétition sur les coûts. Mais aujourd’hui la compétitivité se joue aussi sur la performance de la main d’œuvre et sur les conditions de travail et de protection sociale garantissant une sécurité du lendemain. La rapport souligne que la sécurité sociale a un coût, mais ne pas avoir de sécurité sociale peut entraîner des coûts plus élevés encore en termes économiques, sociaux et politiques.
Le rapport considère qu’il n’existe pas une réponse unique et uniforme pour les réformes de la sécurité sociale dans les pays membres du Conseil de l’Europe, vu les traditions et objectifs différents en matière de sécurité sociale d’un pays à l’autre. En revanche, l’Assemblée parlementaire rappelle un certain nombre de principes que les Etats membres doivent respecter et qui figurent dans les instruments juridiques du Conseil de l’Europe.
L’Assemblée parlementaire recommande au Comité des Ministres d’introduire la question de la sécurité sociale et la lutte contre la pauvreté dans l’ordre du jour du Troisième Sommet des chefs d’Etats et des Gouvernements du Conseil de l’Europe et de renforcer les mécanismes de contrôle dans le domaine social, en considérant que le respect des engagements des pays membres en la matière soit une priorité.
I. Projet de recommandation
1. L’environnement économique européen s’est considérablement modifié ces trente dernières années et les économies européennes se sont progressivement ouvertes vers l’économie globale. Par conséquent, la compétitivité des économies européennes ne se joue pas seulement sur les coûts de production, mais aussi sur la performance des systèmes de sécurité sociale qui garantissent une sécurité du lendemain. Parallèlement, la transformation des modes de production et de l’organisation du travail, devenus plus « souples », et les carrières moins uniformes, suppose de nouveaux standards pour la protection sociale.
2. A cet égard, l’Assemblée parlementaire exprime sa profonde préoccupation concernant la persistance d’un chômage de masse qui pose de nombreux problèmes aux pays membres du Conseil de l’Europe et à leurs systèmes de sécurité sociale. Elle tient à souligner que les droits sociaux, effectivement garantis, sont un facteur de la cohésion sociale et un facteur de stabilité démocratique. La sécurité sociale a un coût, mais ne pas avoir de sécurité sociale peut entraîner des coûts plus élevés encore en termes économiques, sociaux et politiques.
3. Le futur des systèmes de retraite représente un grand défi, considérant notamment le vieillissement de la population du fait de l’allongement de la durée de vie et de la diminution du nombre des naissances. Dans ce contexte, l’Assemblée parlementaire tient avant tout à souligner l’aspect positif de l’allongement de la durée de vie, que l’on présente souvent comme une contrainte. Face au défi de soutenabilité future des systèmes de retraite, elle réaffirme la nécessité de maintenir un système de retraite, fondé sur les solidarités nationales et entre les générations, de respecter le juste équilibre entre le régime public et privé, ainsi que le rôle de l’Etat en tant que garant.
4. Plus spécifiquement, l’Assemblée considère que les politiques sociales les plus favorables à la famille et à la natalité sont celles qui permettent aux parents et aux femmes en particulier de combiner harmonieusement la vie professionnelle et la vie familiale. Les pays, ayant développé ce type de politiques, connaissent les taux de fécondité les plus élevés par rapport aux pays ayant préféré uniquement l’aide aux mères qui restent au foyer.
5. L’Assemblée parlementaire est persuadée de la nécessité de modifier les politiques sociales, compte tenu du fait que les sociétés ont changé depuis l’époque de la fondation des systèmes européens de la protection sociale, qui ne sont plus parfaitement adaptés aux nouvelles situations.
Trois objectifs majeurs marquent les réformes présentes et futures :
i. mieux contrôler l’évolution des dépenses sociales, les ressources disponibles pour les financer étant plus limitées qu’auparavant ;
ii. mieux répondre aux nouveaux modes de vie et aux transformations des risques sociaux, ainsi qu’aux nouveaux besoins sociaux : meilleure formation tout au long de la vie, services aux besoins des femmes qui travaillent et des personnes âgées dépendantes ;
iii. rendre les systèmes de la sécurité sociale plus favorables à l’emploi.
6. L’Assemblée parlementaire souligne qu’il n’existe pas une réponse unique, univoque et uniforme pour les réformes de la sécurité sociale, vu les différentes traditions et objectifs en matière de sécurité sociale d’un pays européen à l’autre. S’il n’est pas possible de définir une seule voie pour les réformes de la protection sociale, il faut rappeler en revanche un certain nombre de principes que les Etats membres se doivent de respecter.
7. L’Assemblée se prononce pour l’application des principes de la sécurité sociale tels qu’ils figurent dans les instruments juridiques du Conseil de l’Europe : La Charte sociale européenne et la Charte sociale européenne révisée, le Code européen de sécurité sociale, son Protocole et le Code européen de sécurité sociale révisé.
8. Les instruments juridiques du Conseil de l’Europe dans le domaine social ont défini une véritable norme européenne et ont fait de la protection sociale un droit fondamental, avec un système de contrôle international. La sécurité sociale occupe également dans la Convention européenne des droits de l’homme une place importante, de nombreux arrêts, au fil des quinze dernières années, ayant traité de cette question.
9. La Charte sociale européenne révisée a introduit un droit nouveau : le droit à la protection contre la pauvreté et l’exclusion sociale (article 30). Dans ce contexte, l’Assemblée parlementaire déplore le fait que seulement huit Etats membres du Conseil de l’Europe ont accepté d’être liés à l’article 30. Elle considère qu’il est nécessaire, à l’échelle européenne, de manifester une volonté politique afin de rendre les droits sociaux plus accessibles.
10. En matière de réforme des systèmes de santé l’Assemblée parlementaire rappelle sa Recommandation 1626 (2003) sur ce sujet qui précise que « le principal critère employé pour apprécier le succès de la réforme des systèmes de santé doit être l’accès effectif aux services de santé pour tous sans discrimination en tant que droit fondamental de l’individu, et en conséquence, l’amélioration du niveau général de santé et de bien-être de la population dans son ensemble ».
11. L’Assemblée tient également à souligner le rôle de l’Etat comme garant de la stabilité du régime de sécurité sociale qui devrait intervenir dès que les principes fondamentaux sont violés sans déléguer ses responsabilités essentielles à des acteurs privés. De même, durant des périodes de réformes et de transition, la responsabilité de l’Etat revêt une importance particulière pour l’évolution future de la sécurité sociale.
12. L’Assemblée parlementaire est convaincue que le renforcement de la cohésion sociale, grâce à un niveau soutenu de protection sociale, est une stratégie préventive efficace afin de réduire les risques de troubles sociaux et de perturbations politiques dans certaines jeunes démocraties, membres du Conseil de l’Europe. A cet égard, elle rappelle que le Deuxième Sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement du Conseil de l’Europe en 1997 a affirmé sa détermination de promouvoir la cohésion sociale comme « un élément indispensable de la promotion des droits de l’homme et de la dignité humaine ».
13. L’Assemblée parlementaire tient aussi à rappeler que plusieurs textes du Conseil de l’Europe fixent des objectifs qui permettraient d’élever le niveau des droits à la sécurité sociale dans l’ensemble des Etats membres. Il en est ainsi de la Charte sociale révisée qui, dans son article 12 affirme le droit à la sécurité sociale, dans son article 13 affirme le droit à l’assistance sociale et médicale et qui, dans son article 30, affirme le droit à la protection contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Par ailleurs, le Code européen de sécurité sociale fixe, quant à lui, des normes utiles pour garantir ces droits. L’Assemblée rappelle la nécessité que ces différents dispositifs soient le plus rapidement possible ratifiés et demande au Comité des Ministres de renforcer son action dans ce sens.
14. A cet égard l’Assemblée se félicite des travaux menés par le Comité européen pour la cohésion sociale dans le domaine de la sécurité sociale, en particulier les réflexions engagées sur les conséquences pour la cohésion sociale et l’égalité entre les hommes et les femmes des réformes en cours dans le domaine des retraites. Elle relève également l’initiative d’organiser en 2004 une Conférence euro méditerranéenne ouverte à des Etats méditerranéens non membres.
15. Elle se félicite aussi que le Comité directeur pour les droits de l’homme travaille actuellement à l’inclusion des droits sociaux dans la Convention européenne des droits de l’homme ce qui permettrait notamment de mettre en œuvre la Recommandation N° R(2003)3 du Comité des Ministres sur le droit à la satisfaction des besoins matériels élémentaires des personnes en situation d’extrême précarité. Elle soutient ces travaux.
16. L’Assemblée se félicite de la décision du Conseil Européen de Bruxelles sur l’emploi, la politique sociale, la santé et la protection des consommateurs de décembre 2003 visant à « renforcer le processus actuel de coordination des politiques des Etats membres dans le domaine de la protection sociale, de manière à contribuer à la nécessaire modernisation des systèmes de santé ». Dans ce contexte, elle considère que le domaine de la sécurité sociale doit être un domaine prioritaire de la coopération entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne avec une meilleure planification des activités communes à moyen et long terme.
17. L’Assemblée invite les parlementaires des Etats membres à lancer à cette occasion un débat au niveau national et européen, de même qu’à promouvoir – au niveau national – les outils juridiques du Conseil de l’Europe pour trouver des solutions viables aux questions complexes de la réforme dans le domaine social. L’Assemblée parlementaire devrait examiner à échéance de deux ans un rapport présentant les conclusions de ces débats dans chacun de ses Etats membres.
18. En conséquence, l’Assemblée parlementaire recommande au Comité des Ministres :
i. d’introduire la question de la sécurité sociale et la lutte contre la pauvreté dans l’ordre du jour du Troisième Sommet des Chefs d’Etats et de Gouvernements du Conseil de l’Europe et de favoriser l’inclusion des cinq principes de la Recommandation N° R(2000)3 du Comité des Ministres dans le système de la Convention européenne des Droits de l’Homme ;
ii. de renforcer les mécanismes de contrôle dans le domaine social, en considérant comme une priorité le respect des engagements des pays membres en la matière ;
iii. de développer la connaissance des situations des différentes populations en termes d’indicateurs sociaux dans les pays membres où les problèmes sociaux sont une source grave d’instabilité politique afin de préparer des projets thématiques, régionaux, intégrés et de les mettre en œuvre en étroite coopération avec l’Union européenne ;
iv. de soutenir les actions de coopération menées par le Comité européen pour la Cohésion Sociale et le Bureau International du Travail afin d’améliorer la sécurité sociale dans les différents Etats membres.
II. Exposé des motifs par M. Evin
Un nouveau contexte
1. L’environnement économique mondial et européen s’est considérablement modifié ces trente dernières années. Les économies européennes se sont progressivement ouvertes, ce qui a eu pour conséquence d’accroître la compétition sur les coûts – notamment salariaux – pour les entreprises, et la compétition fiscale pour les Etats. Beaucoup tirent de l’ouverture croissante des économies un argument pour promouvoir une nécessaire diminution des charges qui pèsent sur l’Etat et les entreprises, au premier chef les charges représentées par le financement de la protection sociale.
2. Cependant, la compétitivité des économies ne se joue pas seulement sur leur coûts de production, mais repose aussi sur une main d’œuvre bien formée, qualifiée, mais aussi bien soignée et d’autant plus performante que les conditions de travail et de protection sociale garantissent une sécurité du lendemain nécessaire à tout investissement dans le travail. Ne pas avoir de système de protection sociale représente un coût élevé pour l’économie tout autant que pour les individus.
3. Les évolutions récentes de l’économie ont aussi signifié une transformation de la division internationale du travail, poussant les économies développées à une révolution post-industrielle et un recyclage vers les activités de service, sources de moins de gains de productivité que ne l’avaient été les activités industrielles. Cette évolution fait redouter un ralentissement de la croissance des ressources pour les dépenses sociales.
4. Parallèlement, la transformation des modes de production et de l’organisation du travail, devenu plus « souple » et les carrières moins uniformes, supposent de nouveaux standards pour la protection sociale qui a le plus souvent été construite pour protéger un salarié/ouvrier ayant une carrière continue et ascendante au sein d’une entreprise industrielle.
5. La persistance d’un chômage de masse pose de nombreux problèmes aux sociétés européennes, mais aussi à leurs systèmes de protection sociale. Le chômage est une source de dépenses importantes (en indemnisation ou autre forme de couverture plus ou moins directe des inactifs comme les préretraites, les assurances invalidités…), tandis qu’il diminue les recettes (du fait que les personnes sans emplois payent moins ou pas de cotisations sociales notamment).
6. Pour de nombreux pays européens, il est devenu essentiel que les politiques sociales soient le plus favorables possibles à l’emploi, aussi bien en ne représentant pas un coût trop élevé pour le travail, qu’en délivrant des prestations qui favorisent le retour à l’emploi. Le développement de politiques sociales actives, associant indemnisation généreuse du chômage et formation professionnelle, avec accompagnement individualisé des demandeurs d’emploi, semble une solution pour diminuer le chômage sans en passer par des politiques coercitives imposant un retour forcé sur le marché du travail, politiques qui se traduisent le plus souvent par un accroissement du nombre de travailleurs pauvres.
7. La société elle aussi s’est transformée, modifiant les références qui ont servis de base pour construire les systèmes européens de protection sociale. Le modèle de la famille où le mari travaille et la femme reste au foyer a été remis en cause avec la diversification des modèles de foyers, et notamment l’accroissement des familles monoparentales.
8. L’entrée massive des femmes sur le marché du travail a non seulement transformé les modèles familiaux et le marché du travail, mais elle suscite aussi de nouveaux besoin de services sociaux, afin de permettre de rendre compatibles vie familiale et vie professionnelle.
9. Le vieillissement de la population du fait de l’allongement de la durée de vie et de la diminution du nombre des naissances suscite de nombreuses interrogations quant à la soutenabilité future des systèmes de retraite. L’arrivée à l’âge de la retraite des enfants du baby boom tout comme l’allongement de la durée de vie vont entraîner une hausse des besoins pour les systèmes européens de retraites, tandis que ceux qui sont susceptibles de financer les retraites sont de moins en moins nombreux, du fait d’une diminution continue du nombre des naissances.
10. A première vue, ce sont surtout les systèmes financés en répartition (où les cotisants actuels financent les retraites actuelles) qui paraissent les plus touchés par ces évolutions démographiques. À l’inverse, les systèmes financés en capitalisation ne semblent pas touchés par le vieillissement de la population, dans la mesure où une génération se prépare elle-même sa propre retraite, et n’est donc pas dépendante de la taille de la génération suivante pour lui financer sa retraite. Pour autant, les systèmes en capitalisation vont aussi être sensibles aux évolutions démographiques. En effet, quand les fonds de pension vont devoir payer beaucoup de pensions aux générations nombreuses parties en retraite après 2010, ils vont devoir commencer à vendre leurs actifs (actions, bons du Trésor, etc.) pour trouver les financements nécessaires. Les personnes en âge de travailler susceptibles d’acheter ces actifs seront quant à elles moins nombreuses. Ce contexte de vente massive d’actifs auprès d’une population réduite va considérablement faire baisser la valeur de ces actifs, et va donc réduire la valeur du capital prévu pour les retraites et les ressources disponibles pour les retraités
11. Si les taux de fécondité ont partout baissé en Europe à partir de la fin des années 1970 (et plus récemment pour les pays d’Europe centrale et orientale), de nombreux observateurs ont noté qu’aujourd’hui, les politiques sociales les plus favorables aux naissances sont celles qui permettent aux femmes de combiner harmonieusement vie professionnelle et vie familiale en développant des modes de garde des enfants type crèche, nourrice ou aides aux gardes d’enfants à domicile. Ce sont en effet les pays qui ont développé ce type de politiques familiales qui connaissent les taux de fécondité les plus élevés, alors même que les pays aux dépenses familiales élevées mais uniquement destinées à aider les mères qui restent au foyer connaissent une chute importante de leur taux de fécondité.
12. Si le vieillissement de la population n’est pas le facteur principal des augmentations présentes et futures des dépenses de santé, il va néanmoins entraîner de nouveaux besoin en matière de soins de longue durée pour les personnes âgées dépendantes, dont le nombre ne va cesser de croître au cours des années à venir.
13. Dans tous les pays d’Europe, les dépenses de santé ne cessent de croître. Cette évolution correspond à des tendances lourdes, liées au vieillissement de la population, aux progrès de la technologie médicale et pharmaceutique, chaque avancée étant source de progrès sanitaire mais aussi de coût supplémentaire.
14. Il convient cependant de remarquer que les dépenses de santé n’évoluent pas toutes au même rythme selon les systèmes de santé des différents pays européens. Certains pays réussissent à relativement maîtriser l’évolution de leurs dépenses de santé, tout en garantissant un accès à tous aux soins de santé. Il s’agit notamment des pays qui sont parvenus à mettre l’accent sur les actions de prévention, ceux aussi qui ont réussi à instaurer une relation de responsabilité entre les fournisseurs de soins, les patients et les financeurs du système.
Des réformes nécessaires
15. Ces transformations nécessitent une modification des politiques sociales. Le monde et les sociétés ont tant changé depuis l’époque de la fondation des systèmes européens de protection sociale qu’ils ne sont plus parfaitement adaptés aux nouvelles situations. Trois orientations majeures marquent les réformes présentes et futures.
16. Il s’agit tout d’abord de mieux contrôler l’évolution des dépenses sociales, les ressources disponibles pour les financer étant plus limitées que dans la période des trente glorieuses.
17. Mais il s’agit aussi de profiter de la nécessité des réformes pour adapter les systèmes européens de protection sociale aux nouveaux modes de vie et aux transformations des risques sociaux. Certains manques ou certaines inégalités des politiques sociales passées peuvent en effet être corrigés dans les années à venir. La nécessité des réformes n’implique pas seulement des ajustements à la baisse et des coupes sombres. Il s’agit aussi de répondre à de nouveaux besoins sociaux, comme une meilleure formation professionnelle tout au long de la vie, comme aussi les besoins en services de la part des femmes qui travaillent, ou bien des personnes âgées dépendantes.
18. La dernière orientation générale vise à rendre la protection sociale plus favorable à l’emploi. Quel que soit le système de protection sociale, le maintien d’un haut niveau de protection sociale apparaît conditionné à terme par le maintien – ou le retour – à un haut niveau d’emploi. A ce jour, trois séries principales de réformes ont été engagées dans les différents pays européens afin de rendre effective cette priorité à l’emploi : des réformes du financement de la protection sociale visant à faire baisser les charges pesant sur le coût du travail ; l’instauration de contreparties plus strictes de formation ou d’activité en échanges de l’octroi des prestations ; la promotion de services collectifs destinés à favoriser l’activité féminine.
Il n’y a pas de réponse unique, univoque et uniforme
19. Si les difficultés générales rencontrées par les différents systèmes de protection sociale sont similaires, les différents gouvernements nationaux ne se trouvent pas confrontés aux mêmes enjeux dans la mesure où tous les pays européens n’ont pas les mêmes institutions de protection sociale ni ne partagent les mêmes objectifs en matière de protection sociale.
20. Pour l’Europe de l’Ouest, on peut regrouper les systèmes de protection sociale en trois grands groupes (les pays scandinaves, les pays anglo-saxons, les pays d’Europe continentale), en différenciant à la fois les objectifs politiques et sociaux qu’ils cherchent à atteindre et les instruments qu’ils utilisent pour les atteindre (politiques universelles et services sociaux gratuits, politiques sociales ciblées, assurances sociales financées par des cotisations sociales).
21. Ainsi, les politiques sociales sont organisées d’une manière différente, parce que les histoires sont différentes entre une vieille Europe dont la sécurité sociale est fondée plutôt sur les assurances sociales et les pays de l’Europe centrale et orientale où la sécurité sociale connaissait une très forte présence de l’Etat, conformément au modèle paternaliste de l’économie. Même à la suite des réformes économiques importantes qui ont été entreprises dans ces pays, la tradition de l’Etat providence reste très prégnante. Il est clair que le système de financement est aussi différent, avec un recours plus important à l’impôt dans certains pays, et dans d’autres pays des cotisations sociales plus élevées.
22. Face à ces défis, certains pays cherchent des solutions dans la privatisation des systèmes, d’autres pays, au contraire, réaffirment la nécessité de maintenir un système fondé sur les solidarités nationales et entre les générations. Le rapporteur ne croit pas qu’il soit possible au niveau de l’Assemblée parlementaire d’adopter des recommandations précises, adressées à chaque pays. Dans la mesure où prévalent des façons de faire et des objectifs en matière de Sécurité sociale très différents d’un pays européens à l’autre, il n’est en effet pas possible de définir une seule solution valable pour tous.
Il existe en revanche des principes communs à respecter
23. S’il n’est pas possible de définir une seule voie pour les réformes de la protection sociale, le rapporteur estime en revanche qu’il faut rappeler un certain nombre de principes que les Etats membres se doivent de respecter. Ces principes sont déjà affirmés dans les documents du Conseil de l’Europe ou d’autres organisations internationales : le BIT a consacré sa Conférence de 2001 aux problèmes de la sécurité sociale, l’AISS en 2002 a aussi rappelé les grands principes de la sécurité sociale.
24. Il est important que l’Assemblée parlementaire dans sa recommandation réaffirme les principes dont les Etats membres doivent tenir compte dans la mise en œuvre de leurs politiques sociales. Le rapporteur rappelle que le Conseil de l’Europe a déjà fortement contribué à définir ces principes.
25. En tant qu’organisation de défense des droits de l’homme, le Conseil de l’Europe a comme objectifs premiers la démocratie, la promotion des droits fondamentaux, le développement de l’Etat de droit afin de construire des sociétés européennes cohésives, durables et stables. Dans ce contexte, les textes fondamentaux que sont la Convention européenne des Droits de l’Homme, la Charte sociale européenne et la Charte sociale européenne révisée ainsi que le Code européen de sécurité sociale, son Protocole et le Codeeuropéen de sécurité sociale révisé sont des instruments qui permettent de définir les principes de la Sécurité sociale.
26. La sécurité sociale trouve son fondement dans la Charte sociale européenne et dans la Charte révisée. L’article 12 de la Charte demande expressément aux Parties contractantes :
* d’établir ou maintenir un régime de sécurité sociale (par. 1)
* de maintenir le régime de sécurité sociale à un niveau satisfaisant(par. 2)
* d’améliorer progressivement ce régime (par. 3)
* d’assurer l’égalité de traitement des nationaux des autres Parties contractantes dans ce domaine (par. 4)
27. L’article 12 se réfère par ailleurs à la Convention n° 102 de l’OIT sur la norme minimum de la sécurité sociale et au Code européen de sécurité sociale pour fixer le niveau de protection sociale considéré comme satisfaisant.
28. La Charte sociale européenne révisée protège aujourd’hui trente et un droits sociaux fondamentaux couvrant ainsi tous les aspects de la protection sociale. En plus du droit à la sécurité sociale, la Charte garantit le droit à l’aide sociale et médicale et celui de bénéficier de services sociaux. La Charte sociale révisée renforce cette dimension en introduisant un droit nouveau: la protection contre la pauvreté et l’exclusion sociale.
29. Aujourd’hui signée et/ou ratifiée par la quasi totalité des Etats membres du Conseil de l’Europe, la Charte définit une véritable norme européenne dans le domaine social et fait de la protection sociale un droit de l'homme fondamental.
30. Le Code européen de sécurité sociale et son protocole, et le Code de sécurité sociale révisé indiquent aux Etats les normes à respecter dans l’établissement de leur système de sécurité sociale. Ils définissent le niveau minimal de protection requise dans les branches traditionnelles de la sécurité sociale : la sécurité sociale a pour fonction de garantir des prestations en natures et en espèces (soins, indemnités, pensions, allocations) lors de la réalisation de certains événements tels la vieillesse, le chômage, la maladie, l’invalidité, les accidents du travail, la maternité, la disparition du soutien de famille.
31. La sécurité sociale occupe également dans la Convention européenne des droits de l’Homme une place importante, de nombreux arrêts, au fil des quinze dernières années, ayant traité de cette question.
Des principes pour l’avenir
32. L’ensemble de ces principes doit être préservés voire améliorés à l’occasion des nécessaires réformes. La mission première de la sécurité sociale est, comme son nom l'indique, d'assurer une sécurité aux personnes. En d'autres termes, chacun doit pouvoir s'en remettre à ce système pour obtenir une protection aujourd'hui, mais aussi dans les décennies à venir. Par conséquent, tout nouveau modèle de protection sociale doit être en mesure de garantir un revenu de remplacement d'un certain niveau lorsque le risque survient.
33. En matière de réforme des systèmes de santé, le rapporteur tient ainsi à rappeler que la tendance à la privatisation de nombreux services publics de santé dans les économies prospères et de manière encore plus marquée dans les économies en transition a fortement entamé le caractère universel des services de santé publique. Certes, le financement de la santé publique de nombreux Etats se trouve confronté à des défis importants et il est normal que des stratégies visant à réduire les coûts, à lutter contre le gaspillage et le manque d'efficacité soient mises en place. Mais comme l’a rappelé l’Assemblée dans la recommandation votée le 1er octobre 2003, les réformes des systèmes de santé en Europe doivent concilier équité, qualité et efficacité. « Le principal critère employé pour apprécier le succès de la réforme des systèmes de santé doit être l’accès effectif aux services de santé pour tous sans discrimination en tant que droit fondamental de l’individu, et en conséquence, l’amélioration du niveau général de santé et de bien-être de la population dans son ensemble. »
34. Malgré ces tendances et l'instauration de plus fortes participations aux frais par les usagers, un régime universel de santé publique, capable de garantir l'égalité d'accès aux principaux services de santé pour tous les membres de la société, gratuitement ou en échange d'une participation minimale doit rester l'objectif à atteindre.
35. En matière de réforme des retraites, le rapporteur tient à rappeler que le Code européen de Sécurité sociale, dans sa Partie V qui traite du risque vieillesse, prévoit l’attribution de prestations de vieillesse consistant en paiements périodiques, garanties à compter d’un âge prescrit et cela jusqu’au décès de la personne en respectant les règles suivantes :
* la pension doit consister en un versement périodique et non en un versement en capital
* l’âge déclenchant le versement de la pension doit être fixé (en principe 65 ans mais des exceptions sont permises)
* le montant de la pension doit être fixé en fonction d’un salaire de référence lors de la liquidation du droit (40% dans le Code – 45% dans le Protocole du gain antérieur de la personne)
* la pension doit être adaptée au coût de la vie
* le financement des pensions doit reposer sur la solidarité
* les cotisations à la charge des salariés ne doivent pas excéder 50% du total des ressources affectées à leur protection et à celle de leur famille
* l’Etat doit assurer la responsabilité générale du service des prestations.
36. D’une façon générale, la notion de sécurité sociale implique que :
* le système porte sur les risques sociaux essentiels
* qu’il couvre une part importante de la population
* qu’il s’appuie essentiellement sur un financement collectif
* que l’Etat soit le garant des cotisations.
37. La solidarité doit en effet porter sur la société dans son ensemble. Elle ne se limite pas à la solidarité qui existe entre les employeurs et les salariés, mais s'exprime par une responsabilité de ceux qui ont plus envers ceux qui ont moins.
38. L'Etat doit agir comme garant de la stabilité du régime de sécurité sociale, contrôler le fonctionnement du système et intervenir dès que les principes fondamentaux sont violés sans déléguer ces responsabilités essentielles à des acteurs privés. C’est durant des périodes de réformes et de transition comme nous les connaissons que la responsabilité de l’Etat revêt une importance particulière pour le développement futur de la sécurité sociale.
La protection sociale comme facteur de cohésion sociale
39. La protection assurée par la sécurité sociale est plus essentielle que jamais à une époque qui est caractérisée par l’insécurité du travail et de la globalisation et, par conséquent, il faut la renforcer et en étendre la couverture. Le rapporteur rappelle que le Conseil de l’Europe a inscrit la promotion de la cohésion sociale dans tous ses Etats membres parmi ses objectifs prioritaires, et souhaite que l’Assemblée soutienne cette initiative. Le Conseil de l’Europe a souligné l’importance des actions suivantes :
* la promotion d’instruments normatifs, et en particulier de la Charte sociale européenne et du Code européen de sécurité sociale;
* la promotion de l’accès aux droits sociaux fondamentaux, notamment la protection sociale, l’emploi, l’éducation, le logement, les soins de santé;
* la protection des groupes vulnérables
* l’édification d’une société européenne inclusive fondée sur les droits de l’homme, l’égalité entre les sexes, la non-discrimination, la tolérance, la participation et l’égalité des chances; la garantie d’un accès universel aux services sociaux, associé à des mesures de protection spécifiques.
40. Les droits sociaux sont le point de départ de la stratégie de cohésion sociale laquelle insiste sur l’importance des systèmes de sécurité sociale dans les termes suivants : « Les systèmes de sécurité sociale représentent l’une des expressions institutionnelles les plus puissantes de la solidarité sociale. Toute stratégie de cohésion sociale doit faire du renforcement de ces systèmes l’un de ses objectifs majeurs – surtout en ces temps où leur avenir et la question de leur financement suscite bien des interrogations » (paragraphe 14).
41. La sécurité sociale a pour tâche – et non des moindres – de promouvoir la stabilité sociale, d’éviter une trop grande fragmentation de la société, de diminuer la gravité des conflits sociaux et de réduire les disparités entre les classes sociales. Des normes minimales de protection sociale pour tous garantissent incontestablement des sociétés plus justes où chacun a accès aux services sociaux fondamentaux. Un développement économique sans développement social entraîne à plus ou moins long terme de graves problèmes. Le renforcement de la cohésion sociale grâce à un niveau minimal de protection sociale peut être considéré comme une stratégie préventive destinée à réduire les risques de troubles sociaux et de perturbations politiques dans l’avenir. En ce sens on peut affirmer que la sécurité sociale est un facteur de cohésion sociale car vivre sans sécurité sociale, c’est aussi vivre dans la peur : peur de la maladie, de l’accident, du chômage, de la vieillesse...
En conclusion
42. Le rapporteur rappelle que chacun doit pouvoir s'en remettre au système de Sécurité sociale pour obtenir une protection aujourd'hui, mais aussi dans les décennies à venir. Par conséquent, tout nouveau modèle de protection sociale doit être en mesure de garantir un revenu de remplacement d'un certain niveau lorsque le risque survient. Les droits sociaux, effectivement garantis, sont un facteur de la cohésion sociale et un facteur de stabilité démocratique. La sécurité sociale coûte cher, mais ne pas avoir de sécurité sociale peut coûter encore plus cher en termes économiques, sociaux et politiques.
43. Le rapporteur souligne que pour le présent comme pour l’avenir, l’affirmation des principes et des droits est importante, mais la garantie effective de ces droits est aussi essentielle. La stabilité, la crédibilité, l’efficacité des systèmes de sécurité sociale doivent être garantis, et c’est une responsabilité de l’Etat. Face aux tendances à la privatisation croissante des systèmes de Sécurité sociale, le rapporteur souligne combien il est de la responsabilité de l’Etat de garantir l’égalité et la solidarité face aux risques sociaux.
44. Dans une période où se multiplient les réformes de la Sécurité sociale, l’Assemblée parlementaire doit donc reprendre l’initiative afin d’affirmer les grands principes qui sont à la base de la sécurité sociale et qui renforcent les droits de l’homme. L’assemblée doit réaffirmer l’importance des outils qui existent au Conseil de l’Europe : le Code européen de la sécurité sociale, la Charte sociale du Conseil de l’Europe, ainsi que d’autres outils, par exemple, ceux du BIT ou de l’AISS. Les parlementaires doivent promouvoir ces outils au niveau national pour trouver des solutions viables et socialement justes aux questions complexes des réformes de la Sécurité sociale.
Commission chargée du rapport : Commission des questions sociales, de la santé et de la famille
Renvoi en commission : Doc. 9298, renvoi n° 2684 du 21 janvier 2002
Projet de recommandation adopté le 16 janvier 2004
Membres de la commission:
Mme Belohorská (Présidente), MM. Christodoulides (1er Vice-Président), Surján (2e Vice-Président), Mme McCafferty (3e Vice-Présidente), Mme Ahlqvist, M. Arnau, Mme Bargholtz, M. Berzinš, Mmes Biga-Friganovic, Bolognesi, MM. Brînzan, Brunhart, Buzatu (Remplaçant: Ionescu), Çavusoglu Yüksel, Colombier, Cox (Remplaçant: Vis), Daban Alsina, Dees, Donabauer, Drljevic, Evin, Flynn, Mmes Frimannsdóttir, Gamzatova, MM. Geveaux, Giertych, Glesener, Gonzi, Gregory, Gülçiçek, Gündüz Irfan, Gusenbauer, Hegyi, Herrera, Hladiy, Høie, Mme Hurskainen, MM. Jacquat, Klympush, Baroness Knight (Remplaçant: M. Hancock), MM. Kocharyan, Lomakin-Rumiantsev, Mmes Lotz (Remplaçante: Rupprecht), Lucic, MM. Makhachev, Malachowski, Markowski, Marty (Remplaçant: Schmied), Maštálka, Mmes Milicevic, Milotinova, MM. Mladenov, Monfils (Remplaçant: Goutry), Ouzký, Padilla, Pavlidis, Podobnik, Popa, Poty, Poulsen, Provera (Remplaçant: Tirelli), Pysarenko, Rauber, Riester, Rigoni, Rizzi, Mmes Roseira, Saks, M. Seyidov, Mme Shakhtakhtinskaya, MM. Slutsky, Sysas, Mmes Tevdoradze, Topalli, M. Vathias, Mme Vermot-Mangold, MM. Viera, Volpinari, Mme Wegener, MM. Van Winsen, Zernovski, ZZ…
NB: Les noms des membres qui ont pris part à la réunion sont imprimés en italique.
Secrétariat de la commission: M. Mezei, Mme Meunier, Mme Karanjac, M. Chahbazian
Février 2004