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MORAL M., ANGEL P. : Coaching. Outils et pratiques, 2006


Rédigé le Mardi 18 Avril 2006 à 09:27 | Lu 275 commentaire(s)



MORAL M., ANGEL P. : Coaching. Outils et pratiques, 2006

Éditions Armand Colin, France, 2006


Le coaching, issu du domaine sportif, vise à développer les compétences des individus et des équipes ; il fait figure, de plus en plus, de « must » dans les entreprises. Un succès qui ne va pas sans susciter des interrogations, des réserves, voire une certaine suspicion. D’où l’intérêt de ce petit livre, qui va droit au concret.

Qu’en est-il des pratiques actuelles en entreprise ? Comment sont-elles appréciées ? Qui sont les coachs, quels outils, techniques, méthodes utilisent-ils ? Quelle est leur déontologie ?
Michel Moral
.

Comment préparer un coaching, puis l’évaluer ? Comment se forme-t-on au coaching ?Quelles sont les frontières entre le recours légitime et telle ou telle pratique plus ou moins frelatée ? Deux professionnels engagés dans le coaching, forts de leur formation universitaire et de leur expérience sur le terrain, nous apportent tous les repères nécessaires.

Michel MORAL, psychologue clinicien et coach, diplômé de l’École centrale de Paris, est chargé d’enseignement à l’université Paris-8.

Pierre ANGEL, psychiatre et coach, est professeur des universités en psychopathologie à l’université Paris-8.



EXTRAIT

5. Le coaching de dirigeant et le feu du pouvoir

À l’inverse du manager intermédiaire, le dirigeant a toute latitude pour décider. Ce peut être le leader d’une petite équipe de stratèges au sein d’une immense multinationale, le président-directeur général d’une PME de 35 personnes dans le Vercors, ou le directeur d’une unité opérationnelle de 3 000 personnes dans une grande entreprise ; c’est, dans tous les cas, une personne qui a tout pouvoir pour définir ses objectifs, ses moyens et sa stratégie.

Exemple:
Le principal concurrent de Sales World Group, une multinationale nommée Global Trades, a pour culture de donner une autonomie maximale à ses unités opérationnelles. Paul, le directeur du bureau de Lyon, n’a que 250 personnes sous ses ordres. Tenu d’atteindre les objectifs de croissance du revenu et du profit, il est libre d’organiser son unité comme bon lui semble, « comme si cela était sa propre entreprise ». Il peut donc organiser ses « troupes » comme il l’entend, écarter un subordonné qui ne donne pas satisfaction, changer les règles financières au sein de son unité s’il le juge nécessaire.

Le pouvoir permet de contrôler l’environnement et plus particulièrement l’autre à travers cet environnement, notamment au travers de lois et de règlements. De façon ultime, le pouvoir permet de s’emparer des représentations d’autrui et même parfois de ses pensées. En outre, les liens entre pouvoir et savoir sont très étroits, puisque les comportements des subordonnés sont profondément modifiés lorsqu’ils sont observés par le détenteur du pouvoir.

« Le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument », dit l’adage (Lord Acton)… Indubitablement, le pouvoir change la personne. Les recherches montrent que les modifications sont de nature aussi bien physiologiques (production de neuromédiateurs ayant un effet tonique et un effet euphorisant, lesquels créent une accoutumance) que cognitives (construction d’une pseudo?réalité conforme au désir : image de soi déformée, attributions causales égocentriques, sentiment de perte de contact avec le réel). Des distorsions affectives peuvent en outre apparaître lorsque la réalité entre en conflit avec les valeurs de la personne.

Tout comme celui qui est au volant dans une voiture, le dirigeant est rarement malade : il semble au contraire inépuisable. Par ailleurs, il se sent bien, laisser tomber sa décision comme une pierre lui procure à chaque fois un profond sentiment de bien-être. Alors qu’il n’attirait pas l’attention avant d’être dirigeant, il remarque que ses propos provoquent maintenant des commentaires positifs. Il est donc devenu intéressant, du moins le croit-il.

Ses décisions changent la vie de beaucoup d’autres personnes, qui parfois en souffrent : il en ressent une vague culpabilité, qu’il chasse en considérant que le malheur de ces quelques-uns est nécessaire pour la survie du groupe qu’il dirige. Il y a bien quelque chose qui ne va pas, mais, de toute façon, il est loin de tout cela. Et puis, les conseillers du cabinet et le comité de direction disent tous que tout va bien et qu’il est aimé de ses employés, alors pourquoi chercher plus loin ?

Les rapports de la personne au pouvoir qu’elle exerce ou qu’elle subit sont ancrés dans la petite enfance, au cours de laquelle se forme un système de croyance (concept issu de la programmation neuro-linguistique, ou PNL), un paysage affectif (psychanalyse), des stratégies comportementales – révolte, soumission, coopération –, des schémas (cognitivisme) qui perdureront. Dans le cas du dirigeant, les schèmes de domination seront renforcés par les comportements de soumission parfois exagérés des subordonnés.

Exemple:
Kathy vient d’être nommée à la tête de la partie européenne d’une compagnie mondiale et prend ses nouvelles fonctions à Paris. C’est une femme sportive et, au cours du premier comité de direction, elle évoque sa passion pour le tennis. Elle commet l’erreur de dire : « Un de mes amis m’a fait essayer la nouvelle raquette X, qui est vraiment très bien. » Au cours de la semaine elle reçoit cinq de ces raquettes de la part de cinq de ses directeurs, avec à chaque fois le même genre de petit mot : « Il se trouve que je connais personnellement le PDG (ou le directeur technique, ou le président…) de X, qui se fait un plaisir de vous offrir… » Kathy avait déjà acheté cette raquette et découvre que, dans son nouveau poste, il lui faut être prudente dans ses propos.

Outre une vie imprégnée de pouvoir jusqu’à saturation, le dirigeant possède toujours un sens aigu de l’humain. En se hissant au sommet, il dû faire le deuil de la compétence technique et celui de sa familiarité avec un domaine d’activité au profit d’une nouvelle aptitude, celle de diriger, qui comporte une très forte orientation vers la relation humaine. Choisir les bonnes personnes, puis trouver avec elles le bon mode de travail, tel est l’essentiel de son métier. Il doit en outre faire le deuil de l’action immédiate au profit d’une attitude plus réfléchie et orientée vers une vision à long terme prenant en compte la complexité de son propre appareil productif face à celle de l’environnement.
Ces qualités peuvent déstabiliser le coach. En effet, il se trouve en face d’un coaché qui ne possède peut-être pas un savoir structuré sur l’humain, mais en a tout de même une connaissance profonde bâtie sur l’expérience. Si le dirigeant est parvenu à ce poste, c’est qu’il a jusqu’ici réussi ses choix humains, et qu’il en est conscient. Mais la puissance du dirigeant est à la fois sa force et sa faiblesse : les principales problématiques rencontrées sont en effet liées à l’utilisation du pouvoir dans un contexte où tout n’est pas soumis à ce pouvoir.

De plus, le dirigeant bénéficie d’un pouvoir que le coach, dans sa position de coach, ne dispose pas, ou ne dispose plus. Cette situation soulève des problèmes d’ordre éthique, déontologique et méthodologique.

Les supervisions montrent que le pouvoir du dirigeant peut provoquer de l’envie ou une admiration excessive chez le coach ; ces réactions contre?transférentielles très caractéristiques sont toutefois moins marquées chez les coachs qui ont eux-mêmes été dirigeants. En contact avec le dirigeant, le coach doit se demander si le pouvoir que détient le coaché doit changer son approche, quels effets ce pouvoir a sur lui-même et sur le coaché, enfin quel pouvoir lui-même a sur le coaché.

Si la question de l’expérience du pouvoir par le coach de dirigeant est importante, c’est que ce pouvoir est l’essence même de la fonction de dirigeant, et, faute de cette expérience, le coach court le risque d’être incapable d’entrer dans le monde du coaché. Mais fort de cette expérience, le coach doit être clair avec ce que représente pour lui cette « drogue » : en est-il libéré, ou vit-il dans le regret ?
Par ailleurs, compte tenu de l’internationalisation des opérations industrielles, le coach de dirigeant ne peut plus se passer de solides notions sur l’interculturel, puisque son client sera en contact avec d’autres cultures et évoquera les problèmes que cela suscite.

Enfin, il faut prendre en compte le fait que le dirigeant ne représente pas seulement lui-même, mais pour partie l’entité qu’il dirige. Tous ses subordonnés servent aussi cette entité dont il doit endosser les objectifs, la culture et les défauts.

6. Coaching et international

La définition du coaching à travers le monde n’est pas uniforme, et dépend pour une grande part de la culture. En France, on parle volontiers d’« accompagnement du changement » et le manager intermédiaire est le client le plus typique, en particulier lors d’une prise de poste, d’une restructuration ou de l’engagement dans une situation difficile. Le surinvestissement du pouvoir, consistant à accorder au supérieur hiérarchique plus de droits que de devoirs, très marqué dans la culture française (Moral, 2004), influence considérablement le profil de la demande. Dans l’environnement international, les enjeux ne sont pas la souffrance ni les querelles de pouvoir, mais plutôt l’accélération de la nécessité de s’adapter rapidement ; il s’agit donc d’« apprendre à apprendre à changer ».
Hormis le problème de la différence culturelle que nous aborderons plus loin, l’internationalisation se caractérise par l’accélération du rythme des mutations. Celles-ci interviennent aujourd’hui sans le moindre répit. Les structures traditionnelles sont bouleversées en raison des distances, du mouvement permanent, des contraintes imprévues et des opportunités inopinées. Des cultures d’entreprise qui ont fonctionné en harmonie avec une culture géographique se trouvent soudain inadaptées, la croissance et l’internationalisation passant désormais par des acquisitions et des alliances au détriment de la création de filiales.

Pour les entreprises, le principal problème est donc de sans cesse adapter la culture interne aux contraintes rencontrées. Ces transformations sont difficiles, car elles touchent l’ensemble des ressources humaines ; si la formation de masse permet de transmettre une partie du message, l’essentiel ne peut passer que par le coaching à un niveau aussi bien individuel que collectif.

Exemple:
La société X s’allie avec une entreprise canadienne dans le cadre d’accords complexes mêlant finances et savoir-faire. Plutôt paternaliste, la direction de X avait organisé depuis l’origine un système de management de type népotique (les responsables sont liés par l’appartenance à la même grande école). Les premiers contacts avec les dirigeants canadiens, pragmatiques et directs, bousculent les habitudes beaucoup plus feutrées du comité de direction de X, qui s’enferme de ce fait dans une hostilité boudeuse. Les projets communs piétinent alors qu’ils avaient justifié l’alliance entre les deux compagnies.

Dans cet exemple, il existe entre les deux organisations une volonté de « faire ensemble » ; toutefois, tant du point de vue global qu’individuel, des résistances interdisent la nécessaire libération de la capacité à agir de façon complètement différente. C’est au niveau des équipes, pas seulement le comité de direction mais toutes celles de la société X, que se situe le verrou qu’il faut faire sauter en produisant de nouveaux repères pour l’action. Dans ce cas, le travail de coaching, plutôt orienté vers les équipes au démarrage, peut déboucher sur des actions individuelles.


Par Michel Moral, Psychologue, Paris, France



Source : Psycho-Ressources



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