Françoise Champion
Psychothérapie et société
Françoise Champion (dir.), éd. Armand Colin, coll. « Sociétales », janvier 2009, 335 p. – 24 euros
Françoise Champion est sociologue de la santé mentale, chargée de recherche au Centre de recherche « Psychotropes, santé mentale, société » (Cesames, CNRS / Inserm).
Plusieurs évènements semblent être à l'origine de ce premier état des lieux historique et socio-anthropologique sur la psychothérapie en tant que phénomène social. Quels sont-ils ?
Disons d'abord que depuis le début du XXe siècle, ce phénomène social qu'est la psychothérapie n'a cessé de prendre de l'ampleur et qu'il n'y avait, jusqu'ici, en France, aucun travail sociologique sur le sujet. Ensuite, depuis les années 1990, des volontés administratives et politiques se sont manifestées pour contrôler la psychothérapie, sans, d'ailleurs, avoir su lancer d'appels à études pour connaître les usagers des psychothérapies ni les psychothérapeutes (à peine quelques enquêtes réalisées par Psychologie magazine, la MGEN, des psychothérapeutes eux-mêmes, analysées, bien sûr, ici). Ces projets de réglementation et de contrôle ont abouti à une loi en 2004 portant sur le titre de psychothérapeute et à une expertise de l'Inserm sur l'évaluation des méthodes psychothérapeutiques. Ces deux entreprises ont déclenché une violente « guerre des psy ». Les conflits se poursuivent, les décrets d'application de la loi ne sont toujours pas là…
Ces conflits interviennent-ils sur un fond quelque peu miné ?
En effet, des « déchirements » n'ont cessé de caractériser l'espace psychothérapeutique. Tout d'abord, parce que la psychothérapie est une pratique et une discipline mal définie depuis l'origine et exercée, de fait, aujourd'hui, par quatre catégories de professionnels : psychiatres, psychologues, psychanalystes et, enfin, psychothérapeutes qualifiés de « ni, ni, ni » (parce que n'appartenant à aucune de ces catégories), qui, à partir de 1990 ont revendiqué la création d'un titre de psychothérapeute. Ce faisant, ils ont mis en effervescence le milieu de la psychothérapie (psychanalyse comprise). Cette opposition entre médecins et psychologues renvoie à un désaccord quant à la nature de ce que prendrait en charge la psychothérapie : une maladie, un mal-être, une « souffrance psychosociale » ? Le conflit porte aussi sur la formation des praticiens de la psychothérapie : les psychiatres et les psychologues, dont le cursus universitaire ne comporte pas de formation spécifique à la psychothérapie peuvent-ils être psychothérapeutes ? Autre « déchirement » sur la conception des troubles psychiques : sont-ils circonscrits et isolés les uns des autres ou renvoient-ils à un « mal-être » global ? Enfin, la psychothérapie peut-elle être une pratique standardisée et codifiée ou bien repose-t-elle fondamentalement sur la relation entre le « psy » et son « patient », « client »… ?
Quel est l'avenir de la psychothérapie ?
Je pense qu'elle est appelée à se développer car les questions de santé mentale sont devenues un problème de santé publique majeur (en octobre 2007 a eu lieu la première campagne d'éducation et de prévention sur la dépression), avec un véritable coût économique que l'on chiffre désormais. Si nous ne sommes plus à l'heure du « tout psy », on s'oriente actuellement vers des prises en charge combinant médicaments et psychothérapies, et leurs usagers ont vite saisi les opportunités données par l'ouverture du marché psychothérapeutique. Si l'essentiel du livre porte sur les transformations du domaine de la santé mentale, nous terminons par une perspective anthropologique sur les changements de fonctionnement de l'individualisme : la norme de l'autonomie d'aujourd'hui consiste pour chaque individu à devoir choisir sa vie – jusqu'à être responsable de sa santé mentale.
Propos recueillis par Léa Monteverdi
Source: Journal du CNRS
Psychothérapie et société
Françoise Champion (dir.), éd. Armand Colin, coll. « Sociétales », janvier 2009, 335 p. – 24 euros
Françoise Champion est sociologue de la santé mentale, chargée de recherche au Centre de recherche « Psychotropes, santé mentale, société » (Cesames, CNRS / Inserm).
Plusieurs évènements semblent être à l'origine de ce premier état des lieux historique et socio-anthropologique sur la psychothérapie en tant que phénomène social. Quels sont-ils ?
Disons d'abord que depuis le début du XXe siècle, ce phénomène social qu'est la psychothérapie n'a cessé de prendre de l'ampleur et qu'il n'y avait, jusqu'ici, en France, aucun travail sociologique sur le sujet. Ensuite, depuis les années 1990, des volontés administratives et politiques se sont manifestées pour contrôler la psychothérapie, sans, d'ailleurs, avoir su lancer d'appels à études pour connaître les usagers des psychothérapies ni les psychothérapeutes (à peine quelques enquêtes réalisées par Psychologie magazine, la MGEN, des psychothérapeutes eux-mêmes, analysées, bien sûr, ici). Ces projets de réglementation et de contrôle ont abouti à une loi en 2004 portant sur le titre de psychothérapeute et à une expertise de l'Inserm sur l'évaluation des méthodes psychothérapeutiques. Ces deux entreprises ont déclenché une violente « guerre des psy ». Les conflits se poursuivent, les décrets d'application de la loi ne sont toujours pas là…
Ces conflits interviennent-ils sur un fond quelque peu miné ?
En effet, des « déchirements » n'ont cessé de caractériser l'espace psychothérapeutique. Tout d'abord, parce que la psychothérapie est une pratique et une discipline mal définie depuis l'origine et exercée, de fait, aujourd'hui, par quatre catégories de professionnels : psychiatres, psychologues, psychanalystes et, enfin, psychothérapeutes qualifiés de « ni, ni, ni » (parce que n'appartenant à aucune de ces catégories), qui, à partir de 1990 ont revendiqué la création d'un titre de psychothérapeute. Ce faisant, ils ont mis en effervescence le milieu de la psychothérapie (psychanalyse comprise). Cette opposition entre médecins et psychologues renvoie à un désaccord quant à la nature de ce que prendrait en charge la psychothérapie : une maladie, un mal-être, une « souffrance psychosociale » ? Le conflit porte aussi sur la formation des praticiens de la psychothérapie : les psychiatres et les psychologues, dont le cursus universitaire ne comporte pas de formation spécifique à la psychothérapie peuvent-ils être psychothérapeutes ? Autre « déchirement » sur la conception des troubles psychiques : sont-ils circonscrits et isolés les uns des autres ou renvoient-ils à un « mal-être » global ? Enfin, la psychothérapie peut-elle être une pratique standardisée et codifiée ou bien repose-t-elle fondamentalement sur la relation entre le « psy » et son « patient », « client »… ?
Quel est l'avenir de la psychothérapie ?
Je pense qu'elle est appelée à se développer car les questions de santé mentale sont devenues un problème de santé publique majeur (en octobre 2007 a eu lieu la première campagne d'éducation et de prévention sur la dépression), avec un véritable coût économique que l'on chiffre désormais. Si nous ne sommes plus à l'heure du « tout psy », on s'oriente actuellement vers des prises en charge combinant médicaments et psychothérapies, et leurs usagers ont vite saisi les opportunités données par l'ouverture du marché psychothérapeutique. Si l'essentiel du livre porte sur les transformations du domaine de la santé mentale, nous terminons par une perspective anthropologique sur les changements de fonctionnement de l'individualisme : la norme de l'autonomie d'aujourd'hui consiste pour chaque individu à devoir choisir sa vie – jusqu'à être responsable de sa santé mentale.
Propos recueillis par Léa Monteverdi
Source: Journal du CNRS