Le principe d'autonomie (du grec: autos = soi, nomos = loi, gouvernement).
Le principe d'autonomie joue un rôle central dans l'éthique médicale comme dans l'éthique tout court car sans autonomie, il n'y a pas de responsabilité morale possible. Toute personne peut être considérée comme potentiellement autonome dans le sens où elle possède le droit à l'autonomie. La personne met en oeuvre concrètement ce droit à l'autonomie lorsqu'elle agit de manière volontaire et indépendante, sans contrainte extérieure et en fonction de projets qui lui sont propres. L'autonomie implique donc:
- la liberté (c'est-à-dire l'absence de contrainte).
- la capacité de délibérer, décider et agir.
Dans la conception moderne associée au nom d’Emmanuel Kant, l’autonomie est à la fois le fondement des devoirs éthiques et la raison première du respect dû aux personnes humaines. Comme l’indique la formulation la plus connue de l’impératif catégorique de Kant, les personnes doivent être traitées comme des fins en soi et non seulement comme des moyens. En d’autres termes, c’est parce que les personnes humaines sont (potentiellement) autonomes, qu’il n’est pas légitime de les « chosifier » en les utilisant comme simples moyens servant aux fins d’autres personnes. Pour prendre un exemple médical, il est immoral de simplement passer outre au refus d’une personne de donner ses organes : le faire en arguant qu’il est plus important de sauver une vie que de respecter ce refus serait le type même de ce que Kant appelle « traiter quelqu’un comme un simple moyen ». On notera l’importance du mot « seulement » dans la formulation ci-dessus. Il est évident qu’un salarié, par exemple, est utilisé par autrui comme moyen de satisfaire des besoins humains, mais la personne du salarié n’est pas réductible à ce rôle : il n‘est donc pas utilisé « seulement comme un moyen » dans la mesure ou ses droits fondamentaux et sa dignité sont respectées.
Dans ce sens, la notion d’autonomie s’insère directement dans la perpective déontologiste (cf. Ethique déontologique et éthique conséquentialiste), mais ce serait une erreur de considérer que l’autonomie ne compte que dans cette perspective. Ainsi par exemple, les théoriciens utilitaristes classiques insistent sur la caractère central de l’autonomie comme fondement des libertés personnelles. Comme le dit J.S. Mill, « dans les affaires personnelles, la spontanéité individuelle a le droit de s’exercer librement ». Le respect de l’autonomie est alors étroitement lié à ce qu’on nomme parfois les droits-libertés, comme le droit de d’aller et venir, de s’exprimer librement et d’exercer toute activité qui ne nuit pas à autrui, sans en être empêché par quiconque.
Il importe de distinguer:
- l'autonomie en tant que fondement des droits de la personne humaine et qui à ce titre appartient en puissance à chaque être humain, y compris le nouveau-né et le patient comateux : en ce sens l’autonomie est un trait distinctif de la personne humaine et de sa dignité. Elle rejoint par là les droits fondamentaux de la personne tels qu’ils sont proclamée dans les diverses Déclarations des droits de l’homme);
- la capacité concrète à être autonome, qui est n'est pas affaire de "tout ou rien", mais peut être variable, plus ou moins manifeste dans divers aspects de la vie d'une personne, plus ou moins affectée par la santé et la maladie.
Autonomie au sens philosophique
- trait distinctif de la personne humaine
- base de ses droits fondamentaux
Autonomie au sens psychologique
- n’est pas affaire de tout ou rien
- résulte du développement personnel (Piaget, Kohlberg)
Autonomie au sens du droit -> capacité de discernement
- présente ou absente
- doit s’apprécier dans une situation concrète
- un mineur peut être capable de discernement
- un majeur peut être incapable de discernement
Dans un contexte biomédical, l’autonomie regroupe des enjeux éthiques touchant au droit de chacun de façonner librement sa destinée et à l’autorité de chacun sur sa propre personne, à commencer par son propre corps. La conséquence la plus directe du principe d’autonomie est la règle du consentement libre et éclairé. D’autres enjeux éthiques rattachées à ce principe sont les suivants:
- dire la vérité;
- préserver la sphère privée;
- protéger les renseignements confidentiels;
- assister la prise de décision autonome par le patient.
Le consentement libre et éclairé est essentiel tant dans la pratique ordinaire des soins que dans la recherche. En effet, on peut dire que le "noyau dur" du principe d'autonomie est un principe d'autorisation: fondamentalement, la permission du patient est requise pour toute action sur sa personne, comme par exemple une intervention médicale. Le corollaire du droit d'accepter, c'est évidemment celui de refuser: le refus autonome et informé d'un traitement, y compris un traitement vital, est à respecter, les exceptions étant codifiées par le droit (maladies contagieuses, hospitalisation non volontaire). L'autre corollaire du consentement informé, c'est le devoir d'informer qui en résulte pour le médecin, avec tout ce que cela implique d'effort et d'imagination pour trouver le langage approprié1.
Dans une éthique qui prend l'autonomie au sérieux, invoquer le bien du patient (principe de bienfaisance, q.v.) ne justifie pas tout. En cas de conflit ou d’interprétations divergentes sur ce qui constitue "le bien du patient", l'opinion de ce dernier à un statut spécial et cela non pas parce qu'elle serait la meilleure dans l'abstrait, mais parce que c'est celle de la première personne concernée. En d'autres termes, le principe d'autonomie implique de reconnaître l'autorité finale de chacun d'entre nous sur sa propre personne et ses projets de vie.
L'information, le respect de la confidentialité etc. sont dus en priorité au patient lui-même, plutôt qu'à des tiers (famille). Cela n'invalide évidemment pas l'importance de ces derniers, en particulier dans toutes les situations où l'autonomie du patient est diminuée.
Le respect de l'autonomie du patient doit s'interpréter dans la durée. Il concerne les préférences, valeurs, choix de vie durables du patient, c'est-à-dire ceux qui sont l'expression authentique de son individualité.
Le droit à l'autonomie du patient n'est pas illimité. Il est limité notamment par l'autonomie des soignants (cf. futilité) et par certains intérêts prépondérants de la collectivité. Dans ce denier cas, le droit stipule quels sont ces intérêts et dans quelles circonstances ils permettent de passer outre au principe d’autonomie.
L'autonomie du médecin, des infirmières, des étudiants en médecine et de tous les soignants quel que soit leur place dans la hiérarchie hospitalière est également essentielle.
Bien entendu, la capacité concrète d'être autonome est souvent limitée, parfois très sévèrement. Mais c'est précisément parce que l'autonomie est fragile qu'elle doit être défendue. L'un des objectifs de la médecine est de défendre et promouvoir l'autonomie concrète du patient dans toute la mesure du possible.
Dans les cas où l'autonomie à défendre appartient au futur (enfants), ou qu'elle est durablement entravée, il convient d'obtenir un consentement substitué d'un proche habilité à représenter valablement les intérêts et les valeurs du patient. De plus, chacun devrait avoir la possibilité de se déterminer à l'avance sur certains aspects essentiels du traitement d'une maladie grave pour le cas où il ne serait plus lui-même en état de décider (directives anticipées).
Le concept d’autonomie est un des principaux points de contact entre l’éthique et le droit. En effet, l’exercice concret de l’autonomie par une personne est consacré dans le domaine par le biais de plusieurs notions distinctes, mais corrélées entre elles :
- majorité civile
- capacité de discernement
- majorité pénale
- majorité sexuelle
Rappelons que la majorité civile, fixée à 18 ans, détermine l’âge où commence l’exercice des droits civils, c’est-à-dire la capacité « d’acquérir et de s’obliger » (CCS, art.12). Or s’obliger, ce n’est rien d’autre que de se donner à soi même des obligations et des responsabilités, c’est-à-dire dans le langage philosophique classique, se donner à soi-même sa propre loi : auto-nomie! Les mêmes articles 11 à 19 du Code civil suisse introduisent une autre notion essentielle, celle de capacité de discernement. « Toute personne majeure et capable de discernement a l’exercice des droits civils » (art. 13). La majorité civile ne suffit donc pas à l’exercice concret de la totalité de ces droits, qui ne peuvent être mis en oeuvre par les personnes adultes dont la capacité de discernement est temporairement ou définitivement affectée par une cause légale d’incapacité (art.17).
Qu’en est-il alors des mineurs et en particuliers les adolescents ? « Toute personne qui n’est pas dépourvue de la faculté d’agir raisonnablement à cause de son jeune âge, ou qui n’en est pas privée par suite de maladie mentale, de faiblesse d’esprit, d’ivresse ou d’autres causes semblables, est capable de discernement dans le sens de la présente loi (art. 16) ». On voit donc que la capacité de discernement est présumée, en l’absence d’une cause définie indicatrice de son absence (« cause légale d’altération de la capacité de discernement »). De plus, il faut signaler qu’en droit suisse, on considère que la relation médecin-patient relève des « droits strictement personnels » mentionnés par l’art. 19 al.2 CCS, droits que les mineurs capables de discernement peuvent exercer directement. Ainsi, un mineur capable de discernement peut consentir seul à un acte médical et il convient de s’en souvenir lorsqu’il s’agit de patients adolescents.
Ces notions de droit civil sont celles qui concernent le plus directement le médecin confronté à la tâche d’évaluer l’autonomie décisionnelle concrète du patient. Mentionnons néanmoins pour mémoire deux autres notions reliées à l’autonomie et relevant du droit pénal, la majorité pénale (18 ans, avec certaines réserves, cf. art 100 CPS) et la majorité sexuelle. Cette dernière est fixée à 16 ans par l’art. 187 et suivants du Code pénal réprimant les atteintes à l’intégrité sexuelle. Entre 16 et 18 ans, la loi protège les mineurs contre les entreprises sexuelles de personnes ayant une autorité quelconque sur eux (art.188).
Enfin, toute « personne hospitalisée, internée, détenue, arrêtée ou prévenue » est semblablement protégée, quel que soit son âge (art.192), ce qui rejoint l’interdit hippocratique traditionnel2.
ATTITUDES FAVORABLES AU RESPECT DE L'AUTONOMIE (d'après D. English) :
1 - Assurance émotionnelle face au refus de traitement: ne pas le prendre comme une critique personnelle.
2 - Accepter que le patient ait un système de valeurs différent.
3 - Accepter l'incertitude scientifique et médicale et ne pas la dissimuler au patient.
4 - Etre conscient que le patient est dans une position dépendante ("Les hommes ont une passion extrême pour l'autorité" S. Freud) ... et ne pas simplement en profiter au nom de l'efficacité.
1 M. Mandofia-Berney, M. Ummel et A. Mauron : Diffusion et partage de l’information médicale dans la relation thérapeutique. Cahiers médico-sociaux 39, 345-364 (1995).
2 . Le principe général du droit actuel concentrant les délits de nature sexuelle est qu’un comportement sexuel n’est punissable que s’il nuit à autrui ou qu’un des partenaires n’a pas ou ne peut pas valablement y consentir. Parmi les nouvelles dispositions, citons celle qui rend non punissables les relations sexuelles avant 16 ans si la différence d’âge des partenaires est inférieure à 3 ans (art 187 al.2).