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ERACliS : un dispositif clinique alternatif


Rédigé le Dimanche 1 Février 2009 à 17:22 | Lu 4138 commentaire(s)



Depuis 1998 à St-Pierre, département de La Réunion, un collectif de psychologues cliniciens constitués en association 1901, que nous avons appelé ERACliS (Écoute et Recherche-Action en Clinique Sociale) construit un mode d’exercice différent de la psychologie.

En 1997, nous étions quelques-uns à nous réunir pour une réflexion sur nos pratiques, avec en marge, comme très souvent dans les rassemblements de psychologues, des échanges sur nos vécus dans nos institutions, constats et fragments d’analyses sur les aléas du sujet-usager, sur le statut précaire de sa parole et de sa demande dans les institutions spécialisées où nous exercions. Nos réflexions portaient sur la difficulté d’y élaborer un cadre clinique qui préserve et soutienne l’unité du sujet. Depuis, se sont écoulées près de neuf années à tenter de faire dispositif, entre l’engagement « militant » ou la part d’utopie et l’apprentissage terre-à-terre de la gestion d’une microstructure, entre désir d’élaborer une psychologie indépendante de l’institution spécialisée et besoin de créer un nouveau cadre pour la relation clinique.
Parler ici, devant des psychologues, de l’expérience d’ERACliS, ce sera tenter de la restituer dans sa dynamique de recherche-action, tout en la référant à cette idée de clinique sociale par laquelle on a cherché à traduire le mouvement de notre réflexion initiale ; recherche de transversalité dans notre pratique, tentative pour sortir des cloisonnements, des sur-spécialisations, propres à la pratique institutionnelle, parallèlement à nos découvertes de nouvelles demandes, de nouvelles attentes sociales, vis-à-vis du psychologue.

Ainsi, notre expérience veut parler d'indépendance de la psychologie, de contribution des psychologues à une approche clinique alternative, de la prise de responsabilité du psychologue, d’un microdispositif dédié au psychisme, dans une démarche collective de recherche.

ERACliS, ce sont trois pôles ou secteurs d’activités articulés entre eux :
* un espace de consultations psychologiques, * des interventions auprès d’institutions,
* un groupe de recherche de psychologues cliniciens.

1 - L’espace de consultations psychologiques1 est défini par : une structure de consultation « de ville », un bureau à Saint-Pierre, une plaque sur la rue, un lieu de proximité, discret mais visible, identifiable comme étant un lieu où l’on rencontre des psychologues, un numéro de téléphone.
Jusqu’à cette fin d’année 2006, nous y avons reçu 800 demandes d’aide psychologique. 1 000 entretiens sur la période 2000-2005 pour 325 personnes reçues. Nous avons été confrontés à la nécessité de créer les outils de suivi de notre activité ; nous nous sommes donnés l’exigence d’un rapport annuel d’activité détaillé.

Notre projet se signale en premier lieu par :
Un dispositif d’accueil et d’analyse de la demande.
Il consiste en une permanence téléphonique par roulement entre les psychologues, permettant d’offrir une continuité de l’accueil téléphonique ainsi qu’une première écoute par un psychologue.
Cet accueil et première écoute de la demande permet un recueil précis des éléments de contenu ; il s’agit aussi d’offrir un étayage à la personne dans l’élaboration de sa demande. Dans les institutions spécialisées, la réception des demandes est souvent effectuée par un personnel non spécialisé, il s’agit d’une tâche administrative d’enregistrement. À l’inverse, il s’agit pour nous de travailler à des réponses cliniques au plus près d’une demande, donc de recueillir chaque demande d’une manière elle-même clinique.
Le groupe d’analyse de la demande, se réunissant chaque semaine, est l’instance de travail clinique sur les demandes reçues. Le psychologue de permanence y présente les nouvelles demandes ; le groupe d’analyse co-construit un premier travail de sens sur chaque demande. La responsabilité d’engager un travail clinique sur la base de cette demande est prise ensuite par l’un des collègues du groupe.
Ce cadre nous permet de rester « au plus près » de la demande adressée, d’en appréhender le mode de constitution. Ce mode de travail nous permet, par exemple, de questionner le ressenti de l’urgence, c’est-à-dire de la demande mise en acte. On sait tous que le ressenti de l’urgence fonctionne comme un accélérateur, producteur d’un surcroît de demande (le sujet n’est pas tout à fait là où il se dit). Notre dispositif tend ainsi à opérer comme réintroduction d’une temporalité, donc de l’historicité : on écoute une demande, on en prend note, puis on en parle ailleurs, ensuite on revient vers le sujet après réflexion sur sa demande.
Les consultations sont payées au tarif commun des honoraires de psychologues. Nous avons mis en place un aménagement des honoraires pour les personnes signalant des difficultés financières : chaque psychologue peut décider d’un abattement pouvant atteindre 50 % du tarif.
Les psychologues ne sont pas rémunérés pour les consultations qu’ils réalisent. Nous ne parlons pas de bénévolat, nous souhaitons définir notre engagement individuel dans un cadre de recherche-action, lequel repose sur l’exercice de notre temps dit « FIRe » ou tiers-temps.
Ce collectif clinique est composé de 3 à 4 collègues en général. Deux à quatre séances sont assurées par semaine.
Nous devons équilibrer un budget entre : des frais fixes, une marge de sécurité par rapport aux variations d’activité, ainsi qu’un provisionnement en vue de moyens professionnels : formations, soutien à la démarche personnelle de formation, achat de documentation, ouvrages.

2 - Les interventions cliniques auprès d’institutions.
Depuis 1999,15 institutions nous ont adressé des demandes d’interventions.
Quelles sont ces demandes ?
Il s’agit de l’accompagnement clinique d’équipes professionnelles, socio-éducatives, soignantes, de professionnels concernés par l’accueil et le conseil de publics.
Ainsi que de l’accueil à notre consultation de leurs usagers.
Quelles sont ces institutions ?
Il s’agit d’associations ou administrations qui n’ont encore jamais recruté de psychologue, des institutions spécialisées dans lesquelles l’intérêt pour la dimension psychologique de l’action spécialisée – action d’aide sociale ou médico-sociale notamment – est un fait inédit, des structures pour lesquelles le projet d’un accompagnement des équipes professionnelles est également un fait nouveau.
Leur demande est généralement une attente d’aide psychologique à partir de constats de souffrances, du public ou des équipes. Elle nous est quelques fois, mais moins souvent, adressée comme attente à travailler ou à élaborer une pratique.

C’est pourquoi, il nous a fallu construire un positionnement visant à :
* Faire connaître notre métier à des interlocuteurs professionnels qui ne le connaissent pas, élaborer une méthode de travail pour définir le cadre de notre action, ses limites.
* Mettre en place un dispositif leur permettant d’aborder la vie psychique de leurs usagers.
* En somme : travailler à l’accueil de la question psychique dans ces institutions.

Quelques exemples :
Une association d’éducation populaire a la responsabilité d’une boutique de solidarité l’abbé Pierre, c’est-à-dire de l’accueil de jour de personnes en très grande détresse sociale, matérielle, sanitaire, souvent sdf.
Nous avons rencontré une équipe peu formée et inexpérimentée, elle-même en état de souffrance face à la souffrance des usagers. D’où des appels à l’aide, adressés aux psychologues par cette structure, sur un mode résolutoire : réduire voire faire disparaître ce qui dérange.
Il y avait pour cette équipe l’idée de « mettre du psy » pour « offrir au moins quelque chose ». Mais c’était un projet difficile à assumer par l’institution dont les responsables eux-mêmes possédaient une représentation globalisée du « psy » : c’est pour les fous ! D’où une gêne à défendre ce projet devant leurs usagers, par peur qu’ils ne leur renvoient : vous nous placez devant des « psys », vous nous prenez donc pour des fous !
C’est ce qui a amené les responsables de cette structure à nous formuler cette demande : « Pourriez-vous ne pas dire que vous êtes des psychologues ? »
Ce type de travail était neuf pour nous, en ce qu’il nous a fallu élaborer des bases de notre intervention : « nous n’avons de sens à donner qu’en disant qui nous sommes », alors que dans les institutions spécialisées qui nous emploient ces bases sont généralement déjà là.

Un Centre d’hébergement et de réinsertion sociale (chrs) : Là aussi, constat de souffrance des résidents par une équipe socio-éducative elle-même en recherche d’un positionnement, d’un accueil professionnel de cette souffrance.
Ici, notre projet de recherche-action a construit un dispositif d’accueil des demandes d’aide psychologique des résidents à notre consultation, en lien étroit avec l’accompagnement des équipes, lors de deux séances mensuelles, dans une réflexion sur les situations et dans une démarche d’élaboration (voire de professionnalisation).
Les enjeux cliniques de ce travail furent de soutenir les professionnels, notamment de construire avec eux le sens qu’il y a à laisser le résident formuler sa demande au psychologue : en quoi l’interventionnisme des travailleurs sociaux pouvait faire dépossession, en quoi aussi l’accompagnement de l’équipe, le sens qui se construit dans une démarche d’appropriation, peuvent limiter la tendance à projeter sur le psychologue une image de « sauveur ».

L’enjeu de ces interventions fut d’articuler une commande institutionnelle – centrée sur la réduction du symptôme… ou du désordre – à notre propre projet clinique centré sur le sujet, sujet de demande, sujet de parole, de construction de savoir ou d’appropriation lorsqu’il s’agit de professionnels. Faire payer une institution pour quelque chose qui risque fort de lui échapper… Et il est arrivé que telle institution ait refusé de continuer à payer. Comment construire une pratique sur ces questions ? La démarche de recherche-action y contribue en partie : la plupart des institutions partenaires acceptent d’être co-constructeur d’une méthodologie plutôt que prescripteur.

Les psychologues engagés dans ces projets conventionnés sont rémunérés en vacations ou salariés. L’association a salarié un psychologue clinicien à mi-temps en 2004 et 2005. Les autres psychologues interviennent dans le cadre d’une convention entre l’association et eux-mêmes, d’une manière limitée qui ne constitue jamais un équivalent d’emploi.

Les recherches-actions sur lesquelles nous travaillons donnent lieu à un important travail de réflexion méthodologique et elles se concluent toujours par un travail écrit.

L’un des thèmes de recherches-actions :
Comment intervenir dans un milieu neuf de questionnements professionnels sur la dimension psychique ?

3 – Les réunions cliniques mensuelles.
Des séances de travail ont lieu chaque mois, qui réunissent tous les membres de l’association, qu’ils soient ou non engagés dans une recherche-action ou dans le centre de consultations.
Ce cadre nous permet de poursuivre la construction de notre projet clinique, en lien avec la prise en compte des demandes nouvelles qui nous parviennent, lesquelles sont autant celles du sujet que celles des institutions.
Du côté du sujet, il s’agit des demandes « ciblées » psychologue, demandes d’un accès direct, demande à être écouté et que cette écoute spécialisée soit elle-même créatrice d’un effet en tant qu’acte clinique. Cette évolution est le fait d’un sujet citoyen autonome adressant une demande à un psychologue lui-même autonome, devant recentrer son positionnement sur :
Sa présence dans la cité. L’une des significations de clinique sociale, clinique dans le champ social.
Un dispositif clinique généraliste ou transversal, non spécialisé sur une problématique ou une catégorisation de public.
Tous les questionnements qui se présentent ne sont pas spécifiques à ERACliS, mais ERACliS nous permet de travailler ces questions de manière privilégiée par rapport à l’institution.

Quelques différences avec la pratique institutionnelle :
** Ces recherches-actions ont un début et une fin : la présence du psychologue clinicien n’a pas nécessairement à être permanente pour que sa contribution soit créatrice de sens. A contrario, là où il y a nécessité d’une permanence, c’est dans l’élaboration d’un cadre clinique : il reste pour nous une question permanente.
Comme on l’a vu dans les deux exemples d’interventions en institution présentés ci-dessus, derrière l’usager dont on nous signalait un besoin, il y avait l’institution dans son attente. En cherchant à restituer à chacun sa demande ou son attente, nous avons introduit une approche nouvelle pour ces professionnels. Pour leur faire prendre conscience que l’auteur d’une demande est lui-même sujet, y compris quand c’est le professionnel qui demande pour l’usager, notre intervention devait donc prendre elle aussi des formes nouvelles.
** Dans notre dispositif, on fait l’expérience de la transversalité de la psychologie clinique : le « savoir » du clinicien n’est pas une spécialisation selon telle ou telle catégorisation institutionnelle, mais une approche structurelle du sujet. Cela a à voir avec l’unité de la Psychologie.
** Grâce à cette expérience, d’autres types de liens nous apparaissent entre pratique et réflexion, un autre positionnement en tant que psychologues dans une attitude de recherche comme composante primordiale de la pratique clinique.

QUELLES PERSPECTIVES ?

De notre point de vue, on peut dire que la clinique est un engagement, un projet en permanente élaboration, alimenté par un mouvement d’appropriation. Elle a partie liée avec les changements sociaux, avec l’évolu­tion de la demande sociale, du rapport du sujet-citoyen à ses difficultés à être.
Nous sommes collectivement confrontés à la question de l’avenir de notre profession, en parallèle avec la remise en cause des services publics sous couvert de remaniements des missions institutionnelles. Le psychologue pourrait-il être un professionnel qui s’intéresse aux dispositifs cliniques et à sa propre responsabilité dans leur évolution ?
C’est en tant que psychologues que nous avons cherché à prendre une place dans l’élaboration de dispositifs. Sur ces quelques années, nous avons pu montrer aux institutions partenaires que nous sommes des gens capables de construire, d’être constants, qui parviennent à s’organiser, apprennent à gérer, à compter, tout cela pour soutenir un cadre qui nous paraît bon pour l’accueil de la souffrance psychique, plus largement un cadre dédié à la vie psychique.
ERACliS est-elle une institution créée par des psychologues ou bien une alternative à l’ancienne institution spécialisée voulant parler d’une certaine approche de l’avenir de notre profession ? On parle de cet avenir comme pouvant se jouer sur la scène sociale et non plus seulement dans le seul espace clos de l’institution spécialisée. Cet avenir est donc articulé aux nouvelles demandes sociales. De nouvelles attentes appellent de nouveaux dispositifs, caractérisés par davantage de transversalité, transversalité en rapport avec les besoins psychiques du sujet contemporain. Nous nous confrontons, dans ce quotidien qui nous est propre, à la mise au travail de la question de l’indépendance du psychologue. Ainsi, l’« acte du psychologue » n’est plus seulement déterminé par la « liberté qui (nous) est accordée », mais aussi par le positionnement que nous construisons.
En tant que pratique isolée, microdispositif local, notre cadre ne constitue actuellement qu’un « tiers de poche ». Il reste fragile, n’étant soutenu que par notre mobilisation et notre volonté de penser.
Je forme le vœu que d’autres tentatives de faire dispositif continuent à voir le jour, que davantage de psychologues prennent le risque d’instituer de nouvelles approches cliniques transversales.

JC CHARLES, novembre 2006.




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