Nous avons beau nous torturer l’esprit pendant des heures, nous pouvons toujours chercher à nous rassurer en lisant les avalanches de pages que les éditeurs nous servent toujours et encore, nous pouvons sans cesse tenter de comprendre, de jongler entre les textes et les références, nous dire qu’un monde nous a échappé pendant tout ce temps, ce dont il s’agit avec les TCC aujourd’hui est bien l’œuvre d’un triomphe. Partout, dans l’entreprise, dans les journaux, dans les ministères, lorsque nous parlons des TCC, c’est de la généalogie d’une victoire généralisée dont nous tentons de nous défendre. Les Entretiens de la Psychologie, sorte de face visible de l’iceberg.
Jadis, nous avions des amis qui nous disaient, les yeux pétillants d’absurdité à la sorite de leurs cours de psychologie : " je peux rendre un chien fou en un quart d’heure ". Nous plaignions le chien, et renvoyions l’amitié au vestiaire. Désormais, le discours a changé. Il convient de dire : " je peux soigner un TOC, avec une TCC, comme le DSM IV nous en parle, le DSM de l’ASP –American Society of Psychiatrie-, créée aux USA ". Et si jamais il vous venait à l’esprit de vous étonner, et bien, c’est que vous n’avez pas de cœur, que vous n’êtes ni sensible à la souffrance, ou ni sensible aux abréviations, au lustre des trois lettres. DSM, TOC, USA, TCC, ASP, souvent, le Standard, c’est trois lettres.
Une idée saugrenue : RSI, voilà trois lettres également. Réel, Imaginaire, Symbolique, du nom du séminaire de Lacan en 1975. Tous les ouvrages vous en parle. Lacan, c’est RSI, et puis aussi le langage, quelque fois, de la psychanalyse ? certes pas, ce qui circule, c’est qu’il fumait des cigares. Imaginez donc la Grande Histoire. Imaginez donc qu’aux Entretiens de la Psychologie, on s’interdise de fumer des cigares, ou plutôt que l’on en fume des biens droits, lorsqu’au fond le monde entier se demandait comment Lacan faisait pour fumer des cigares défaillants. De l’égarement tout cela ? En apparence seulement. A la défaillance des choses bien droites, les trois lettres de Lacan pourraient elles aussi faire lustre : RSI. Tout, jusque là, pourrait ressembler à un charmant compte de fée bien mené. Or, le lecteur peut noter que, dés le séminaire XX, la mathématisation du nœud n’est pour autant pas établie de manière certaine. De plus, la prévalence imaginaire par lequel le nœud borroméen noue les trois lettres, montre qu’un système formalisé ne permet pour autant pas de statuer sur le système lui même. L’autonomie du système peut faire lustre car il ne cesse pas constamment d’être possible. Lacan ne tient d’ailleurs pas non plus pour certain que le nœud soit un fait mathématique (XX, page 163). Nous pourrions continuer, mais les choses deviennent plus difficiles. Le lecteur passionné peut à loisir se casser les dents sur l’ouvrage de René Lavendhomme ‘Lieux du sujet, psychanalyse et mathématique’ au Champ Freudien.
En revanche, et il s’agit peut-être là du véritable enjeu du nœud borroméen, l’important est " ce pour quoi nous accédons au réel qu’il –le nœud borroméen- nous représente " (XX p. 167). Cela rend la classification, non plus discontinue mais continuiste, s’attachant aux défauts de nouage de la structure du sujet. Ce qui est en jeu ici n’est pas le plein. C’est le manque. Le manque, peut-être, de ne pas se guérir d’être un être parlant.
Au fond, il n’y a d’Entretiens de la Psychologie que d’Entretiens des Fictions du Plein. Avec un peu d’effort, il suffirait de réajuster les lettres. La psychologie, le psychologue, au début, c’est souvent un peu trop plein. Alors, il suffit d’une rencontre, d’un détour, par exemple, pour rencontrer la psychose, pour apprendre que ce qui est en jeu est un réel, et que le réel ne remplit pas un verre. C’est brut, ça crie, ça tape, ça cogne, ce n’est pas un truc de salon, on ne boit pas un bon verre avec ça. Mais nous apprenons comment ça marche lorsque l’Autre n’existe pas, lorsque la parole ne fait pas lien social, lorsqu’en fait le rapport au langage est une bataille.
Alors, dans les conversations du soir, les Entretiens de la Psychologie peuvent être parlés : " Machin, qui est Professeur de Science Bidule-Truc, vient faire une conférence sur les Maladies du Rapport à la Brosse-à-dent, les MRB, tout nouveau concept, qui a valu à Machin la distinction de l’année. Machin est également l’auteur d’un ouvrage sur les MRB nouvelle sorte. Quand on pense que Machin était à la SPP… ". Voilà en somme ce qu’est le parcours d’un chercheur sur les Entretiens de la Psychologie. Vous tapez des occurrences et vous tombez sans cesse sur les mêmes. Alors, les Entretiens sont parlés dans la mesure où l’on en délimite qu’un petit domaine. Un triomphe en somme, dont on peine à prendre la mesure. Il n’y a donc plus de bataille. Le calme plat, et puis, quelques uns qui s’énervent, qui n’en peuvent plus toujours d’entendre des imbécillités.
Alors, que faire. Retourner travailler probablement. Il y a des sujets qui n’attendent pas, qui témoignent que le réel est plus fort, comme quelqu’un me disait il y a quelque jour, juste avant qu’il prenne sa voiture, justement, pour aller travailler. Notre chance est peut-être là. Il y a des sujets qui se dérobent à l’enfermement du plein.
A l’heure où j’écris cela, d’ailleurs, ils doivent discuter les Machins et Accoyer. Ils doivent ronronner tranquillement, regarder leur montre, afficher un sourire large et regarder avec dédain la salle qui pose des questions pour faire que plein soit plus plein que plein. Ce à quoi les Machins doivent s’atteler à démontrer que le plein n’est pas encore assez plein.
De l’agacement, certainement, un épuisement aussi à ne plus avoir à entendre parler des TCC, des Entretiens, du bouquin illisible de Servan-Schreiber.
Une chose est sûre. Leur démission face au réel. Notre force, me dis-je alors, c’est que chez les freudiens, on ne démissionne pas comme ça. Un bateau qui tangue n’est pas la mer qui se retourne. C’est un bateau qui tangue, et on reste dessus, quitte à crier très fort que ce n’est pas amusant.