Vingtième Jeudi de l’Ordre
Médecins et autres métiers de santé : quelle collaboration, quelle cohabitation ?
INTRODUCTION
La crise démographique que traversent certaines spécialités médicales pourrait-elle être la cause d'une re-définition d'autres spécialités, ou encore de l'extension du domaine de compétences de certains métiers, auxiliaires du médecin ?
Il est à craindre que le mouvement à la baisse de certaines professions de santé va s'accentuer, déséquilibrant pour quelques années notre système de soins. Il s'agit de trouver des solutions pragmatiques et réalistes qui ne compromettent pas la qualité des soins pour les usagers.
Aujourd'hui, quelques exemples étrangers pourraient nous conduire à imaginer davantage de passerelles pour faire face à ce manque de professionnels. Quoiqu'il en soit, le transfert de tâches et de compétences ne s'improvise pas et doit faire l'objet de concertations, formations et pédagogie auprès des patients.
Les témoins :
Yvon BERLAND, Doyen de la faculté de médecine de Marseille, auteur d’un rapport sur la coopération des professions de santé :le transfert des tâches et des compétences
Jean BROUCHET : Conseiller national de l’Ordre des Médecins, Président de la Section exercice professionnel
Les experts :
Marie-Hélène ABADIE, Présidente du Syndicat national autonome des Orthoptistes
Henry HAMARD, membre de l’Académie de médecine, rapporteur d’un travail sur la situation des ophtalmologistes
Jean-Luc PREEL, Député de Vendée
Sydney SEBBAN, membre du Comité scientifique du réseau bronchiolite et asthme du nourrisson
Le débat est animé par Philippe LEFAIT, Journaliste à France 2 Ordre national des médecins – 4 décembre 2003
Allocution d’ouverture
Docteur Michel DUCLOUX
Président de l’Ordre national des médecins
Le sujet retenu pour ce vingtième Jeudi de l’Ordre est d’une actualité brûlante. Il trouve son origine dans la crise démographique, la désaffection des médecins pour certaines spécialités, les problèmes économiques liés à la surconsommation médicale engendrant une activité accrue des médecins généralistes souvent aux dépens de l’acte intellectuel. Tous ces facteurs ont amené à se poser la question d’un partage des tâches, sinon des compétences, entre médecins et autres professions de santé.
Cette question a fait l’objet de rapports importants, demandés par le Ministre de la Santé Jean- François Mattéi et rédigés par le Professeur Berland, Doyen de la Faculté de Marseille, ainsi que par le Professeur Hamard concernant plus particulièrement la profession d’ophtalmologiste.
Si à l’étranger les exemples de transferts sont nombreux et parfois anciens, les cas sont plus rares en France. Les manipulateurs de radio peuvent réaliser des échographies aux Etats-Unis, aux Pays-Bas ou en Norvège. En Angleterre, le nombre de radiologistes est très inférieur à ce qu’il est en France.
Les Anglais sont en effet ceux qui ont le plus délégué aux auxiliaires médicaux (orthoptistes, optométristes, soins palliatifs…). En Grande Bretagne comme au Canada, les infirmières suivent des formations spécialisées dans le cadre de la néphrologie et de la dialyse rénale. Aux USA, des endoscopies digestives sont pratiquées par des infirmières spécialisées.
L’exemple le plus ancien en France concerne les manipulateurs radios, même si les actes techniques demeurent réalisés sous le contrôle et la responsabilité des radiologistes. En ophtalmologie, les transferts vers les orthoptistes apparaissent nécessaires aux spécialistes concernant les mesures de réfraction, vision binoculaire, relevée d’un champ visuel.
Monsieur Hamard, dont je ne voudrais pas dévoiler les propos, évoquera la crise de l’ophtalmologie alors que le vieillissement de la population a augmenté les troubles de la vision.
En diabétologie, des infirmières spécialisées commencent à prendre en charge le suivi, l’éducation et les conseils. En néphrologie, elles pourraient également surveiller les dialyses et, en cancérologie, exercer des séances de chimiothérapie sous surveillance médicale.
Ces transferts envisagés posent un certain nombre de questions, concernant tout d’abord la responsabilité relative à l’acte délégué dans le cadre d’une judiciarisation croissante. Par ailleurs, en voulant remédier à la pénurie démographique, ne risque-t-on pas de diminuer la qualité et la sécurité des soins et progressivement désacraliser l’acte médical ? Il sera sans aucun doute nécessaire de renforcer parallèlement l’évaluation des compétences des médecins et des paramédicaux pour obtenir une qualité de collaboration satisfaisante.
Enfin, sommes-nous prêts en France à étendre les transferts de compétence ?
Philippe LEFAIT
Le béotien que je suis peut opposer plusieurs couples de mots :
· nécessité et bénéfice
Il est nécessaire de transférer des compétences en raison de la crise démographique, mais cette évolution peut contribuer à recentrer le médecin dans son cœur de métier, dans le cadre d’un colloque de moins en moins singulier.
· expérience et tâtonnement
A l’étranger, les transferts de compétences expérimentés depuis un certain temps donnent de bons résultats, même si des failles sont constatées car certains actes de spécialistes sont de moins en moins assurés, notamment en Angleterre. Les tâtonnements sont constatés en France, en raison des réserves évoquées par le Président, mais aussi parce que le rapport Berland ne constitue qu’un rapport d’étape. Le rapport définitif ne sera remis qu’en 2004 alors que différentes expériences auront été initiées et auront donné des premiers résultats.
· doute et pouvoir
Il existe un doute au sein du corps médical concernant les transferts de compétences. Les médecins évoquent notamment la crainte de perdre une partie de leur pouvoir, en raison de la responsabilité qui y est liée, mais aussi d’une partie de leur rémunération.
Ce Jeudi de l’Ordre permettra à chacun de s’exprimer, car le nombre d’intervenants est moins important qu’à l’accoutumée. Les différents intervenants sont :
· Jean-Luc Preel, Député et auteur d’une proposition de loi relative à la création d’un Ordre des Infirmiers kinésithérapeutes ;
· Yvon Berland, Doyen de la faculté de Marseille, auteur d’un premier rapport consacré à la démographie médicale et d’un second consacré au transfert de tâches et de compétences ;
· Marie-Hélène Abadie, présidente du Syndicat national autonome des Orthoptistes, qui évoquera l’urgence à envisager des transferts de compétences concernant les métiers de la médecine de l’œil en raison du départ à la retraite d’un ophtalmologiste sur deux à moyen terme, alors que la population vieillit et a de plus en plus besoins de lunettes ;
· Henry Hamard, membre de l’Académie de médecine, rapporteur d’un travail sur la situation des ophtalmologistes ;
· Sydney Sebban, membre du Comité scientifique du réseau bronchiolite et asthme du nourrisson, un sujet dont l’actualité vous permettra d’indiquer s’il est nécessaire de prévoir des transferts rapidement ;
· Jean Brouchet, Conseiller national de l’Ordre et Président de la Section exercice professionnel.
Avant de lui laisser la parole, je souhaitais citer Yvon Berland dans son rapport d’étape : « Il est indispensable et urgent d’envisager le transfert de compétences. Il permettra de faire face en partie seulement à la diminution annoncée de la démographie médicale, mais aussi d’optimiser le système de soins, de régulariser des pratiques existantes non reconnues, d’éviter la mise en place d’organisations parallèles sources de conflits et de baisse de la qualité des soins, enfin d’apporter une légitime reconnaissance à certains professionnels paramédicaux ».
I. Le transfert des tâches et des compétences
Yvon BERLAND
Monsieur le Président, merci de m’avoir invité à ce Jeudi de l’Ordre afin d’évoquer un sujet auquel j’ai consacré un rapport à la demande du Ministre de la Santé. Ce dernier m’avait confié un premier travail consacré à la démographie des professions de santé il y a peu.
1. Une diminution de l’offre de soins
Afin de faire face à la baisse annoncée de la démographie médicale, le groupe que j’animais a fait un certain nombre de propositions dont :
· une augmentation du numerus clausus plus importante de celle que nous constatons.
· une régionalisation du concours national de l’internat ;
· une aide à l’installation dans les zones démédicalisées au moyen de diverses mesures reprises dans le rapport Descours ;
· une réflexion concernant une collaboration plus affirmée entre professions médicales et paramédicales.
La densité médicale n’a jamais été aussi importante qu’aujourd’hui (335 médecins pour 100 000 habitants), mais on ne cesse d’évoquer le manque de médecins et d’acteurs paramédicaux dans certaines zones en souffrance et ce chiffre ne va cesser de diminuer (305 médecins pour 100 000 habitants en 2010/2012, environ 270 en 2020).
Par ailleurs, le temps médical consacré à chaque patient augmente en raison :
· d’un nombre de plus en plus important de pathologies lourdes ;
· du vieillissement de la population ;
· du consumérisme médical ;
· de l’augmentation de résultat qui remplace l’obligation de moyens ;
· de la charge administrative et sécuritaire ;
· d’une prise en charge sociale des patients.
De plus, les médecins vieillissent et les médecins âgés voient leur temps médical diminuer. La population médicale se féminise également (65 % de femmes en seconde année de faculté de médecine) et si le temps de travail des femmes médecins se rapproche de celui de leurs collègues hommes, il demeure néanmoins inférieur sur l’ensemble d’une carrière. Enfin, les jeunes confrères veulent consacrer moins de temps que leurs aînés à leur travail.
2. Les pistes de réflexion
Si on laisse les choses aller, la situation évoluera sans doute de manière non satisfaisante. C’est pourquoi il est nécessaire d’examiner les expériences menées à l’étranger.
Par ailleurs, les médecins ont vu les connaissances et les actes techniques se multiplier, sans jamais déléguer une partie de leur activité. De plus, notre système de soins forme des médecins à Bac + 9 ou Bac + 11, des professionnels à Bac + 3 ou Bac + 4, mais aucun professionnel selon un cursus intermédiaire.
On constate également que le temps de formation des professions paramédicales s’est allongé ou densifié. Parallèlement, une fois que les infirmières du secteur hospitalier ont acquis une expérience, elles sont orientées vers les taches administratives sans pouvoir faire profiter du savoir qu’elles ont accumulé.
3. Les expérimentations
A la place de la dichotomie constatée, ne pourrait-on pas mettre en œuvre un partage entre les professions médicales et paramédicales ? Il est en effet proposé d’engager des transferts de compétences, à l’image de ceux qui ont été développés à l’étranger (Angleterre, Amérique du Nord, Europe…) de manière relativement satisfaisante. Bien évidemment, il serait périlleux de ne pas prendre en compte les différences entre les systèmes de soins et les mentalités. C’est pourquoi le rapport d’étape que j’ai remis au Ministre de la Santé préconise de mener une quinzaine d’expérimentations dans différents domaines, en plein accord avec les acteurs médicaux et paramédicaux concernés. Ainsi, le G4, regroupement des radiologues des secteurs privés et publics, universitaires et non universitaires, est favorable à ces expérimentations. Les cardiologues, qui ont mené une réflexion bien avant mon rapport, les néphrologues, et d’autres spécialités partagent cet état d’esprit.
Les transferts peuvent être mené en destination de professions paramédicales existantes (manipulateurs radio, orthoptistes…), mais nécessiteraient parfois la création de nouvelles professions. En effet, ces transferts seront légitimes uniquement si les acteurs paramédicaux concernés auront pu bénéficier d’une formation adaptée. Certes, les expérimentations qui vont être menées ne répondent pas parfaitement à cette exigence car les formations n’existent pas encore.
Cependant, il était nécessaire de débuter le processus et les acteurs paramédicaux concernés bénéficieront d’une formation qualifiante.
La réflexion est à ses débuts et les expérimentations n’ont pas encore été engagées. Bien évidemment, tous les éléments permettant d’enrichir le processus sont les bienvenus.
Philippe LEFAIT
Votre rapport mentionne un transfert de compétence particulièrement avancé aux Etats-Unis, où les physician assistants peuvent réaliser des actes chirurgicaux (opérer des varices…).
Yvon BERLAND
Les pays nord-américains proposent plusieurs exemples de transferts de compétences avancés.
Certains actes chirurgicaux, dont les laparotomies, sont effectivement réalisés par des personnels paramédicaux formés à cet effet. Cependant, il ne faut pas se voiler la face, ce type de pratiques existe également en France sans être nommé officiellement.
Philippe LEFAIT
Les physician assistants bénéficient de deux années de formation et se situent bien au sein d’un créneau intermédiaire susceptible de bénéficier d’un transfert de compétences. Par ailleurs, vous préconisez la création d’un corps d’infirmières cliniciennes spécialisées. Ces dernières doivent à vos yeux jouer un rôle fondamental.
Yvon BERLAND
Les transferts de compétences ne sont pas destinés uniquement aux infirmières, mais ces dernières pourraient effectivement bénéficier de transferts de compétences. Cependant, il convient de préciser que ces transferts ne concerneraient qu’une partie des infirmières ayant suivi des formations de niveau master.
II. Les transferts de compétence en ophtalmologie
...
III. Le réseau bronchiolite (médecins et kinésithérapeutes)
...
Philippe LEFAIT
Jean-Luc Preel, pourquoi préconisez-vous la création d’un Ordre des infirmiers et kinésithérapeutes ? Cette démarche a-t-elle un lien avec les transferts de compétences ?
Jean-Luc PREEL
Je tiens tout d’abord à dire que je suis très honoré d’avoir été invité a titre d’expert. Je ne sais pas ce que me vaut cet honneur concernant le sujet des transferts de compétences. En effet, tout se trouve dans les rapports rédigés par Yvon Berland.
Ancien interne et chef de clinique à Paris, j’y ai créé un service de gastro-entérologie. J’ai par ailleurs exercé au Québec où j’ai pu découvrir l’expérience intéressante des stomathérapeutes. Porte-parole de l’UDF, je suis très impliqué dans les problèmes de santé. Je ne vous apprendrai rien en indiquant que notre système de soins est en crise, et pas uniquement en raison de problèmes de démographie.
Dans ce secteur, la problématique de la nouvelle gouvernance est urgente et je défends une réelle régionalisation de la santé, permettant une politique de proximité prenant en compte les besoins et permettant de responsabiliser tous les acteurs en les associant en amont et en aval. Seule cette démarche permettra une maîtrise médicalisée des dépenses de santé que tous souhaitent en théorie.
Ainsi, j’approuve la proposition du Doyen Berland de régionaliser l’internat. Pour ma part, je propose un numerus clausus régional par spécialité, seul moyen permettant de résoudre les problèmes de demain. En effet, dans certaines régions, il existe un manque dans certaines spécialités.
Les questions relatives à la collaboration et à la cohabitation entre professionnels de santé se posent tout d’abord en raison des problèmes de démographie qui ont été largement évoqués. Cependant, il convient également d’examiner les moyens permettant d’améliorer la coordination des soins au service des malades, grâce à une meilleure répartition des tâches. Ces deux problématiques peuvent d’ailleurs se rejoindre : une meilleure utilisation des compétences de chacun pourrait-elle résoudre les problèmes de démographie et mieux soigner les malades ?
Si elle semble souhaitable, la mise en œuvre de la délégation de compétence sera sans doute difficile.
Il convient dans cette enceinte de s’exprimer avec prudence, mais il convient également d’aborder les problèmes de rémunération.
1. La crise démographique
Le problème démographique est majeur, d’autant plus qu’il s’accompagne d’un changement de mentalité. Par ailleurs, les conséquences de la féminisation ne sont pas assez prises en compte, notamment pour fixer le numerus clausus. La pénurie est programmée pour les généralistes, mais aussi pour certaines spécialités stratégiques, dont les anesthésistes, ainsi que dans certaines zones rurales. Cette question démontre le manque d’anticipation, à l’image du maintien du MICA durant de longues années.
Face à cette situation, je crois que la première réponse doit consister à adapter les formations aux besoins, aider à l’installation et prendre en compte les pratiques. L’augmentation du numerus clausus doit être plus importante et prendre en compte la féminisation La mise en place d’un numerus clausus régional par spécialité me semble indispensable. Par ailleurs, nous ne pourrons pas résoudre le problème des spécialités sinistrées à l’hôpital sans remettre en cause le statut unique des praticiens hospitaliers et sans mettre en place des contrats prenant en compte la pénibilité et la responsabilité.
Concernant les zones rurales, je suis partisan de maisons cantonales regroupant l’ensemble des professions de santé, à distinguer des maisons de garde.
2. La nouvelle répartition des compétences
Dans ce cadre, il semble judicieux de réfléchir à une nouvelle répartition des compétences. Cette démarche est difficile car elle induit des changements de mentalités, notamment en ce qui concerne la responsabilité. Sans vouloir provoquer Henry Hamard, je constate que de nombreux opticiens prescrivent et vendent des lunettes. Comment compte-t-il résoudre ce problème ? Au risque d’être provocateur, ne convient-il pas d’être pragmatique et prendre en compte la réalité des choses pour tenter d’améliorer la qualité des actes ?
Par ailleurs, le rôle du médecin ne consiste-t-il pas d’abord à écouter le patient, poser un diagnostic et de proposer un traitement ? Doit-il continuer à réaliser des actes techniques, prolongeant son examen et rémunérateurs, mais fortement consommateurs de temps ? La réponse est loin d’être simple. Yvon Berland évoque la possibilité de confier les endoscopies digestives à des infirmières techniciennes, mais cette proposition soulève des problèmes. Il est également possible de citer le cas des infirmières formées pour réaliser des chimiothérapies à domicile, mais dont peu réalisent de tels actes, souvent parce que les centres anti-cancéreux souhaitent conserver leurs malades. C’est pourquoi, en réalité, de nombreuses infirmières réalisent essentiellement des toilettes à domicile. Il est vrai que cette activité participe à la démarche de soins puisqu’elle permet de détecter des débuts d’escarres... Par ailleurs, il arrive que certains médecins réalisent des prises de sang et des injections.
Pour ma part, je préconise que les médecins retournent à l’acte intellectuel, que les infirmières se consacrent aux soins et que des aides soignantes libérales interviennent sous la responsabilité des infirmières.
J’ai également été frappé par le récent débat législatif concernant les sages-femmes. Ces dernières contestent le fait de réserver le premier examen de la grossesse aux médecins, alors que ces derniers estiment que ce premier examen permet de diagnostiquer des pathologies. Ce débat qui semble simple en théorie s’avère compliqué dans la pratique.
...
IV. Le Conseil de l’Ordre face aux transferts de compétences
Philippe LEFAIT
Jean Brouchet, pouvez-vous réaliser une conclusion d’étape de ce Jeudi de l’Ordre et préciser la position de votre institution concernant les transferts de compétences ?
Jean BROUCHET
Tout comme pour ce débat, le Conseil de l’Ordre a auditionné des représentants de différentes spécialités concernant les transferts de compétences. Les interrogations de ces derniers portent tout d’abord sur le choix des compétences à transférer. Avant tout, il convient de préciser les contours de l’acte médical concerné, car ces derniers ne peuvent être définis au hasard. Notre précédent Président me rappelait ce matin que les actes médicaux étaient réservés aux médecins depuis 1802.
En second lieu, il convient de prendre en compte la crise démographique, que le Conseil de l’Ordre évoque régulièrement depuis une dizaine d’années sans être entendu. Nous espérons que les transferts de compétences seront traités d’une autre manière.
1. Des transferts réservés au monde médical
Nous sommes assez satisfaits du rapport rédigé par le Professeur Berland. En effet, le terme de transfert de compétences est à première vue inacceptable pour un médecin. Il semble farfelu qu’un acte médical soit réalisé par une personne qui n’a pas suivi les études nécessaires et qui n’est pas soumise aux devoirs déontologiques. Cependant, le rapport contient des idées extrêmement intéressantes. Par ailleurs, tous les acteurs cités vivent au sein du monde médical. Enfin, les transferts évoqués mentionnent les pratiques courantes dans des services hospitaliers, les cliniques, les cabinets de groupe, et les équipes multidisciplinaires exerçant dans le cadre des réseaux.
Pour ma part, je comprends la colère des ophtalmologistes lorsqu’il est proposé de transférer des compétences à des acteurs n’appartenant pas au monde médical. Je comprends également que les doyens n’acceptent pas qu’il soit possible d’entrer dans le monde de la médecine sans être passé par les facultés de médecine. Il s’agit d’un véritable danger que le rapport ne mentionne pas, mais que nous vivons au quotidien avec le développement des médecines « douces », « parallèles » ou « humoristiques », qui ont envahi le domaine médiatique et ont acquis une forte popularité. Ainsi, dans la maternité où j’exerce, il m’est demandé chaque jour quel est le meilleur ostéopathe de la ville. Or la situation est identique dans toutes les spécialités.
2. La formation
Le Conseil de l’Ordre des médecins est satisfait du rapport Berland car ce dernier indique clairement que le médecin doit recevoir une formation chaque jour meilleure. En effet, le succès de la médecine scientifique ne provient pas de la publicité, mais de la progression au quotidien de la qualité du diagnostic, de son encadrement et des solutions thérapeutiques. En revanche, certains acceptent difficilement l’une des propositions du rapport concernant l’allongement de la durée des études, rappelons que notre profession est la seule à nécessiter 10, 12 ou 14 années d’études.
3. Les expériences étrangères
Les études comparatives sont toujours recherchées dans les pays anglo saxons. Ce travers est assez extraordinaire quand on observe les difficultés financières actuelles de medicare ou l’ambiance régnant au sein du National Health Service. Il est vrai que lorsque je suis confronté à un cas difficile, je trouve avant tout des données anglo-saxonnes sur Internet. Or si la médecine est universelle, il faut faire attention à la manière dont on l’exerce et il convient de prendre en compte notre relation avec le patient dans un contexte latin...
Débat
Jackie AHR, Conseiller national
Je suis assez d’accord avec les intervenants, y compris concernant les transferts de compétences.
Cependant, il conviendrait d’arrêter un jour l’hypocrisie régnant en France concernant la réduction du nombre de médecins. En effet, certains esprits d’énarques ont imaginé que la diminution du nombre de médecins limiterait la progression des dépenses de santé. De plus, le coup de grâce a consisté récemment à ouvrir la voie de la médecine administrative, vers laquelle s’engouffrent les médecins généralistes en raison de l’absence de gardes, d’urgences, ou d’astreintes qui caractérisent cette activité. Or aucun responsable politique n’à le courage d’indiquer que ces contraintes constituent la vraie médecine.
Par ailleurs, comme l’a indiqué Madame Polton, membre du CREDES, ce n’est pas la féminisation de la profession qui pose problème, mais la féminisation du comportement de nos jeunes confrères.
Je rappelle également que les infirmières paient leurs études en s’engageant à demeurer à un endroit durant un certain temps. Il s’agit du seul moyen permettant de lutter contre les déséquilibres constatés.
En effet, je suis désolé de dire à notre invité député que le numerus clausus des installations est inapplicable lorsqu’il existe des pénuries dans tous les domaines. La seule solution alternative, plus intelligente, consisterait à rendre ces spécialités (anesthésie, chirurgie générale, pédiatrie…) plus attractives.
Enfin, lorsque l’on indique que le nombre de médecins est trop important dans le Sud de la France, nous serions surpris d’examiner l’âge moyen de ces médecins et le nombre d’actes à la journée de ces derniers.
...
Yves COTTRET, Président du Collège national des kinésithérapeutes salariés
... La délégation engendre un problème de responsabilité. Par ailleurs, un transfert doit se dérouler dans de bonnes conditions et notamment être bien préparé.
Il est intéressant que le Ministre ait commandé une série de rapports consacrés aux transferts de compétences, même si leur nombre est assez important. Cependant, il est dommage que ce sujet soit abordé de manière négative et dans le seul but de répondre aux problèmes de démographie médicale.
... Enfin, je tiens à préciser que les propos de Monsieur Préel ne doivent pas être mal interprétés : les paramédicaux ne seront pas uniquement des effecteurs, car ces derniers réalisent également un acte intellectuel.
...
Gérard LAGARDE, Conseiller national
Jean Brouchet a insisté sur la nécessité de préciser les contours de l’acte médical. Pour ma part, je souhaite opposer la délégation de compétence, qui peut s’inscrire dans le cadre de l’acte médical, au transfert de responsabilité, qui engendre des problèmes différents.
Un intervenant
Les transferts de compétences ont toujours eu lieu entre médecins. Le problème intervient lorsque le transfert est destiné à un non-médecin, qui peut être le salarié du médecin. Pour ma part, je considère que la délégation pourrait concerner nos salariés, et le transfert à un médecin ou non-médecin indépendant de nous.
Marcel AFFERGAN, Syndicat Convergence Infirmière
Je remercie le Président pour son invitation.
Je rappelle tout d’abord qu’au cours des années 1990, le Gouvernement a estimé qu’il existait trop de professionnels de santé. Il a donc été décidé de réduire l’accès au conventionnement des infirmières libérales en imposant une formation de trois ans et nous ne parvenons pas à assouplir ces règles. La nouvelle mode concerne aujourd’hui les transferts de compétences. Je rappelle que le décret de compétences des infirmières mentionne un rôle délégué et un rôle autonome des infirmières. Or ces dernières ne bénéficient d’aucune initiative en termes de prescription et de consultation. La première démarche devrait donc consister à assurer la mise en œuvre effective de nos compétences autonomes.
...
Patrick DANESI, Secrétaire Général de la Fédération Nationale des Podologues
Je représente Monsieur Olie. Pourquoi la FNP n’a-t-elle pas été auditionnée dans le cadre de la mission relative aux transferts de compétences et n’a pas reçu de réponse à son courrier du 11 septembre 2003 ? Par ailleurs, avant de transférer certaines compétences, pourquoi ne pas mettre en application les compétences dont disposent certaines professions, dont le droit de prescription des podologues décidé en 1987 et validé par l’Académie de Médecine ? Il suffit simplement de modifier l’article 5 de la nomenclature qui précise que les professions médicales peuvent prescrire et avoir recours au remboursement direct sans prescription.
Vous souhaitez transférer un certain nombre de compétences, mais vous n’allez pas au bout du transfert en refusant de confier la responsabilité de la prescription des actes aux paramédicaux.
...
Marie LEMONIER, Fédération Française des Psychomotriciens
Monsieur Berland propose la création d’un master professionnel en soins infirmiers. Pourquoi ne pas en proposer un en rééducation ?
Philippe LEFAIT
Il est temps d’aborder la conclusion de ce débat.
Jean BROUCHET
Deux éléments m’ont marqué au cours du débat. Le premier concerne le témoignage de mon confrère généraliste exprimant son ras-le-bol concernant la rédaction des certificats. Je peux vous indiquer que plus de 35 millions de certificats totalement inutiles sont rédigés en France chaque année. Je ne sais pas combien d’hectares de forêts représente ce total, mais je sais que personne ne lit jamais ces certificats.
...
Sydney SEBBAN
Je suis heureux d’avoir entendu au cours du débat l’expression « travai en équipe ». Pour ma part, je souhaite évoquer non pas le transfert de compétences, mais le partage de connaissances entre différentes catégories de professionnels. Cette démarche nécessite un investissement initial en temps, mais permet par la suite un gain et une amélioration du service rendu aux malades.
...
Ordre national des médecins – 4 décembre 2003
Médecins et autres métiers de santé : quelle collaboration, quelle cohabitation ?
INTRODUCTION
La crise démographique que traversent certaines spécialités médicales pourrait-elle être la cause d'une re-définition d'autres spécialités, ou encore de l'extension du domaine de compétences de certains métiers, auxiliaires du médecin ?
Il est à craindre que le mouvement à la baisse de certaines professions de santé va s'accentuer, déséquilibrant pour quelques années notre système de soins. Il s'agit de trouver des solutions pragmatiques et réalistes qui ne compromettent pas la qualité des soins pour les usagers.
Aujourd'hui, quelques exemples étrangers pourraient nous conduire à imaginer davantage de passerelles pour faire face à ce manque de professionnels. Quoiqu'il en soit, le transfert de tâches et de compétences ne s'improvise pas et doit faire l'objet de concertations, formations et pédagogie auprès des patients.
Les témoins :
Yvon BERLAND, Doyen de la faculté de médecine de Marseille, auteur d’un rapport sur la coopération des professions de santé :le transfert des tâches et des compétences
Jean BROUCHET : Conseiller national de l’Ordre des Médecins, Président de la Section exercice professionnel
Les experts :
Marie-Hélène ABADIE, Présidente du Syndicat national autonome des Orthoptistes
Henry HAMARD, membre de l’Académie de médecine, rapporteur d’un travail sur la situation des ophtalmologistes
Jean-Luc PREEL, Député de Vendée
Sydney SEBBAN, membre du Comité scientifique du réseau bronchiolite et asthme du nourrisson
Le débat est animé par Philippe LEFAIT, Journaliste à France 2 Ordre national des médecins – 4 décembre 2003
Allocution d’ouverture
Docteur Michel DUCLOUX
Président de l’Ordre national des médecins
Le sujet retenu pour ce vingtième Jeudi de l’Ordre est d’une actualité brûlante. Il trouve son origine dans la crise démographique, la désaffection des médecins pour certaines spécialités, les problèmes économiques liés à la surconsommation médicale engendrant une activité accrue des médecins généralistes souvent aux dépens de l’acte intellectuel. Tous ces facteurs ont amené à se poser la question d’un partage des tâches, sinon des compétences, entre médecins et autres professions de santé.
Cette question a fait l’objet de rapports importants, demandés par le Ministre de la Santé Jean- François Mattéi et rédigés par le Professeur Berland, Doyen de la Faculté de Marseille, ainsi que par le Professeur Hamard concernant plus particulièrement la profession d’ophtalmologiste.
Si à l’étranger les exemples de transferts sont nombreux et parfois anciens, les cas sont plus rares en France. Les manipulateurs de radio peuvent réaliser des échographies aux Etats-Unis, aux Pays-Bas ou en Norvège. En Angleterre, le nombre de radiologistes est très inférieur à ce qu’il est en France.
Les Anglais sont en effet ceux qui ont le plus délégué aux auxiliaires médicaux (orthoptistes, optométristes, soins palliatifs…). En Grande Bretagne comme au Canada, les infirmières suivent des formations spécialisées dans le cadre de la néphrologie et de la dialyse rénale. Aux USA, des endoscopies digestives sont pratiquées par des infirmières spécialisées.
L’exemple le plus ancien en France concerne les manipulateurs radios, même si les actes techniques demeurent réalisés sous le contrôle et la responsabilité des radiologistes. En ophtalmologie, les transferts vers les orthoptistes apparaissent nécessaires aux spécialistes concernant les mesures de réfraction, vision binoculaire, relevée d’un champ visuel.
Monsieur Hamard, dont je ne voudrais pas dévoiler les propos, évoquera la crise de l’ophtalmologie alors que le vieillissement de la population a augmenté les troubles de la vision.
En diabétologie, des infirmières spécialisées commencent à prendre en charge le suivi, l’éducation et les conseils. En néphrologie, elles pourraient également surveiller les dialyses et, en cancérologie, exercer des séances de chimiothérapie sous surveillance médicale.
Ces transferts envisagés posent un certain nombre de questions, concernant tout d’abord la responsabilité relative à l’acte délégué dans le cadre d’une judiciarisation croissante. Par ailleurs, en voulant remédier à la pénurie démographique, ne risque-t-on pas de diminuer la qualité et la sécurité des soins et progressivement désacraliser l’acte médical ? Il sera sans aucun doute nécessaire de renforcer parallèlement l’évaluation des compétences des médecins et des paramédicaux pour obtenir une qualité de collaboration satisfaisante.
Enfin, sommes-nous prêts en France à étendre les transferts de compétence ?
Philippe LEFAIT
Le béotien que je suis peut opposer plusieurs couples de mots :
· nécessité et bénéfice
Il est nécessaire de transférer des compétences en raison de la crise démographique, mais cette évolution peut contribuer à recentrer le médecin dans son cœur de métier, dans le cadre d’un colloque de moins en moins singulier.
· expérience et tâtonnement
A l’étranger, les transferts de compétences expérimentés depuis un certain temps donnent de bons résultats, même si des failles sont constatées car certains actes de spécialistes sont de moins en moins assurés, notamment en Angleterre. Les tâtonnements sont constatés en France, en raison des réserves évoquées par le Président, mais aussi parce que le rapport Berland ne constitue qu’un rapport d’étape. Le rapport définitif ne sera remis qu’en 2004 alors que différentes expériences auront été initiées et auront donné des premiers résultats.
· doute et pouvoir
Il existe un doute au sein du corps médical concernant les transferts de compétences. Les médecins évoquent notamment la crainte de perdre une partie de leur pouvoir, en raison de la responsabilité qui y est liée, mais aussi d’une partie de leur rémunération.
Ce Jeudi de l’Ordre permettra à chacun de s’exprimer, car le nombre d’intervenants est moins important qu’à l’accoutumée. Les différents intervenants sont :
· Jean-Luc Preel, Député et auteur d’une proposition de loi relative à la création d’un Ordre des Infirmiers kinésithérapeutes ;
· Yvon Berland, Doyen de la faculté de Marseille, auteur d’un premier rapport consacré à la démographie médicale et d’un second consacré au transfert de tâches et de compétences ;
· Marie-Hélène Abadie, présidente du Syndicat national autonome des Orthoptistes, qui évoquera l’urgence à envisager des transferts de compétences concernant les métiers de la médecine de l’œil en raison du départ à la retraite d’un ophtalmologiste sur deux à moyen terme, alors que la population vieillit et a de plus en plus besoins de lunettes ;
· Henry Hamard, membre de l’Académie de médecine, rapporteur d’un travail sur la situation des ophtalmologistes ;
· Sydney Sebban, membre du Comité scientifique du réseau bronchiolite et asthme du nourrisson, un sujet dont l’actualité vous permettra d’indiquer s’il est nécessaire de prévoir des transferts rapidement ;
· Jean Brouchet, Conseiller national de l’Ordre et Président de la Section exercice professionnel.
Avant de lui laisser la parole, je souhaitais citer Yvon Berland dans son rapport d’étape : « Il est indispensable et urgent d’envisager le transfert de compétences. Il permettra de faire face en partie seulement à la diminution annoncée de la démographie médicale, mais aussi d’optimiser le système de soins, de régulariser des pratiques existantes non reconnues, d’éviter la mise en place d’organisations parallèles sources de conflits et de baisse de la qualité des soins, enfin d’apporter une légitime reconnaissance à certains professionnels paramédicaux ».
I. Le transfert des tâches et des compétences
Yvon BERLAND
Monsieur le Président, merci de m’avoir invité à ce Jeudi de l’Ordre afin d’évoquer un sujet auquel j’ai consacré un rapport à la demande du Ministre de la Santé. Ce dernier m’avait confié un premier travail consacré à la démographie des professions de santé il y a peu.
1. Une diminution de l’offre de soins
Afin de faire face à la baisse annoncée de la démographie médicale, le groupe que j’animais a fait un certain nombre de propositions dont :
· une augmentation du numerus clausus plus importante de celle que nous constatons.
· une régionalisation du concours national de l’internat ;
· une aide à l’installation dans les zones démédicalisées au moyen de diverses mesures reprises dans le rapport Descours ;
· une réflexion concernant une collaboration plus affirmée entre professions médicales et paramédicales.
La densité médicale n’a jamais été aussi importante qu’aujourd’hui (335 médecins pour 100 000 habitants), mais on ne cesse d’évoquer le manque de médecins et d’acteurs paramédicaux dans certaines zones en souffrance et ce chiffre ne va cesser de diminuer (305 médecins pour 100 000 habitants en 2010/2012, environ 270 en 2020).
Par ailleurs, le temps médical consacré à chaque patient augmente en raison :
· d’un nombre de plus en plus important de pathologies lourdes ;
· du vieillissement de la population ;
· du consumérisme médical ;
· de l’augmentation de résultat qui remplace l’obligation de moyens ;
· de la charge administrative et sécuritaire ;
· d’une prise en charge sociale des patients.
De plus, les médecins vieillissent et les médecins âgés voient leur temps médical diminuer. La population médicale se féminise également (65 % de femmes en seconde année de faculté de médecine) et si le temps de travail des femmes médecins se rapproche de celui de leurs collègues hommes, il demeure néanmoins inférieur sur l’ensemble d’une carrière. Enfin, les jeunes confrères veulent consacrer moins de temps que leurs aînés à leur travail.
2. Les pistes de réflexion
Si on laisse les choses aller, la situation évoluera sans doute de manière non satisfaisante. C’est pourquoi il est nécessaire d’examiner les expériences menées à l’étranger.
Par ailleurs, les médecins ont vu les connaissances et les actes techniques se multiplier, sans jamais déléguer une partie de leur activité. De plus, notre système de soins forme des médecins à Bac + 9 ou Bac + 11, des professionnels à Bac + 3 ou Bac + 4, mais aucun professionnel selon un cursus intermédiaire.
On constate également que le temps de formation des professions paramédicales s’est allongé ou densifié. Parallèlement, une fois que les infirmières du secteur hospitalier ont acquis une expérience, elles sont orientées vers les taches administratives sans pouvoir faire profiter du savoir qu’elles ont accumulé.
3. Les expérimentations
A la place de la dichotomie constatée, ne pourrait-on pas mettre en œuvre un partage entre les professions médicales et paramédicales ? Il est en effet proposé d’engager des transferts de compétences, à l’image de ceux qui ont été développés à l’étranger (Angleterre, Amérique du Nord, Europe…) de manière relativement satisfaisante. Bien évidemment, il serait périlleux de ne pas prendre en compte les différences entre les systèmes de soins et les mentalités. C’est pourquoi le rapport d’étape que j’ai remis au Ministre de la Santé préconise de mener une quinzaine d’expérimentations dans différents domaines, en plein accord avec les acteurs médicaux et paramédicaux concernés. Ainsi, le G4, regroupement des radiologues des secteurs privés et publics, universitaires et non universitaires, est favorable à ces expérimentations. Les cardiologues, qui ont mené une réflexion bien avant mon rapport, les néphrologues, et d’autres spécialités partagent cet état d’esprit.
Les transferts peuvent être mené en destination de professions paramédicales existantes (manipulateurs radio, orthoptistes…), mais nécessiteraient parfois la création de nouvelles professions. En effet, ces transferts seront légitimes uniquement si les acteurs paramédicaux concernés auront pu bénéficier d’une formation adaptée. Certes, les expérimentations qui vont être menées ne répondent pas parfaitement à cette exigence car les formations n’existent pas encore.
Cependant, il était nécessaire de débuter le processus et les acteurs paramédicaux concernés bénéficieront d’une formation qualifiante.
La réflexion est à ses débuts et les expérimentations n’ont pas encore été engagées. Bien évidemment, tous les éléments permettant d’enrichir le processus sont les bienvenus.
Philippe LEFAIT
Votre rapport mentionne un transfert de compétence particulièrement avancé aux Etats-Unis, où les physician assistants peuvent réaliser des actes chirurgicaux (opérer des varices…).
Yvon BERLAND
Les pays nord-américains proposent plusieurs exemples de transferts de compétences avancés.
Certains actes chirurgicaux, dont les laparotomies, sont effectivement réalisés par des personnels paramédicaux formés à cet effet. Cependant, il ne faut pas se voiler la face, ce type de pratiques existe également en France sans être nommé officiellement.
Philippe LEFAIT
Les physician assistants bénéficient de deux années de formation et se situent bien au sein d’un créneau intermédiaire susceptible de bénéficier d’un transfert de compétences. Par ailleurs, vous préconisez la création d’un corps d’infirmières cliniciennes spécialisées. Ces dernières doivent à vos yeux jouer un rôle fondamental.
Yvon BERLAND
Les transferts de compétences ne sont pas destinés uniquement aux infirmières, mais ces dernières pourraient effectivement bénéficier de transferts de compétences. Cependant, il convient de préciser que ces transferts ne concerneraient qu’une partie des infirmières ayant suivi des formations de niveau master.
II. Les transferts de compétence en ophtalmologie
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III. Le réseau bronchiolite (médecins et kinésithérapeutes)
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Philippe LEFAIT
Jean-Luc Preel, pourquoi préconisez-vous la création d’un Ordre des infirmiers et kinésithérapeutes ? Cette démarche a-t-elle un lien avec les transferts de compétences ?
Jean-Luc PREEL
Je tiens tout d’abord à dire que je suis très honoré d’avoir été invité a titre d’expert. Je ne sais pas ce que me vaut cet honneur concernant le sujet des transferts de compétences. En effet, tout se trouve dans les rapports rédigés par Yvon Berland.
Ancien interne et chef de clinique à Paris, j’y ai créé un service de gastro-entérologie. J’ai par ailleurs exercé au Québec où j’ai pu découvrir l’expérience intéressante des stomathérapeutes. Porte-parole de l’UDF, je suis très impliqué dans les problèmes de santé. Je ne vous apprendrai rien en indiquant que notre système de soins est en crise, et pas uniquement en raison de problèmes de démographie.
Dans ce secteur, la problématique de la nouvelle gouvernance est urgente et je défends une réelle régionalisation de la santé, permettant une politique de proximité prenant en compte les besoins et permettant de responsabiliser tous les acteurs en les associant en amont et en aval. Seule cette démarche permettra une maîtrise médicalisée des dépenses de santé que tous souhaitent en théorie.
Ainsi, j’approuve la proposition du Doyen Berland de régionaliser l’internat. Pour ma part, je propose un numerus clausus régional par spécialité, seul moyen permettant de résoudre les problèmes de demain. En effet, dans certaines régions, il existe un manque dans certaines spécialités.
Les questions relatives à la collaboration et à la cohabitation entre professionnels de santé se posent tout d’abord en raison des problèmes de démographie qui ont été largement évoqués. Cependant, il convient également d’examiner les moyens permettant d’améliorer la coordination des soins au service des malades, grâce à une meilleure répartition des tâches. Ces deux problématiques peuvent d’ailleurs se rejoindre : une meilleure utilisation des compétences de chacun pourrait-elle résoudre les problèmes de démographie et mieux soigner les malades ?
Si elle semble souhaitable, la mise en œuvre de la délégation de compétence sera sans doute difficile.
Il convient dans cette enceinte de s’exprimer avec prudence, mais il convient également d’aborder les problèmes de rémunération.
1. La crise démographique
Le problème démographique est majeur, d’autant plus qu’il s’accompagne d’un changement de mentalité. Par ailleurs, les conséquences de la féminisation ne sont pas assez prises en compte, notamment pour fixer le numerus clausus. La pénurie est programmée pour les généralistes, mais aussi pour certaines spécialités stratégiques, dont les anesthésistes, ainsi que dans certaines zones rurales. Cette question démontre le manque d’anticipation, à l’image du maintien du MICA durant de longues années.
Face à cette situation, je crois que la première réponse doit consister à adapter les formations aux besoins, aider à l’installation et prendre en compte les pratiques. L’augmentation du numerus clausus doit être plus importante et prendre en compte la féminisation La mise en place d’un numerus clausus régional par spécialité me semble indispensable. Par ailleurs, nous ne pourrons pas résoudre le problème des spécialités sinistrées à l’hôpital sans remettre en cause le statut unique des praticiens hospitaliers et sans mettre en place des contrats prenant en compte la pénibilité et la responsabilité.
Concernant les zones rurales, je suis partisan de maisons cantonales regroupant l’ensemble des professions de santé, à distinguer des maisons de garde.
2. La nouvelle répartition des compétences
Dans ce cadre, il semble judicieux de réfléchir à une nouvelle répartition des compétences. Cette démarche est difficile car elle induit des changements de mentalités, notamment en ce qui concerne la responsabilité. Sans vouloir provoquer Henry Hamard, je constate que de nombreux opticiens prescrivent et vendent des lunettes. Comment compte-t-il résoudre ce problème ? Au risque d’être provocateur, ne convient-il pas d’être pragmatique et prendre en compte la réalité des choses pour tenter d’améliorer la qualité des actes ?
Par ailleurs, le rôle du médecin ne consiste-t-il pas d’abord à écouter le patient, poser un diagnostic et de proposer un traitement ? Doit-il continuer à réaliser des actes techniques, prolongeant son examen et rémunérateurs, mais fortement consommateurs de temps ? La réponse est loin d’être simple. Yvon Berland évoque la possibilité de confier les endoscopies digestives à des infirmières techniciennes, mais cette proposition soulève des problèmes. Il est également possible de citer le cas des infirmières formées pour réaliser des chimiothérapies à domicile, mais dont peu réalisent de tels actes, souvent parce que les centres anti-cancéreux souhaitent conserver leurs malades. C’est pourquoi, en réalité, de nombreuses infirmières réalisent essentiellement des toilettes à domicile. Il est vrai que cette activité participe à la démarche de soins puisqu’elle permet de détecter des débuts d’escarres... Par ailleurs, il arrive que certains médecins réalisent des prises de sang et des injections.
Pour ma part, je préconise que les médecins retournent à l’acte intellectuel, que les infirmières se consacrent aux soins et que des aides soignantes libérales interviennent sous la responsabilité des infirmières.
J’ai également été frappé par le récent débat législatif concernant les sages-femmes. Ces dernières contestent le fait de réserver le premier examen de la grossesse aux médecins, alors que ces derniers estiment que ce premier examen permet de diagnostiquer des pathologies. Ce débat qui semble simple en théorie s’avère compliqué dans la pratique.
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IV. Le Conseil de l’Ordre face aux transferts de compétences
Philippe LEFAIT
Jean Brouchet, pouvez-vous réaliser une conclusion d’étape de ce Jeudi de l’Ordre et préciser la position de votre institution concernant les transferts de compétences ?
Jean BROUCHET
Tout comme pour ce débat, le Conseil de l’Ordre a auditionné des représentants de différentes spécialités concernant les transferts de compétences. Les interrogations de ces derniers portent tout d’abord sur le choix des compétences à transférer. Avant tout, il convient de préciser les contours de l’acte médical concerné, car ces derniers ne peuvent être définis au hasard. Notre précédent Président me rappelait ce matin que les actes médicaux étaient réservés aux médecins depuis 1802.
En second lieu, il convient de prendre en compte la crise démographique, que le Conseil de l’Ordre évoque régulièrement depuis une dizaine d’années sans être entendu. Nous espérons que les transferts de compétences seront traités d’une autre manière.
1. Des transferts réservés au monde médical
Nous sommes assez satisfaits du rapport rédigé par le Professeur Berland. En effet, le terme de transfert de compétences est à première vue inacceptable pour un médecin. Il semble farfelu qu’un acte médical soit réalisé par une personne qui n’a pas suivi les études nécessaires et qui n’est pas soumise aux devoirs déontologiques. Cependant, le rapport contient des idées extrêmement intéressantes. Par ailleurs, tous les acteurs cités vivent au sein du monde médical. Enfin, les transferts évoqués mentionnent les pratiques courantes dans des services hospitaliers, les cliniques, les cabinets de groupe, et les équipes multidisciplinaires exerçant dans le cadre des réseaux.
Pour ma part, je comprends la colère des ophtalmologistes lorsqu’il est proposé de transférer des compétences à des acteurs n’appartenant pas au monde médical. Je comprends également que les doyens n’acceptent pas qu’il soit possible d’entrer dans le monde de la médecine sans être passé par les facultés de médecine. Il s’agit d’un véritable danger que le rapport ne mentionne pas, mais que nous vivons au quotidien avec le développement des médecines « douces », « parallèles » ou « humoristiques », qui ont envahi le domaine médiatique et ont acquis une forte popularité. Ainsi, dans la maternité où j’exerce, il m’est demandé chaque jour quel est le meilleur ostéopathe de la ville. Or la situation est identique dans toutes les spécialités.
2. La formation
Le Conseil de l’Ordre des médecins est satisfait du rapport Berland car ce dernier indique clairement que le médecin doit recevoir une formation chaque jour meilleure. En effet, le succès de la médecine scientifique ne provient pas de la publicité, mais de la progression au quotidien de la qualité du diagnostic, de son encadrement et des solutions thérapeutiques. En revanche, certains acceptent difficilement l’une des propositions du rapport concernant l’allongement de la durée des études, rappelons que notre profession est la seule à nécessiter 10, 12 ou 14 années d’études.
3. Les expériences étrangères
Les études comparatives sont toujours recherchées dans les pays anglo saxons. Ce travers est assez extraordinaire quand on observe les difficultés financières actuelles de medicare ou l’ambiance régnant au sein du National Health Service. Il est vrai que lorsque je suis confronté à un cas difficile, je trouve avant tout des données anglo-saxonnes sur Internet. Or si la médecine est universelle, il faut faire attention à la manière dont on l’exerce et il convient de prendre en compte notre relation avec le patient dans un contexte latin...
Débat
Jackie AHR, Conseiller national
Je suis assez d’accord avec les intervenants, y compris concernant les transferts de compétences.
Cependant, il conviendrait d’arrêter un jour l’hypocrisie régnant en France concernant la réduction du nombre de médecins. En effet, certains esprits d’énarques ont imaginé que la diminution du nombre de médecins limiterait la progression des dépenses de santé. De plus, le coup de grâce a consisté récemment à ouvrir la voie de la médecine administrative, vers laquelle s’engouffrent les médecins généralistes en raison de l’absence de gardes, d’urgences, ou d’astreintes qui caractérisent cette activité. Or aucun responsable politique n’à le courage d’indiquer que ces contraintes constituent la vraie médecine.
Par ailleurs, comme l’a indiqué Madame Polton, membre du CREDES, ce n’est pas la féminisation de la profession qui pose problème, mais la féminisation du comportement de nos jeunes confrères.
Je rappelle également que les infirmières paient leurs études en s’engageant à demeurer à un endroit durant un certain temps. Il s’agit du seul moyen permettant de lutter contre les déséquilibres constatés.
En effet, je suis désolé de dire à notre invité député que le numerus clausus des installations est inapplicable lorsqu’il existe des pénuries dans tous les domaines. La seule solution alternative, plus intelligente, consisterait à rendre ces spécialités (anesthésie, chirurgie générale, pédiatrie…) plus attractives.
Enfin, lorsque l’on indique que le nombre de médecins est trop important dans le Sud de la France, nous serions surpris d’examiner l’âge moyen de ces médecins et le nombre d’actes à la journée de ces derniers.
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Yves COTTRET, Président du Collège national des kinésithérapeutes salariés
... La délégation engendre un problème de responsabilité. Par ailleurs, un transfert doit se dérouler dans de bonnes conditions et notamment être bien préparé.
Il est intéressant que le Ministre ait commandé une série de rapports consacrés aux transferts de compétences, même si leur nombre est assez important. Cependant, il est dommage que ce sujet soit abordé de manière négative et dans le seul but de répondre aux problèmes de démographie médicale.
... Enfin, je tiens à préciser que les propos de Monsieur Préel ne doivent pas être mal interprétés : les paramédicaux ne seront pas uniquement des effecteurs, car ces derniers réalisent également un acte intellectuel.
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Gérard LAGARDE, Conseiller national
Jean Brouchet a insisté sur la nécessité de préciser les contours de l’acte médical. Pour ma part, je souhaite opposer la délégation de compétence, qui peut s’inscrire dans le cadre de l’acte médical, au transfert de responsabilité, qui engendre des problèmes différents.
Un intervenant
Les transferts de compétences ont toujours eu lieu entre médecins. Le problème intervient lorsque le transfert est destiné à un non-médecin, qui peut être le salarié du médecin. Pour ma part, je considère que la délégation pourrait concerner nos salariés, et le transfert à un médecin ou non-médecin indépendant de nous.
Marcel AFFERGAN, Syndicat Convergence Infirmière
Je remercie le Président pour son invitation.
Je rappelle tout d’abord qu’au cours des années 1990, le Gouvernement a estimé qu’il existait trop de professionnels de santé. Il a donc été décidé de réduire l’accès au conventionnement des infirmières libérales en imposant une formation de trois ans et nous ne parvenons pas à assouplir ces règles. La nouvelle mode concerne aujourd’hui les transferts de compétences. Je rappelle que le décret de compétences des infirmières mentionne un rôle délégué et un rôle autonome des infirmières. Or ces dernières ne bénéficient d’aucune initiative en termes de prescription et de consultation. La première démarche devrait donc consister à assurer la mise en œuvre effective de nos compétences autonomes.
...
Patrick DANESI, Secrétaire Général de la Fédération Nationale des Podologues
Je représente Monsieur Olie. Pourquoi la FNP n’a-t-elle pas été auditionnée dans le cadre de la mission relative aux transferts de compétences et n’a pas reçu de réponse à son courrier du 11 septembre 2003 ? Par ailleurs, avant de transférer certaines compétences, pourquoi ne pas mettre en application les compétences dont disposent certaines professions, dont le droit de prescription des podologues décidé en 1987 et validé par l’Académie de Médecine ? Il suffit simplement de modifier l’article 5 de la nomenclature qui précise que les professions médicales peuvent prescrire et avoir recours au remboursement direct sans prescription.
Vous souhaitez transférer un certain nombre de compétences, mais vous n’allez pas au bout du transfert en refusant de confier la responsabilité de la prescription des actes aux paramédicaux.
...
Marie LEMONIER, Fédération Française des Psychomotriciens
Monsieur Berland propose la création d’un master professionnel en soins infirmiers. Pourquoi ne pas en proposer un en rééducation ?
Philippe LEFAIT
Il est temps d’aborder la conclusion de ce débat.
Jean BROUCHET
Deux éléments m’ont marqué au cours du débat. Le premier concerne le témoignage de mon confrère généraliste exprimant son ras-le-bol concernant la rédaction des certificats. Je peux vous indiquer que plus de 35 millions de certificats totalement inutiles sont rédigés en France chaque année. Je ne sais pas combien d’hectares de forêts représente ce total, mais je sais que personne ne lit jamais ces certificats.
...
Sydney SEBBAN
Je suis heureux d’avoir entendu au cours du débat l’expression « travai en équipe ». Pour ma part, je souhaite évoquer non pas le transfert de compétences, mais le partage de connaissances entre différentes catégories de professionnels. Cette démarche nécessite un investissement initial en temps, mais permet par la suite un gain et une amélioration du service rendu aux malades.
...
Ordre national des médecins – 4 décembre 2003