par B. Deixonne
La question du financement des établissements de santé, qu’ils soient publics ou privés, est intimement liée à l’histoire des régimes de protection sociale.
Le premier système, né pendant la deuxième guerre mondiale, a connu son apogée durant les “trente glorieuses”, période d’expansion économique sans précédent en France. Basé sur l’application d’un tarif journalier, représentant en principe le prix de revient moyen d’une journée d’hospitalisation, il avait deux grandes qualités :
- sa simplicité : le financement de l’activité directement lié aux nombres de journées facturées et aux honoraires versés aux praticiens ;
- son universalité : il s’applique aussi bien au secteur privé que public.
Toutefois, dès le milieu des années 1970, sous l’effet conjugué du progrès des techniques médicales, de l’évolution démographique et surtout du contexte économique, on s’est aperçu qu’il comportait un grave défaut : son caractère inflationniste maintes fois dénoncé, et donc de plus en plus coûteux pour les organismes d’assurance maladie.
Sous-tendu par un modèle de régulation par les prix resté théorique, le système a atteint ses limites et s’est vu remettre en cause, en 1983, pour le seul secteur public.
Avec la mise en place du budget global pour les hôpitaux publics et participants au service public, un système encore plus simple est instauré : chaque établissement reçoit une enveloppe annuelle de crédits limitative, payée mensuellement par la caisse d’assurance maladie locale. Toutefois, pour les frais non pris en charge par la sécurité sociale (ticket modérateur puis, plus tard, le forfait hospitalier), subsiste une facturation parallèle à la journée ou à l’acte.
L’objectif de maîtrise des dépenses du service public hospitalier a été globalement tenu grâce à ce mode de financement, basé sur une régulation par les volumes.
Relativement décrié à ses débuts par les professionnels, le budget global a montré de nombreux avantages pour les établissements : garantie de financement de l’existant, couverture des charges fixes assurée, crédits fléchés par masse, trésorerie régulièrement alimentée.
Ses défauts, connus dès l’origine, sont exactement à l’inverse : faible sensibilité à l’activité, faible réactivité à l’innovation, mode de financement différent public / privé, en résumé, un système plutôt sclérosant qui finance les structures et leurs acquis.
Vingt ans après, une nouvelle réforme du mode de financement des établissements de santé arrive : la tarification à l’activité (T2A).
Elle fait partie d’une réforme plus vaste, celle du plan “Hôpital 2007” dont les les autres volets sont la relance de l’investissement hospitalier, la simplification de la planification sanitaire et la modernisation de la gouvernance des hôpitaux publics.
Ce nouveau système met en place une régulation basée à la fois sur les prix et sur les volumes. Il s’agit de financer les établissements en proportion de l’activité qu’ils réalisent mais dans le cadre d’une enveloppe nationale limitative, votée avec l’objectif national des dépenses d’assurance maladie chaque année par le Parlement.
Trois éléments principaux le caractérisent :
- une enveloppe de régulation commune pour les deux secteurs d’hospitalisation, public et privé ;
- des tarifs de prestations fixés nationalement ;
- une logique budgétaire basée sur les recettes attendues et non plus sur une enveloppe de dépenses.
La description complète du nouveau dispositif dépasse le cadre de cet article. On pourra se reporter utilement au document d’information de la mission “Tarification à l’activité” d’Octobre 2003, publié sur le site internet du Ministère de la Santé, de la Famille et des Personnes Handicapées (ww.sante.gouv.fr).
Concernant le champ d’application, ne sont concernées pour le moment que les activités de médecine, chirurgie et obstétrique, seules à disposer d’une échelle tarifaire par groupe homogène de séjours, issue du PMSI.
Concernant les modalités de financement, le système en comporte cinq :
- trois directement liées à l’activité : tarifs par séjours (GHS et suppléments), tarifs par prestations (actes externes, hospitalisation à domicile) et paiements en sus (médicaments et prothèses sur liste), allouées sur facturation aux organismes financeurs ;
- une dotation globale, l’enveloppe “MIGAC” (missions d’intérêt général et aide à la contractualisation) allouée contractuellement par les Agences Régionales de l’Hospitalisation sur leur enveloppe régionale ;
- une mixte pour les urgences et l’activité de prélèvement d’organes : tarif national plus forfait annuel.
Concernant la montée en charge du dispositif, elle sera très progressive et étalée jusqu’en 2012. Pour le secteur privé, un coefficient de transition sera appliqué aux tarifs nationaux pour lisser l’impact de la réforme sur l’assurance maladie et les établissements.
Pour le secteur public, la transition sera opérée par le maintien d’une part de ressources, décroissante chaque année, allouée forfaitairement.
Les modalités de régulation générale sont modifiées. Jusqu’en 2003, l’ONDAM était réparti en cinq enveloppes ou objectifs : soins de ville, réseaux, établissements médico- sociaux, établissements privés sous OQN, établissements sous dotation globale.
A partir de 2004, ces deux dernières enveloppes sont remplacées par quatre nouvelles enveloppes :
- un objectif de dépenses MCO, commun aux secteurs public et privé ;
- une enveloppe de financement des missions d’intérêt général et d’aide à la contractualisation (MIGAC), commune aux secteurs public et privé ;
- une enveloppe de dépenses non MCO pour le secteur public et PSPH (SSR et psychiatrie),
- un objectif de dépenses non MCO pour le secteur privé sous OQN (SSR et psychiatrie).
Par définition, les enveloppes ont un caractère fermé et limitatif. A contrario, les objectifs sont évalués après facturation de l’activité : dans le cas d’un dépassement, la régulation s’effectue par une diminution des tarifs nationaux l’année suivante.
Le rôle des ARH dans l’allocation des ressources aux établissements de santé va progressivement diminuer jusqu’à se réduire à la répartition de l’enveloppe régionale “MIGAC” et à la notification des tarifs des groupes homogènes de séjour. De nombreuses critiques ont déjà été formulées sur ce nouveau mode de financement :
• C’est d’abord un système extrêmement complexe dont toutes les conséquences sont loin d’avoir été évaluées. Il faut noter que, contrairement à ce qui s’est passé pour la réforme du budget global, il n’y a pas eu de véritable expérimentation, puisque les règles définitives n’ont été connues qu’à la fin de 2003. Tout au plus des simulations sur les plus gros établissements ont montré que certains allaient gagner et d’autres perdre, ce dont on pouvait se douter.
• Le nouveau dispositif et sa période transitoire nécessitent une refonte complète du régime budgétaire et comptable des hôpitaux publics.
• Une saisie de l’information médicale en temps réel est indispensable, ce qui avantage d’emblée le secteur privé, qui a gardé la culture de la facturation à l’activité.
• Une enveloppe de régulation unique public / privé suppose des tarifs identiques et des règles de gestion comparables ; pour l’hôpital, cette réforme est donc indissociable du chantier de la nouvelle gouvernance. Pour le privé, elle pose la question de l’intégration des honoraires dans les tarifs.
A ces critiques s’ajoutent quelques incertitudes, notamment sur l’extension du champ d’application de la T2A. Cette extension devrait logiquement commencer par les activités de soins de suite et de réadaptation, dont l’entrée dans le PMSI est engagée depuis plusieurs années.
Pour la psychiatrie, aucune échéance officielle n’est annoncée, les représentants du Ministère indiquant seulement la forte probabilité d’une telle extension. En réalité, le délai dépendra du temps que prendra l’élaboration définitive d’un PMSI opérationnel en psychiatrie. La question est aujourd’hui posée d’une réorientation de l’expérimentation en cours autour de trois hypothèses :
- poursuite du modèle initial basé sur les groupes homogènes de journées ou d’actes, avec une amélioration de la classification médico-économique ;
- construction de tarifs de prestations médicalisés en plus petit nombre que les GHJ existants ;
- utilisation de la notion de séquences de soins comme outil de tarification.
En toute hypothèse, la psychiatrie, de par sa spécificité, devra bénéficier d’une enveloppe “MIGAC” beaucoup plus conséquente que dans les disciplines somatiques.
L’activité dite de secteur, financée par l’Assurance Maladie depuis 1985 en dotation globale comporte toutes les caractéristiques des missions d’intérêt général : travail de réseau, psychiatrie de liaison, actions pour la communauté, prévention, prise en charge des populations en état de précarité, etc...
En conclusion, quelques réflexions peuvent être avancées pour nourrir le débat.
La tarification à l’activité constitue un changement important, notamment pour les hôpitaux publics. Bien que progressif, il est de tous les volets du plan “Hôpital 2007” le plus inéluctable et ne sera pas mis en cause de sitôt. Aussi sophistiqué soit-il, un outil de tarification n’est jamais neutre. En l’occurence, on peut penser qu’il va exacerber la concurrence entre les établissements de santé et resserrer globalement la contrainte financière, sauf à considérer que l’objectif de dépenses peut être dépassé comme dans le secteur des soins de ville. Le risque existe encore et toujours d’utiliser le financement pour obliger les établissements à se restructurer, faute de vouloir ou pouvoir appliquer une véritable politique de planification sanitaire. Même si elle comporte beaucoup d’aspects positifs, l’ordonnance de simplification sanitaire de Septembre 2003 ne règle pas la question de l’aménagement du territoire.
Enfin, dans le domaine de la santé mentale, ou plus exactement, des soins psychiques, les établissements assurant cette activité ne peuvent pas se marginaliser et rester à l’écart de ce nouveau dispositif mais, au contraire, devraient réfléchir aux possibilités de l’adapter pour anticiper au mieux le changement.
Sources : revue Pluriels, la Lettre de la Mission nationale d'appui à la santé mentale, n°42-43/Mars-Avril 2004.
Vous pouvez trouver tous les numéros parus de “Pluriels” sur le site : http://psydoc fr.broca.inserm.fr
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