Monsieur Couty, bonjour et merci d’avoir accepté de répondre aux questions de la Mission nationale d’appui en santé mentale sur le rapport « Missions et organisation de la santé mentale et de la psychiatrie » que vous venez de remettre à Madame la ministre. Tout d’abord, quelle a été votre méthode de travail pour l’élaboration de ce rapport ?
Madame la ministre de la Santé m’a adressé une lettre de mission (annexée au rapport) au mois de juillet 2008 en me demandant de présider une commission de concertation et de réflexion sur l’organisation de la santé mentale et de la psychiatrie. La commande qui m’a été passée était donc de faire des propositions et de rédiger un rapport. Durant quatre mois, environ deux cent personnes ont été auditionnées.
Puis, en novembre et en décembre, deux séances de débats ont eu lieu entre les membres de la commission. À l’issue de ces débats et avant de commencer la rédaction, j’ai rappelé aux membres que, sur la base de ma lettre de mission, je porterai seul la responsabilité du rapport.
Quelles sont, selon vous, les recommandations-phares du rapport ?
Mon objectif n’était pas de proposer une liste de recommandations. Deux plans successifs pour la psychiatrie ont été conçus et mis en oeuvre, le bilan n'en a pas encore été complètement dressé. L'idée était de proposer les éléments de ce qui pourrait constituer les bases d'une politique de santé mentale, un cadre pour l’action. Le rapport présente les trois éléments qui doivent, à mon avis, fonder une politique de santé mentale aujourd’hui :
l Une politique de santé mentale doit être adossée à la politique de santé publique, autour du triptyque : soin, suivi, réinsertion. Il n’y a pas de politique de santé publique sans un volet santé mentale. Mais la réinsertion sociale implique d’autres acteurs que les soignants. La psychiatrie ne peut plus aujourd'hui assumer à elle seule toutes les tâches ni toutes les responsabilités. Il faut relire la circulaire de 1960 : l’esprit du secteur, c’était sortir de l’asile et donc aussi faire du suivi et de la réinsertion avec d’autres partenaires.
l Pour faire cette politique, il faut accroitre la place des usagers et des familles, et leur participation aux instances qui traitent de la psychiatrie et de la santé mentale. Cela se concrétise, par exemple, par la
création d’un bureau des usagers ou d'une maison des usagers dans chaque hôpital disposant de services de psychiatrie. Il faut inclure les patients et les familles dans des conseils locaux de santé mentale.
l Enfin, il faut impérativement pousser les professionnels à développer et à mettre en place, avec la HAS, des systèmes d’évaluation pertinents des structures de prise en charge de la maladie mentale ainsi que des processus d'évaluations des activités et des pratiques, même si c’est difficile, je ne le conteste pas : connaître et faire connaitre ce que l’on fait, pour une meilleure reconnaissance.
Pour faire tout cela, il faut une grande loi pour la santé mentale.
Le rapport préconise d’autres mesures concrètes très importantes comme la formation des infirmières, la recherche, la répartition des tâches entre les infirmiers spécialisés, les médecins et les psychologues. Ce sont les mesures d’accompagnement.
Effectivement, une des recommandations importantes du rapport nous semble être la loi redéfinissant l’ensemble du dispositif de prise en charge en psychiatrie. Pouvez-vous nous éclairer sur l’articulation entre cette loi à venir, la loi HPST, la loi de 1985 sur le secteur et la réforme de la loi de 1990 sur les hospitalisations sous contrainte ?
S’agissant d’une réflexion sur la réforme de la loi de 1990, il me semble que le travail réalisé par Madame Hélène Strohl peut, à lui seul, servir de base à une refonte des modalités de l’hospitalisation
sous contrainte. Mais cela doit s'intégrer dans une loi pour la santé mentale qui traite de l’ensemble des problématiques. Relisons les études épidémiologiques de l’OMS, la prévalence des maladies mentales dans les années qui viennent est alarmante. Cela nécessite un débat national sur les moyens que l’on veut y consacrer. Le risque, face à la polémique, c’est de réduire ce débat à sa composante sécuritaire et de ne réformer que la loi de 1990. Or, il est illusoire de croire que la psychiatrie va pouvoir continuer à fonctionner selon son mode d’organisation actuelle. Si l’objectif est de conserver le secteur et la philosophie qui l’a fait naître, la psychiatrie a beaucoup à perdre à l’absence de réforme. En revanche, elle aura beaucoup à gagner en acceptant de revoir son fonctionnement. Il faut accepter un partenariat renforcé et formalisé notamment avec les collectivités locales et les responsables des institutions médico-sociales. Ce partenariat devrait être formalisé afin d'identifier clairement les objectifs, les moyens, la responsabilité de la prise en charge des missions de prévention de soin et de réinsertion.
Quelles seront exactement les attributions de la mission interministérielle « santé mentale » placée auprès du ministre de la Santé ?
Il y a aujourd’hui au moins six ministères différents concernés par la santé mentale. Il faut, pour coordonner toutes les décisions et bien préparer les arbitrages, un seul responsable, rattaché au ministère de la Santé, ou mieux, au Premier Ministre. Un monsieur ou madame Santé mentale investi(e) par une lettre de mission et qui rende des comptes sur la mise en oeuvre et le suivi des politiques. Ce responsable devrait également participer directement au pilotage des ARS.
Chaque ARS devrait d’ailleurs être dotée d’un service dédié à la santé mentale et à la psychiatrie.
À plusieurs reprises dans le rapport, vous préconisez un « secteur rénové » qui assurerait les soins ambulatoires de niveau 1.
Et, dans le même temps, la double mission traditionnelle du secteur est réaffirmée puisque vous écrivez que le secteur devrait continuer à être en charge à la fois de l’extra-hospitalier et des soins en hospitalisation. D’aucuns voient là une ambiguïté. Quel sera le périmètre géographique d’action du
GLC ?
Je pense que les nécessités de l’organisation territoriale de la santé mentale sont très différentes de celle du MCO, et c’est une de ses spécificités.
Dans le MCO, on mise sur la mutualisation des moyens sur un territoire de santé : c’est l’usager qui se déplace. En santé mentale, c’est différent. Ce qui fait la qualité, au contraire, c’est la proximité. D’autant plus que l’usager n’est pas forcément demandeur du soin !
Il faut donc aller au-devant du patient. Le périmètre du territoire sanitaire, 200 000 à 500 000 habitants, tel que décrit dans les SROS et soumis aux futurs ARS, n’est pas adapté à ce type de mission.
La base territoriale de la santé mentale et de la psychiatrie, c’est bien le secteur traditionnel, c'est-à-dire un territoire entre 70 000 et 150 000 personnes, à moduler pour la pédo-psychiatrie, où il est plus large. Il faut de la proximité et du travail de terrain. Ce découpage n'est pas incompatible avec le volet santé mentale du projet régional de santé, c'est la déclinaison locale, de proximité, du projet régional.
Pourquoi un groupement local de coopération (GLC) ?
Pour faire le travail de terrain nécessaire, il faut aussi du social et du médico-social, d’où la proposition de confier les missions du premier niveau de prise en charge à un groupement local de coopération réunissant l’ensemble des acteurs concernés.
J’aurais pu proposer un GCS. Mais dans GCS, il y a « sanitaire ». Or, à mes yeux, le groupement de coopération en charge de la santé mentale, ce n’est pas que du sanitaire. C’est un groupement de coopération sanitaire, mais qui associe le sanitaire, le médico-social, le social, les collectivités locales et la médecine de ville.
Le secteur, dans son acception actuelle, a une place centrale en tant qu’acteur du soin mais il ne peut pas être seul. Il faut une plus grande fluidité entre structure de soins et suivi. D’ailleurs, je préconise également le développement de l’HAD en psychiatrie ainsi que le développement des équipes mobiles qui iraient directement au domicile du patient.
La loi de 2005 a reconnu le handicap psychique. On a affaire à des maladies récurrentes avec des périodes de rémission et des phases aigües. Malheureusement, le sanitaire et le médico-social ne se parlent pas. Aujourd’hui, ce n’est pas le secteur, avec une assistante sociale (quand elle existe) qui peut faire ce travail. Il faut donc impliquer les secteurs (pour la prise en charge des soins intra et extra-hospitaliers) les collectivités locales et les institutions médico-sociales autours de trois axes d’action essentiels, tout aussi essentiels les uns que les autres : le soin, le suivi, la réinsertion. Traiter la question de la réinsertion sociale, dans la cité, c'est aussi se préoccuper du logement, du revenu, de l’emploi ou de l’activité professionnelle, des activités socioculturelles.
À ce titre, les villes et les élus doivent être associés, notamment pour la question du logement. S’ils ont une responsabilité institutionnelle dans le GLC, ils coopéreront, en réservant des places dans un HLM, par exemple, ou en aidant à disposer de logements en résidence accompagnés ou en colocation. Car les communes ont tout intérêt à ce que les patients soient réinsérés dans la cité de la manière la plus fluide possible.
Comment coordonner la myriade d’acteurs censés se retrouver au sein du GLC ?
Il n'est pas nécessaire qu'il y ait une myriade d'acteurs, il suffit qu'il y ait deux ou trois membres fondateurs : l'hôpital de rattachement du secteur, une ou deux institutions médico-sociales et (facultativement) une collectivité locale.
Pour que tout cela fonctionne, il faut un réseau. La difficulté des réseaux, c’est qu’ils sont « personne-dépendants ». Il faut donc les institutionnaliser pour pérenniser leur action.
Le GLC aura un conseil local, ce n’est pas un électron libre. Un conseil local de santé mentale, composé, aux côtés des professionnels d'élus et de représentants des associations de patients et de familles de patients et de leur entourage qui s’assure de la cohérence et de la mise en oeuvre du schéma local de santé mentale, à l’instar des conseils de secteurs qui n’ont, pour la plupart, jamais fonctionné. Le directeur sera nommé par l’ARS. Il faut un professionnel formé à la gestion et, dans le même temps, capable d’aller au-devant d’acteurs de cultures et d’origines très différentes.
Certains psychiatres s’inquiètent du profil de ce professionnel qui semble défini exclusivement comme un administratif ?
Je crois que cette question devrait être discutée et résolue dans le cadre de la concertation et du débat instaurés à l’occasion de la préparation d’une loi pour la santé mentale. Il est difficile et prématuré
de se prononcer définitivement aujourd’hui. J’ai simplement écrit dans mon rapport que ce responsable, nommé par l’ARS, pourrait être un cadre médical, soignant ou administratif des équipes de secteur. Ce pourrait bien sûr être un psychiatre.
Comment, dans un État décentralisé, l’État peut-il obliger des collectivités territoriales à adhérer à un GLC ? D’autant plus que les Conseils généraux n’ont pas nécessairement les moyens financiers.
Évidemment, non, l’État n’a pas le pouvoir de contraindre les collectivités à adhérer à un groupement. L’adhésion de la collectivité locale ne peut être que volontaire. Mais à partir du moment où l’on crée un conseil local de santé mentale, il faut y mettre les usagers, les familles et les élus, et cela, la loi peut le prévoir. Deux observations : d’une part, je crois que les communes ont un intérêt évident à voir fonctionner un groupement de coopération pour une bonne prise en charge des questions de santé mentale sur leur territoire, d’autre part, l’évaluation des structures et des activités, et la transparence vis-à-vis des patients, de leur famille, de l’entourage, et finalement vis-à-vis des citoyens, fera connaître les actions de chacun.
On pourrait également imaginer de faire des expérimentations sur plusieurs modèles de gouvernance possibles élaborés lors de la concertation évoquée plus haut.
On peut avoir l’impression, à la lecture du rapport, d’assister à une scission, sur le plan juridique, budgétaire et organisationnel, du secteur psychiatrique traditionnel entre l’extrahospitalier d’un côté, et l’intra- de l’autre : chronique d’une mort annoncée ?
C’est une ineptie de dire que le rapport préconise la séparation de l’intra et de l’extra. Je pense, au contraire, qu’il faut maintenir l’unité du secteur. Ce que je dis, c’est qu’il faut une structure responsable qui gère les moyens et les patients autours du soin, du suivi et de la réinsertion avec les psychiatres, le médico-social et les collectivités territoriales. Cela signifie aussi un regroupement des moyens financiers : budget du secteur (avec une répartition 50/50 entre l’intra et l’extra), les moyens des collectivités territoriales et les moyens attribués par l’ARS au titre du médico-social.
C’est pourquoi, contrairement à ce que j’entends dire aujourd’hui, le GLC pour la santé mentale ce n’est ni la mort du secteur ni « couper l’intra de l’extra ». C’est un groupement qui institutionnalise un réseau dans lequel se trouvent : le secteur (la partie ambulatoire évidemment parce qu’il n’y a pas de lits au premier niveau de prise en charge) et les autres acteurs de la santé mentale. C’est ce que j’appelle le secteur rénové.
En dissociant l’hospitalisation et l’offre de soins de proximité ne risque-t-on pas d’encourager la formation de grands CHS départementaux, voire régionaux, à l’image des asiles d’avant guerre ?
Il y a un risque, notamment si l’on raisonne sur un territoire correspondant à une communauté hospitalière de territoire (400 000 habitants), beaucoup moins si l’on travaille sur le territoire géographique du secteur (70 000/ 100 000 habitants). Mais la question ne se résout pas à celle des lits. Il faut développer des alternatives pour libérer des capacités d’hospitalisation : le logement, accompagné ou pas, la colocation, tout ce qui permet la réinsertion et ce qui accompagne l’action dans l’extra-hospitalier.
Pensez-vous que l’hôpital, général ou spécialisé, soit en mesure de s’impliquer dans la mise en place des GLC ?
Le secteur n’a pas de personnalité morale. La personne morale fondatrice du GLC, cela devrait donc être l’hôpital, mais cela sera également une institution médico-sociale.
L’hôpital sera donc membre fondateur du GLC et éventuellement membre de plusieurs GLC en fonction du nombre de secteurs. La territorialité n’est pas la même selon que l’on est en zone urbaine dense ou en zone rurale. Si l’on va au bout du schéma proposé, je crois même que le pôle d’activité de l’hôpital, qu’il soit général ou spécialisé, devrait être confondu avec le GLC.
En pédo-psychiatrie, il y a déjà peu de lits. Avec la mise en place des GLC, l’activité ne risque-t-elle pas d’être encore plus déconnectée de l’hospitalisation ?
Il y a toujours eu beaucoup de difficultés à hospitaliser les enfants et les adolescents, parce qu’il y a effectivement peu de lits. C’est un problème, et souvent les familles viennent de loin. S’agissant du GLC, il faut bien comprendre qu’il sera de toute manière rattaché à l’hôpital. L’hôpital devra s’engager à garantir l’hospitalisation en cas de besoin. Aujourd’hui, quand l’hôpital annonce qu’il n’a pas de lit disponible, on fait une HO pour être sûr que le patient soit pris ! Ce n’est pas satisfaisant. Dans le cadre d’un engagement formel de l’hôpital, la responsabilité sera clairement identifiée, quitte à ce que l’on constate qu’il faut rouvrir des lits. Mais la question est aussi peut-être de s’assurer que la fluidité du système est garantie. Tous les patients hospitalisés ont-ils besoin de l’être et de l’être aussi longuement ? Je pense là, bien sûr, à la nécessité de développer les structures de suivi et de réinsertion, logements notamment.
Est-ce que le privé lucratif pourra participer à ces groupements ?
Oui, s’il le souhaite, mais à condition qu’il soit sectorisé, c'est-à-dire après avoir passé contrat avec l’ARS sur la prise en charge de missions de service public dont les principes sont la permanence, la
continuité et l’égalité d’accès. Cet aspect relève de la loi HPST. Je dis simplement que s'agissant des missions de service public, il faut veiller à ne pas développer une psychiatrie à deux vitesses
Dans le contexte actuel de tendance lourde des médecins libéraux à se désengager de la permanence des soins, comment envisagez-vous d’associer la médecine de ville au GLC, notamment pour ce qui concerne l’amont des urgences 24/24 que vous préconisez dans le rapport ?
Les libéraux coopéreront si, en contrepartie, ils ont la garantie que la prise en charge de leurs patients sera assurée en hospitalisation si nécessaire et qu'ils pourront en assurer le suivi ensuite en ambulatoire.
Pouvez-vous préciser ce que sera la position statutaire des personnels, actuellement hospitaliers, qui seront amenés à travailler au sein du GLC ? Où seront affectés les PH ?
Le GLC n’a pas vocation à être employeur, ce n’est pas son rôle. Pour ce qui est des infirmiers de secteur et des psychiatres actuellement gérés par un établissement de santé, leur statut ne serait pas
modifié. Mais sur tous ces aspects pratiques de la construction et du fonctionnement du GLC, il faudra une loi et des décrets d’application à l’occasion desquels tout cela devra être concerté, développé et précisé.
Le GLC a-t-il vocation à couvrir à la fois la psychiatrie adulte et infanto-juvénile ? Au-delà de propositions très intéressantes, mais ponctuelles, que fait le rapport sur la périnatalité ou les équipes mobiles, on ne perçoit pas bien la place de la pédo-psychiatrie dans l’édifice à trois niveaux que vous
préconisez ?
C’est vrai que dans le rapport, la pédo-psychiatrie a surtout été traitée sous l’angle de la prévention. Mais en réalité, l’outil du GLC est bien adapté à la prise en charge de la pédo-psychiatrie qui coopère déjà beaucoup avec d’autres acteurs, notamment l’Éducation nationale.
Sur le dimensionnement des secteurs, je n’ai pas d’a priori. Je pense qu’il faut faire des expérimentations sur ce sujet comme sur les autres. Mais, s’agissant de la pédo-psychiatrie comme discipline, il me semble qu’elle nécessiterait de faire l’objet d’un rapport en tant que telle, ce qui à ma connaissance n’a jamais été fait jusqu’à maintenant.
Aujourd’hui, l’activité de la psychiatrie n’est pas prise en compte pour l’élaboration de la dotation globale. Par conséquent, à l’hôpital général, il peut être tentant d’utiliser la psychiatrie comme variable d’ajustement de budgets déjà contraints. Pour freiner cette dérive, pourquoi ne pas préconiser
une sanctuarisation des moyens de la psychiatrie ?
Je ne pense pas qu’il faille « sanctuariser » les enveloppes de financement. Ce terme a une connotation péjorative. Il ne faut pas une attitude protectionniste, mais plutôt pro-active.
Par ailleurs, la question qui se pose aujourd’hui est aussi celle d’une utilisation plus judicieuse, d’une meilleure répartition des moyens alloués. Pour cela, il faut organiser un peu plus de transparence : notamment sur l’emploi des ressources allouées par la solidarité nationale. Aujourd’hui, c’est plutôt l’opacité qui règne. Cela fait partie des recommandations du rapport qui parlent de l’évaluation du service rendu : efficacité et efficience. Il existe des outils pour évaluer, même s’il faut évidemment que ces outils soient adaptés à la psychiatrie, élaborés et partagés avec les professionnels.
Sur la question des moyens, l’horizon 2010-2011 que vous préconisez pour la généralisation de la VAP vous paraît-il vraiment réaliste ?
Il faut faire la VAP ! Et si j’en crois les nombreuses personnes que j’ai rencontrées au cours de ce travail, les acteurs de l’hospitalisation psychiatrique l’attendent avec impatience. Malheureusement, cela n’a pas, ces dernières années, été jugé comme une priorité. Il faut vite redémarrer en incluant l’extra-hospitalier. Si la psychiatrie rate le virage de la VAP, je crains que ce ne soit l’ensemble de ses activités qui soient menacées. Si l’on veut conserver le secteur et son esprit, il faut valoriser toutes les activités, intra, extra et les activités de prévention et de réinsertion. Mais aussi, plus largement, évaluer et faire connaître ces activités et impliquer véritablement les patients et leurs familles.
Parmi ses recommandations, le rapport préconise la création d’une spécialisation de psychiatrie pour les IDE, sur le modèle des puéricultrices, IADE et IBODE. Cela signifie un retour vers une carrière strictement psy et probablement étanche à une mobilité vers le MCO ?
Je propose, dans le cadre du LMD pour les infirmiers, un master de santé mentale et psychiatrie, pour avoir des professionnels formés, spécialisés à bac+5 ; pour les psychologues, c’est le master avec des valences de psychologie clinique.
C’est important car, depuis la disparition de la spécialité d’infirmier psychiatrique, les jeunes IDE hésitent à aller en psychiatrie et, quand ils arrivent dans les services, ils ne sont pas bien préparés à ce métier et à ses difficultés.
J’ai toujours été convaincu, depuis mon expérience de DHOS, de la nécessité de créer une ou plusieurs années supplémentaires de formation pour les infirmiers qui vont travailler en psychiatrie. Ce que j’ai entendu de la part des professionnels, lors des auditions, m’a conforté dans ce point de vue.
Il faut, comme cela a été fait pour de nombreuses autres disciplines en MCO (ophtalmologistes/orthoptistes, radiologues/manipulateurs, etc.), réfléchir, expérimenter dans le cadre de la loi et évaluer de nouvelles répartitions des tâches entre les professionnels médicaux et non-médicaux. L’observatoire national des professions de santé, présidé par le Professeur Berland, est prêt à s’engager dans cette démarche d’expérimentation pour la psychiatrie, sous réserve que les médecins psychiatres et les paramédicaux acceptent une concertation.
L’objectif, c’est de dégager du temps de psychiatre, lequel aura, bien entendu, toujours la responsabilité de la décision médicale, de la prescription et de la coordination de la prise en charge.
Enfin, aujourd’hui, on aurait besoin de plus de rééducateurs, d’ergothérapeutes, de travailleurs sociaux, de psychomotriciens dans les services d’hospitalisation psychiatrique. Ce panel de métiers illustre la diversité des tâches et des besoins.
Qui assurerait cette formation ?
L’université est tout à fait à même de faire assurer cette formation par les IFSI avec lesquels elle passera convention. La formation devra être sujette à évaluation par l’AERES.
Ne craigniez-vous pas que cette proposition soit contestée par les psychologues et les médecins ?
Je ne le crois pas car tous les professionnels ont intérêt à ce que leur travail soit bien reconnu et valorisé, que les tâches soient mieux réparties et que les prises en charge s'en trouvent améliorées.
Le travail expérimental du partage de compétences est principalement et prioritairement à concevoir entre les infirmiers spécialisés et psychiatres.
La notion de proximité revient souvent dans votre rapport, c’est une des notions-clés de l’organisation proposée. Mais la proximité, cela commence et cela s’arrête où ?
La proximité dont je parle, c’est deux choses. Tout d’abord, c’est la proximité géographique, celle délimitée par le territoire. Et je redis que le territoire de la santé mentale ne peut pas être celui du MCO, il doit être plus petit, environ 100 000 habitants, plus pour la pédo-psychiatrie. Ensuite, c’est le mode opératoire du dispositif. Dans les responsabilités du GLC, il doit y avoir celle du suivi personnalisé et organisé du patient. Il faut un répondant, un interlocuteur qui, pour chaque patient, fasse le lien entre les différents acteurs et intervenants.
La psychiatrie française a été à la pointe de l’innovation en développant la notion de secteur. Elle a, en créant ce concept, créé un modèle qui a ensuite été adapté à toute l’organisation hospitalière. La psychiatrie, il y a plus de quarante ans, a montré la voie de l’alternative à l’hospitalisation en faisant sortir l’hôpital de ses murs et en mettant fin aux asiles. Elle a aujourd’hui la possibilité de montrer à nouveau une voie de progrès en relevant avec succès le défi du décloisonnement du sanitaire, du social et du médico-social, en montrant qu’un système ouvert et pluridisciplinaire peut être garant d’une meilleure prise en charge des patients, du soin à la réinsertion dans la vie de la cité.
Monsieur Couty, merci d’avoir répondu à nos questions.
Copyright MNASM (Mission nationale d'appui en santé mentale)
Site: MNASM Rapport Couty
Madame la ministre de la Santé m’a adressé une lettre de mission (annexée au rapport) au mois de juillet 2008 en me demandant de présider une commission de concertation et de réflexion sur l’organisation de la santé mentale et de la psychiatrie. La commande qui m’a été passée était donc de faire des propositions et de rédiger un rapport. Durant quatre mois, environ deux cent personnes ont été auditionnées.
Puis, en novembre et en décembre, deux séances de débats ont eu lieu entre les membres de la commission. À l’issue de ces débats et avant de commencer la rédaction, j’ai rappelé aux membres que, sur la base de ma lettre de mission, je porterai seul la responsabilité du rapport.
Quelles sont, selon vous, les recommandations-phares du rapport ?
Mon objectif n’était pas de proposer une liste de recommandations. Deux plans successifs pour la psychiatrie ont été conçus et mis en oeuvre, le bilan n'en a pas encore été complètement dressé. L'idée était de proposer les éléments de ce qui pourrait constituer les bases d'une politique de santé mentale, un cadre pour l’action. Le rapport présente les trois éléments qui doivent, à mon avis, fonder une politique de santé mentale aujourd’hui :
l Une politique de santé mentale doit être adossée à la politique de santé publique, autour du triptyque : soin, suivi, réinsertion. Il n’y a pas de politique de santé publique sans un volet santé mentale. Mais la réinsertion sociale implique d’autres acteurs que les soignants. La psychiatrie ne peut plus aujourd'hui assumer à elle seule toutes les tâches ni toutes les responsabilités. Il faut relire la circulaire de 1960 : l’esprit du secteur, c’était sortir de l’asile et donc aussi faire du suivi et de la réinsertion avec d’autres partenaires.
l Pour faire cette politique, il faut accroitre la place des usagers et des familles, et leur participation aux instances qui traitent de la psychiatrie et de la santé mentale. Cela se concrétise, par exemple, par la
création d’un bureau des usagers ou d'une maison des usagers dans chaque hôpital disposant de services de psychiatrie. Il faut inclure les patients et les familles dans des conseils locaux de santé mentale.
l Enfin, il faut impérativement pousser les professionnels à développer et à mettre en place, avec la HAS, des systèmes d’évaluation pertinents des structures de prise en charge de la maladie mentale ainsi que des processus d'évaluations des activités et des pratiques, même si c’est difficile, je ne le conteste pas : connaître et faire connaitre ce que l’on fait, pour une meilleure reconnaissance.
Pour faire tout cela, il faut une grande loi pour la santé mentale.
Le rapport préconise d’autres mesures concrètes très importantes comme la formation des infirmières, la recherche, la répartition des tâches entre les infirmiers spécialisés, les médecins et les psychologues. Ce sont les mesures d’accompagnement.
Effectivement, une des recommandations importantes du rapport nous semble être la loi redéfinissant l’ensemble du dispositif de prise en charge en psychiatrie. Pouvez-vous nous éclairer sur l’articulation entre cette loi à venir, la loi HPST, la loi de 1985 sur le secteur et la réforme de la loi de 1990 sur les hospitalisations sous contrainte ?
S’agissant d’une réflexion sur la réforme de la loi de 1990, il me semble que le travail réalisé par Madame Hélène Strohl peut, à lui seul, servir de base à une refonte des modalités de l’hospitalisation
sous contrainte. Mais cela doit s'intégrer dans une loi pour la santé mentale qui traite de l’ensemble des problématiques. Relisons les études épidémiologiques de l’OMS, la prévalence des maladies mentales dans les années qui viennent est alarmante. Cela nécessite un débat national sur les moyens que l’on veut y consacrer. Le risque, face à la polémique, c’est de réduire ce débat à sa composante sécuritaire et de ne réformer que la loi de 1990. Or, il est illusoire de croire que la psychiatrie va pouvoir continuer à fonctionner selon son mode d’organisation actuelle. Si l’objectif est de conserver le secteur et la philosophie qui l’a fait naître, la psychiatrie a beaucoup à perdre à l’absence de réforme. En revanche, elle aura beaucoup à gagner en acceptant de revoir son fonctionnement. Il faut accepter un partenariat renforcé et formalisé notamment avec les collectivités locales et les responsables des institutions médico-sociales. Ce partenariat devrait être formalisé afin d'identifier clairement les objectifs, les moyens, la responsabilité de la prise en charge des missions de prévention de soin et de réinsertion.
Quelles seront exactement les attributions de la mission interministérielle « santé mentale » placée auprès du ministre de la Santé ?
Il y a aujourd’hui au moins six ministères différents concernés par la santé mentale. Il faut, pour coordonner toutes les décisions et bien préparer les arbitrages, un seul responsable, rattaché au ministère de la Santé, ou mieux, au Premier Ministre. Un monsieur ou madame Santé mentale investi(e) par une lettre de mission et qui rende des comptes sur la mise en oeuvre et le suivi des politiques. Ce responsable devrait également participer directement au pilotage des ARS.
Chaque ARS devrait d’ailleurs être dotée d’un service dédié à la santé mentale et à la psychiatrie.
À plusieurs reprises dans le rapport, vous préconisez un « secteur rénové » qui assurerait les soins ambulatoires de niveau 1.
Et, dans le même temps, la double mission traditionnelle du secteur est réaffirmée puisque vous écrivez que le secteur devrait continuer à être en charge à la fois de l’extra-hospitalier et des soins en hospitalisation. D’aucuns voient là une ambiguïté. Quel sera le périmètre géographique d’action du
GLC ?
Je pense que les nécessités de l’organisation territoriale de la santé mentale sont très différentes de celle du MCO, et c’est une de ses spécificités.
Dans le MCO, on mise sur la mutualisation des moyens sur un territoire de santé : c’est l’usager qui se déplace. En santé mentale, c’est différent. Ce qui fait la qualité, au contraire, c’est la proximité. D’autant plus que l’usager n’est pas forcément demandeur du soin !
Il faut donc aller au-devant du patient. Le périmètre du territoire sanitaire, 200 000 à 500 000 habitants, tel que décrit dans les SROS et soumis aux futurs ARS, n’est pas adapté à ce type de mission.
La base territoriale de la santé mentale et de la psychiatrie, c’est bien le secteur traditionnel, c'est-à-dire un territoire entre 70 000 et 150 000 personnes, à moduler pour la pédo-psychiatrie, où il est plus large. Il faut de la proximité et du travail de terrain. Ce découpage n'est pas incompatible avec le volet santé mentale du projet régional de santé, c'est la déclinaison locale, de proximité, du projet régional.
Pourquoi un groupement local de coopération (GLC) ?
Pour faire le travail de terrain nécessaire, il faut aussi du social et du médico-social, d’où la proposition de confier les missions du premier niveau de prise en charge à un groupement local de coopération réunissant l’ensemble des acteurs concernés.
J’aurais pu proposer un GCS. Mais dans GCS, il y a « sanitaire ». Or, à mes yeux, le groupement de coopération en charge de la santé mentale, ce n’est pas que du sanitaire. C’est un groupement de coopération sanitaire, mais qui associe le sanitaire, le médico-social, le social, les collectivités locales et la médecine de ville.
Le secteur, dans son acception actuelle, a une place centrale en tant qu’acteur du soin mais il ne peut pas être seul. Il faut une plus grande fluidité entre structure de soins et suivi. D’ailleurs, je préconise également le développement de l’HAD en psychiatrie ainsi que le développement des équipes mobiles qui iraient directement au domicile du patient.
La loi de 2005 a reconnu le handicap psychique. On a affaire à des maladies récurrentes avec des périodes de rémission et des phases aigües. Malheureusement, le sanitaire et le médico-social ne se parlent pas. Aujourd’hui, ce n’est pas le secteur, avec une assistante sociale (quand elle existe) qui peut faire ce travail. Il faut donc impliquer les secteurs (pour la prise en charge des soins intra et extra-hospitaliers) les collectivités locales et les institutions médico-sociales autours de trois axes d’action essentiels, tout aussi essentiels les uns que les autres : le soin, le suivi, la réinsertion. Traiter la question de la réinsertion sociale, dans la cité, c'est aussi se préoccuper du logement, du revenu, de l’emploi ou de l’activité professionnelle, des activités socioculturelles.
À ce titre, les villes et les élus doivent être associés, notamment pour la question du logement. S’ils ont une responsabilité institutionnelle dans le GLC, ils coopéreront, en réservant des places dans un HLM, par exemple, ou en aidant à disposer de logements en résidence accompagnés ou en colocation. Car les communes ont tout intérêt à ce que les patients soient réinsérés dans la cité de la manière la plus fluide possible.
Comment coordonner la myriade d’acteurs censés se retrouver au sein du GLC ?
Il n'est pas nécessaire qu'il y ait une myriade d'acteurs, il suffit qu'il y ait deux ou trois membres fondateurs : l'hôpital de rattachement du secteur, une ou deux institutions médico-sociales et (facultativement) une collectivité locale.
Pour que tout cela fonctionne, il faut un réseau. La difficulté des réseaux, c’est qu’ils sont « personne-dépendants ». Il faut donc les institutionnaliser pour pérenniser leur action.
Le GLC aura un conseil local, ce n’est pas un électron libre. Un conseil local de santé mentale, composé, aux côtés des professionnels d'élus et de représentants des associations de patients et de familles de patients et de leur entourage qui s’assure de la cohérence et de la mise en oeuvre du schéma local de santé mentale, à l’instar des conseils de secteurs qui n’ont, pour la plupart, jamais fonctionné. Le directeur sera nommé par l’ARS. Il faut un professionnel formé à la gestion et, dans le même temps, capable d’aller au-devant d’acteurs de cultures et d’origines très différentes.
Certains psychiatres s’inquiètent du profil de ce professionnel qui semble défini exclusivement comme un administratif ?
Je crois que cette question devrait être discutée et résolue dans le cadre de la concertation et du débat instaurés à l’occasion de la préparation d’une loi pour la santé mentale. Il est difficile et prématuré
de se prononcer définitivement aujourd’hui. J’ai simplement écrit dans mon rapport que ce responsable, nommé par l’ARS, pourrait être un cadre médical, soignant ou administratif des équipes de secteur. Ce pourrait bien sûr être un psychiatre.
Comment, dans un État décentralisé, l’État peut-il obliger des collectivités territoriales à adhérer à un GLC ? D’autant plus que les Conseils généraux n’ont pas nécessairement les moyens financiers.
Évidemment, non, l’État n’a pas le pouvoir de contraindre les collectivités à adhérer à un groupement. L’adhésion de la collectivité locale ne peut être que volontaire. Mais à partir du moment où l’on crée un conseil local de santé mentale, il faut y mettre les usagers, les familles et les élus, et cela, la loi peut le prévoir. Deux observations : d’une part, je crois que les communes ont un intérêt évident à voir fonctionner un groupement de coopération pour une bonne prise en charge des questions de santé mentale sur leur territoire, d’autre part, l’évaluation des structures et des activités, et la transparence vis-à-vis des patients, de leur famille, de l’entourage, et finalement vis-à-vis des citoyens, fera connaître les actions de chacun.
On pourrait également imaginer de faire des expérimentations sur plusieurs modèles de gouvernance possibles élaborés lors de la concertation évoquée plus haut.
On peut avoir l’impression, à la lecture du rapport, d’assister à une scission, sur le plan juridique, budgétaire et organisationnel, du secteur psychiatrique traditionnel entre l’extrahospitalier d’un côté, et l’intra- de l’autre : chronique d’une mort annoncée ?
C’est une ineptie de dire que le rapport préconise la séparation de l’intra et de l’extra. Je pense, au contraire, qu’il faut maintenir l’unité du secteur. Ce que je dis, c’est qu’il faut une structure responsable qui gère les moyens et les patients autours du soin, du suivi et de la réinsertion avec les psychiatres, le médico-social et les collectivités territoriales. Cela signifie aussi un regroupement des moyens financiers : budget du secteur (avec une répartition 50/50 entre l’intra et l’extra), les moyens des collectivités territoriales et les moyens attribués par l’ARS au titre du médico-social.
C’est pourquoi, contrairement à ce que j’entends dire aujourd’hui, le GLC pour la santé mentale ce n’est ni la mort du secteur ni « couper l’intra de l’extra ». C’est un groupement qui institutionnalise un réseau dans lequel se trouvent : le secteur (la partie ambulatoire évidemment parce qu’il n’y a pas de lits au premier niveau de prise en charge) et les autres acteurs de la santé mentale. C’est ce que j’appelle le secteur rénové.
En dissociant l’hospitalisation et l’offre de soins de proximité ne risque-t-on pas d’encourager la formation de grands CHS départementaux, voire régionaux, à l’image des asiles d’avant guerre ?
Il y a un risque, notamment si l’on raisonne sur un territoire correspondant à une communauté hospitalière de territoire (400 000 habitants), beaucoup moins si l’on travaille sur le territoire géographique du secteur (70 000/ 100 000 habitants). Mais la question ne se résout pas à celle des lits. Il faut développer des alternatives pour libérer des capacités d’hospitalisation : le logement, accompagné ou pas, la colocation, tout ce qui permet la réinsertion et ce qui accompagne l’action dans l’extra-hospitalier.
Pensez-vous que l’hôpital, général ou spécialisé, soit en mesure de s’impliquer dans la mise en place des GLC ?
Le secteur n’a pas de personnalité morale. La personne morale fondatrice du GLC, cela devrait donc être l’hôpital, mais cela sera également une institution médico-sociale.
L’hôpital sera donc membre fondateur du GLC et éventuellement membre de plusieurs GLC en fonction du nombre de secteurs. La territorialité n’est pas la même selon que l’on est en zone urbaine dense ou en zone rurale. Si l’on va au bout du schéma proposé, je crois même que le pôle d’activité de l’hôpital, qu’il soit général ou spécialisé, devrait être confondu avec le GLC.
En pédo-psychiatrie, il y a déjà peu de lits. Avec la mise en place des GLC, l’activité ne risque-t-elle pas d’être encore plus déconnectée de l’hospitalisation ?
Il y a toujours eu beaucoup de difficultés à hospitaliser les enfants et les adolescents, parce qu’il y a effectivement peu de lits. C’est un problème, et souvent les familles viennent de loin. S’agissant du GLC, il faut bien comprendre qu’il sera de toute manière rattaché à l’hôpital. L’hôpital devra s’engager à garantir l’hospitalisation en cas de besoin. Aujourd’hui, quand l’hôpital annonce qu’il n’a pas de lit disponible, on fait une HO pour être sûr que le patient soit pris ! Ce n’est pas satisfaisant. Dans le cadre d’un engagement formel de l’hôpital, la responsabilité sera clairement identifiée, quitte à ce que l’on constate qu’il faut rouvrir des lits. Mais la question est aussi peut-être de s’assurer que la fluidité du système est garantie. Tous les patients hospitalisés ont-ils besoin de l’être et de l’être aussi longuement ? Je pense là, bien sûr, à la nécessité de développer les structures de suivi et de réinsertion, logements notamment.
Est-ce que le privé lucratif pourra participer à ces groupements ?
Oui, s’il le souhaite, mais à condition qu’il soit sectorisé, c'est-à-dire après avoir passé contrat avec l’ARS sur la prise en charge de missions de service public dont les principes sont la permanence, la
continuité et l’égalité d’accès. Cet aspect relève de la loi HPST. Je dis simplement que s'agissant des missions de service public, il faut veiller à ne pas développer une psychiatrie à deux vitesses
Dans le contexte actuel de tendance lourde des médecins libéraux à se désengager de la permanence des soins, comment envisagez-vous d’associer la médecine de ville au GLC, notamment pour ce qui concerne l’amont des urgences 24/24 que vous préconisez dans le rapport ?
Les libéraux coopéreront si, en contrepartie, ils ont la garantie que la prise en charge de leurs patients sera assurée en hospitalisation si nécessaire et qu'ils pourront en assurer le suivi ensuite en ambulatoire.
Pouvez-vous préciser ce que sera la position statutaire des personnels, actuellement hospitaliers, qui seront amenés à travailler au sein du GLC ? Où seront affectés les PH ?
Le GLC n’a pas vocation à être employeur, ce n’est pas son rôle. Pour ce qui est des infirmiers de secteur et des psychiatres actuellement gérés par un établissement de santé, leur statut ne serait pas
modifié. Mais sur tous ces aspects pratiques de la construction et du fonctionnement du GLC, il faudra une loi et des décrets d’application à l’occasion desquels tout cela devra être concerté, développé et précisé.
Le GLC a-t-il vocation à couvrir à la fois la psychiatrie adulte et infanto-juvénile ? Au-delà de propositions très intéressantes, mais ponctuelles, que fait le rapport sur la périnatalité ou les équipes mobiles, on ne perçoit pas bien la place de la pédo-psychiatrie dans l’édifice à trois niveaux que vous
préconisez ?
C’est vrai que dans le rapport, la pédo-psychiatrie a surtout été traitée sous l’angle de la prévention. Mais en réalité, l’outil du GLC est bien adapté à la prise en charge de la pédo-psychiatrie qui coopère déjà beaucoup avec d’autres acteurs, notamment l’Éducation nationale.
Sur le dimensionnement des secteurs, je n’ai pas d’a priori. Je pense qu’il faut faire des expérimentations sur ce sujet comme sur les autres. Mais, s’agissant de la pédo-psychiatrie comme discipline, il me semble qu’elle nécessiterait de faire l’objet d’un rapport en tant que telle, ce qui à ma connaissance n’a jamais été fait jusqu’à maintenant.
Aujourd’hui, l’activité de la psychiatrie n’est pas prise en compte pour l’élaboration de la dotation globale. Par conséquent, à l’hôpital général, il peut être tentant d’utiliser la psychiatrie comme variable d’ajustement de budgets déjà contraints. Pour freiner cette dérive, pourquoi ne pas préconiser
une sanctuarisation des moyens de la psychiatrie ?
Je ne pense pas qu’il faille « sanctuariser » les enveloppes de financement. Ce terme a une connotation péjorative. Il ne faut pas une attitude protectionniste, mais plutôt pro-active.
Par ailleurs, la question qui se pose aujourd’hui est aussi celle d’une utilisation plus judicieuse, d’une meilleure répartition des moyens alloués. Pour cela, il faut organiser un peu plus de transparence : notamment sur l’emploi des ressources allouées par la solidarité nationale. Aujourd’hui, c’est plutôt l’opacité qui règne. Cela fait partie des recommandations du rapport qui parlent de l’évaluation du service rendu : efficacité et efficience. Il existe des outils pour évaluer, même s’il faut évidemment que ces outils soient adaptés à la psychiatrie, élaborés et partagés avec les professionnels.
Sur la question des moyens, l’horizon 2010-2011 que vous préconisez pour la généralisation de la VAP vous paraît-il vraiment réaliste ?
Il faut faire la VAP ! Et si j’en crois les nombreuses personnes que j’ai rencontrées au cours de ce travail, les acteurs de l’hospitalisation psychiatrique l’attendent avec impatience. Malheureusement, cela n’a pas, ces dernières années, été jugé comme une priorité. Il faut vite redémarrer en incluant l’extra-hospitalier. Si la psychiatrie rate le virage de la VAP, je crains que ce ne soit l’ensemble de ses activités qui soient menacées. Si l’on veut conserver le secteur et son esprit, il faut valoriser toutes les activités, intra, extra et les activités de prévention et de réinsertion. Mais aussi, plus largement, évaluer et faire connaître ces activités et impliquer véritablement les patients et leurs familles.
Parmi ses recommandations, le rapport préconise la création d’une spécialisation de psychiatrie pour les IDE, sur le modèle des puéricultrices, IADE et IBODE. Cela signifie un retour vers une carrière strictement psy et probablement étanche à une mobilité vers le MCO ?
Je propose, dans le cadre du LMD pour les infirmiers, un master de santé mentale et psychiatrie, pour avoir des professionnels formés, spécialisés à bac+5 ; pour les psychologues, c’est le master avec des valences de psychologie clinique.
C’est important car, depuis la disparition de la spécialité d’infirmier psychiatrique, les jeunes IDE hésitent à aller en psychiatrie et, quand ils arrivent dans les services, ils ne sont pas bien préparés à ce métier et à ses difficultés.
J’ai toujours été convaincu, depuis mon expérience de DHOS, de la nécessité de créer une ou plusieurs années supplémentaires de formation pour les infirmiers qui vont travailler en psychiatrie. Ce que j’ai entendu de la part des professionnels, lors des auditions, m’a conforté dans ce point de vue.
Il faut, comme cela a été fait pour de nombreuses autres disciplines en MCO (ophtalmologistes/orthoptistes, radiologues/manipulateurs, etc.), réfléchir, expérimenter dans le cadre de la loi et évaluer de nouvelles répartitions des tâches entre les professionnels médicaux et non-médicaux. L’observatoire national des professions de santé, présidé par le Professeur Berland, est prêt à s’engager dans cette démarche d’expérimentation pour la psychiatrie, sous réserve que les médecins psychiatres et les paramédicaux acceptent une concertation.
L’objectif, c’est de dégager du temps de psychiatre, lequel aura, bien entendu, toujours la responsabilité de la décision médicale, de la prescription et de la coordination de la prise en charge.
Enfin, aujourd’hui, on aurait besoin de plus de rééducateurs, d’ergothérapeutes, de travailleurs sociaux, de psychomotriciens dans les services d’hospitalisation psychiatrique. Ce panel de métiers illustre la diversité des tâches et des besoins.
Qui assurerait cette formation ?
L’université est tout à fait à même de faire assurer cette formation par les IFSI avec lesquels elle passera convention. La formation devra être sujette à évaluation par l’AERES.
Ne craigniez-vous pas que cette proposition soit contestée par les psychologues et les médecins ?
Je ne le crois pas car tous les professionnels ont intérêt à ce que leur travail soit bien reconnu et valorisé, que les tâches soient mieux réparties et que les prises en charge s'en trouvent améliorées.
Le travail expérimental du partage de compétences est principalement et prioritairement à concevoir entre les infirmiers spécialisés et psychiatres.
La notion de proximité revient souvent dans votre rapport, c’est une des notions-clés de l’organisation proposée. Mais la proximité, cela commence et cela s’arrête où ?
La proximité dont je parle, c’est deux choses. Tout d’abord, c’est la proximité géographique, celle délimitée par le territoire. Et je redis que le territoire de la santé mentale ne peut pas être celui du MCO, il doit être plus petit, environ 100 000 habitants, plus pour la pédo-psychiatrie. Ensuite, c’est le mode opératoire du dispositif. Dans les responsabilités du GLC, il doit y avoir celle du suivi personnalisé et organisé du patient. Il faut un répondant, un interlocuteur qui, pour chaque patient, fasse le lien entre les différents acteurs et intervenants.
La psychiatrie française a été à la pointe de l’innovation en développant la notion de secteur. Elle a, en créant ce concept, créé un modèle qui a ensuite été adapté à toute l’organisation hospitalière. La psychiatrie, il y a plus de quarante ans, a montré la voie de l’alternative à l’hospitalisation en faisant sortir l’hôpital de ses murs et en mettant fin aux asiles. Elle a aujourd’hui la possibilité de montrer à nouveau une voie de progrès en relevant avec succès le défi du décloisonnement du sanitaire, du social et du médico-social, en montrant qu’un système ouvert et pluridisciplinaire peut être garant d’une meilleure prise en charge des patients, du soin à la réinsertion dans la vie de la cité.
Monsieur Couty, merci d’avoir répondu à nos questions.
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