Pierre Rey est mort
Pierre Rey a écrit des romans, des pièces de théâtre, mais c’était avec le récit de la traversée de sa cure avec le psychanalyste Jacques Lacan qu’il a touché le plus intime de la communauté psychanalytique (Pierre Rey, Une saison chez Lacan, Robert Laffont, Paris). Sans aucun doute ce sont celles et ceux qui viennent rencontrer au quotidien le clinicien qui peuvent témoigner de la substance du style du psychanalyste et qui nourrissent ainsi l’essence même de la psychanalyse.
Le récit de cette psychothérapie avec psychanalyste nous donne la teneur du véritable quotidien d’un clinicien. Sans relâche, Lacan avait tenu la barre. C’est ce dont témoigne P. Rey. Plusieurs questions sont abordées crûment par l’auteur, sans qu’à aucun moment il nous laisse entendre que le psychanalyste ait cédé de la direction de la cure.
Emouvant, triste, haineux, franchement amusant, nous voyons l’être décrire comme n’importe quel patient ou psychanalysant, le brouillard où il est et qu’il peine tant à quitter. Pierre Rey nous décrit un psychanalyste sans chichi, visant toujours à aller à l’essentiel, tout en prenant en considération la structure psychique de celui qu’il écoute. Pierre Rey a bien profité de cette expérience avec Lacan. Il nous laisse un document dont je n’éprouve aucune gêne d’appeler clinique. Clinique car nous voyons le clinicien à l’œuvre, clinique parce qu’éthique. Clinique parce que dans un corps à corps sans peur, où le symbolique et le réel sont au service du dégonflage de l’imaginaire.
J’ai lu à de nombreuses reprises ce livre de Pierre Rey. Et c’est inspiré par son récit que j’ai pu introduire des nouvelles tactiques dans la conduite de la cure. Dans mon exemplaire, la couverture représente le « Passage du Styx ». Pierre vient de toucher l’autre berge. Une pensée chère lui est adressée.
Fernando de Amorim
Source : Lettre du RPH (Réseau pour la psychanalyse à l'hôpital, n°98, juillet/août 2006
L'écrivain avait publié en 1973 son premier roman, "Le Grec", évoquant le personnage d'Aristote Onassis, qui fut immédiatement un best-seller. Ont suivi "La veuve", "Sunset" (1988), "Bleu Ritz" (1990), "Liouba" (1992) "Le Rocher" (1995), "Out" (1996), "Palm Beach", romans évoquant la puissance des grands et les heurs et malheurs des VIP.
En 1989, il publie "Une saison chez Lacan" où il témoigne de sa rencontre avec le pape de la psychanalyse qu'il a rencontré régulièrement pendant dix ans dans le cadre d'un psychanalyse.
Pierre Rey avait publié en 2001 "L'Ombre du paradis", un roman sur la mafia russe.
Source : Nouvel Obs'
Extraits de : "UNE SAISON CHEZ LACAN"
( Roman autobiographique de Pierre Rey, ed. Seuil, Collection Points )
Chapitre : " Dialectique" ( Page 168 à 170 )
( Page 168 )
- "Et alors?" dit Lacan.
- "Alors, rien. C'était bien".
Décodage analytique: d'instinct, en échangeant, sans savoir à quelle opération sémantique je me livrais, l'écrasante majesté du mot « reine » contre les quatre misérables lettres de « pute », je m'étais roya- lement, si je puis dire, assis sur un signifiant - le mot, cette fois, est à prendre dans sa connotation sémiolo- gique.
Métaphoriquement, à supposer qu'il y en ait eu un, cette substitution de signifiants aurait permis à elle seule, par le changement d'attitude qu'elle impli- quait de ma part et, par conséquent, de ma parte- naire, une approche différente du problème. Ainsi, là encore, en va-t-il du "non-rapport" dit "sexuel" : avec une reine - surtout - le signifiant est roi.
Lacan avait eu cette définition superbe : « Une hystérique, c'est une esclave qui cherche un maître sur qui régner. »
Celle du Gros, quoique d'une formulation moins magistrale, n'était pas mal non plus : « Son phallus, elle ne l'a pas dans son caleçon, mais dans son citron. Gros comme une cathédrale. Et, avec ça, elle veut sodomiser la planète ! »
Du temps qu'il m'était indifférent d'être l'objet du fantasme de l'Autre pour les raisons pulsionnelles développées plus haut, j'avais énormément côtoyé d'hystériques sans réellement en maîtriser le mode d'emploi.
Certes, elles me manipulaient. Mais, jusqu'à ce qu'il fût assouvi, ayant prise sur moi par le désir qu'elles avaient fait naître, elles devenaient à leur tour objet éphémère de leur nouvel objet dévolu.
Page 168
--------------------------------------------------------------------------------
Page 169
Immergé à l'époque dans un bain de culpabilité diffuse, je ne savais jamais comment mettre un terme à l'infini de leurs exigences, ne comprenant pas davantage pourquoi, lorsque je disais non, elles répondaient oui, et lorsque je me hasardais à risquer un oui, elles y opposaient instantanément un non.
Lors d'un cas épineux, le Gros m'administra une robuste leçon de choses qui me tira d'affaire.
Elle était venue me voir sous je ne sais plus quel prétexte, me laissant clairement entendre que je n'avais qu'à faire un signe. Je le fis. Elle m'invita chez elle. Je m'y rendis. Elle écrivait. Elle me pria de lire un de ses livres. Pas « un », mais « son », le seul, l'unique jamais édité et dont l'exemplaire qu'elle me tendit avec les précautions d'un porteur de ciboire, bien entendu, était l'ultime qu'elle possédât.
Je commis l'erreur de le prendre.
Une semaine plus tard, sans nouvelles de moi, elle en tirait prétexte pour m'accabler d'appels.
- " J'ai besoin de mon livre ".
Où l'avais-je donc fourré?
Dans mon désir inavoué de la rayer de ma mémoire, j'avais réussi à égarer la bombe à retarde- ment qu'elle n'avait placée dans ma poche que pour lui permettre de me relancer.
Son ton se fit plus dur, menaçant.
- " Mon livre! "
De peur de l'avoir en ligne, j'en vins à ne plus oser décrocher mon téléphone. Jusqu'au jour où, dans un restaurant, la malchance aidant, je tombai sur elle. Elle était avec une amie.
Avec un mépris glacial, elle refusa la main que je lui tendais. La sentant prête à un esclandre, je battis piteusement en retraite sous une bordée d'appréciations aigres.
( Page 169 )
--------------------------------------------------------------------------------
( Page 170 )
Dès le lendemain, ses appels reprenaient.
- " Mon livre! Où est mon livre ? "
- Son bouquin, elle s'en fout, elle en a racheté mille invendus qui pourrissent dans ses armoires, me dit placidement le Gros. Tu sais très bien que ce n'est pas ça qu'elle veut.
- Qu'est-ce que je dois faire ?
- Tu as envie d'avoir la paix ? Rentre-lui dedans. Insulte-la avec ce que tu pourras trouver de pire.
Quelques heures plus tard, elle encore. Je fis mentalement un signe de croix.
- " Écoute-moi, vieille truie ! . Ton torchon de bouquin de merde, je l'ai jeté aux chiottes ! . Maintenant, je te préviens, si tu me téléphones une fois de plus, je te casse la tête ! Je ne veux plus entendre ta voix, plus jamais ! "
Énigme de la violence ordurière dans la thérapie de l'hystérie, je ne l'eus plus jamais au bout du fil.
- " Tu es sorcier ou quoi ? "
Moue désabusée du Gros.
- " Hystériques, hommes, femmes, on l'est tous. Simple question de degré. "
- " Il y a un traitement ? "
- " Tu l'as vu."
( Page 170 )
Pierre Rey a écrit des romans, des pièces de théâtre, mais c’était avec le récit de la traversée de sa cure avec le psychanalyste Jacques Lacan qu’il a touché le plus intime de la communauté psychanalytique (Pierre Rey, Une saison chez Lacan, Robert Laffont, Paris). Sans aucun doute ce sont celles et ceux qui viennent rencontrer au quotidien le clinicien qui peuvent témoigner de la substance du style du psychanalyste et qui nourrissent ainsi l’essence même de la psychanalyse.
Le récit de cette psychothérapie avec psychanalyste nous donne la teneur du véritable quotidien d’un clinicien. Sans relâche, Lacan avait tenu la barre. C’est ce dont témoigne P. Rey. Plusieurs questions sont abordées crûment par l’auteur, sans qu’à aucun moment il nous laisse entendre que le psychanalyste ait cédé de la direction de la cure.
Emouvant, triste, haineux, franchement amusant, nous voyons l’être décrire comme n’importe quel patient ou psychanalysant, le brouillard où il est et qu’il peine tant à quitter. Pierre Rey nous décrit un psychanalyste sans chichi, visant toujours à aller à l’essentiel, tout en prenant en considération la structure psychique de celui qu’il écoute. Pierre Rey a bien profité de cette expérience avec Lacan. Il nous laisse un document dont je n’éprouve aucune gêne d’appeler clinique. Clinique car nous voyons le clinicien à l’œuvre, clinique parce qu’éthique. Clinique parce que dans un corps à corps sans peur, où le symbolique et le réel sont au service du dégonflage de l’imaginaire.
J’ai lu à de nombreuses reprises ce livre de Pierre Rey. Et c’est inspiré par son récit que j’ai pu introduire des nouvelles tactiques dans la conduite de la cure. Dans mon exemplaire, la couverture représente le « Passage du Styx ». Pierre vient de toucher l’autre berge. Une pensée chère lui est adressée.
Fernando de Amorim
Source : Lettre du RPH (Réseau pour la psychanalyse à l'hôpital, n°98, juillet/août 2006
L'écrivain avait publié en 1973 son premier roman, "Le Grec", évoquant le personnage d'Aristote Onassis, qui fut immédiatement un best-seller. Ont suivi "La veuve", "Sunset" (1988), "Bleu Ritz" (1990), "Liouba" (1992) "Le Rocher" (1995), "Out" (1996), "Palm Beach", romans évoquant la puissance des grands et les heurs et malheurs des VIP.
En 1989, il publie "Une saison chez Lacan" où il témoigne de sa rencontre avec le pape de la psychanalyse qu'il a rencontré régulièrement pendant dix ans dans le cadre d'un psychanalyse.
Pierre Rey avait publié en 2001 "L'Ombre du paradis", un roman sur la mafia russe.
Source : Nouvel Obs'
Extraits de : "UNE SAISON CHEZ LACAN"
( Roman autobiographique de Pierre Rey, ed. Seuil, Collection Points )
Chapitre : " Dialectique" ( Page 168 à 170 )
( Page 168 )
- "Et alors?" dit Lacan.
- "Alors, rien. C'était bien".
Décodage analytique: d'instinct, en échangeant, sans savoir à quelle opération sémantique je me livrais, l'écrasante majesté du mot « reine » contre les quatre misérables lettres de « pute », je m'étais roya- lement, si je puis dire, assis sur un signifiant - le mot, cette fois, est à prendre dans sa connotation sémiolo- gique.
Métaphoriquement, à supposer qu'il y en ait eu un, cette substitution de signifiants aurait permis à elle seule, par le changement d'attitude qu'elle impli- quait de ma part et, par conséquent, de ma parte- naire, une approche différente du problème. Ainsi, là encore, en va-t-il du "non-rapport" dit "sexuel" : avec une reine - surtout - le signifiant est roi.
Lacan avait eu cette définition superbe : « Une hystérique, c'est une esclave qui cherche un maître sur qui régner. »
Celle du Gros, quoique d'une formulation moins magistrale, n'était pas mal non plus : « Son phallus, elle ne l'a pas dans son caleçon, mais dans son citron. Gros comme une cathédrale. Et, avec ça, elle veut sodomiser la planète ! »
Du temps qu'il m'était indifférent d'être l'objet du fantasme de l'Autre pour les raisons pulsionnelles développées plus haut, j'avais énormément côtoyé d'hystériques sans réellement en maîtriser le mode d'emploi.
Certes, elles me manipulaient. Mais, jusqu'à ce qu'il fût assouvi, ayant prise sur moi par le désir qu'elles avaient fait naître, elles devenaient à leur tour objet éphémère de leur nouvel objet dévolu.
Page 168
--------------------------------------------------------------------------------
Page 169
Immergé à l'époque dans un bain de culpabilité diffuse, je ne savais jamais comment mettre un terme à l'infini de leurs exigences, ne comprenant pas davantage pourquoi, lorsque je disais non, elles répondaient oui, et lorsque je me hasardais à risquer un oui, elles y opposaient instantanément un non.
Lors d'un cas épineux, le Gros m'administra une robuste leçon de choses qui me tira d'affaire.
Elle était venue me voir sous je ne sais plus quel prétexte, me laissant clairement entendre que je n'avais qu'à faire un signe. Je le fis. Elle m'invita chez elle. Je m'y rendis. Elle écrivait. Elle me pria de lire un de ses livres. Pas « un », mais « son », le seul, l'unique jamais édité et dont l'exemplaire qu'elle me tendit avec les précautions d'un porteur de ciboire, bien entendu, était l'ultime qu'elle possédât.
Je commis l'erreur de le prendre.
Une semaine plus tard, sans nouvelles de moi, elle en tirait prétexte pour m'accabler d'appels.
- " J'ai besoin de mon livre ".
Où l'avais-je donc fourré?
Dans mon désir inavoué de la rayer de ma mémoire, j'avais réussi à égarer la bombe à retarde- ment qu'elle n'avait placée dans ma poche que pour lui permettre de me relancer.
Son ton se fit plus dur, menaçant.
- " Mon livre! "
De peur de l'avoir en ligne, j'en vins à ne plus oser décrocher mon téléphone. Jusqu'au jour où, dans un restaurant, la malchance aidant, je tombai sur elle. Elle était avec une amie.
Avec un mépris glacial, elle refusa la main que je lui tendais. La sentant prête à un esclandre, je battis piteusement en retraite sous une bordée d'appréciations aigres.
( Page 169 )
--------------------------------------------------------------------------------
( Page 170 )
Dès le lendemain, ses appels reprenaient.
- " Mon livre! Où est mon livre ? "
- Son bouquin, elle s'en fout, elle en a racheté mille invendus qui pourrissent dans ses armoires, me dit placidement le Gros. Tu sais très bien que ce n'est pas ça qu'elle veut.
- Qu'est-ce que je dois faire ?
- Tu as envie d'avoir la paix ? Rentre-lui dedans. Insulte-la avec ce que tu pourras trouver de pire.
Quelques heures plus tard, elle encore. Je fis mentalement un signe de croix.
- " Écoute-moi, vieille truie ! . Ton torchon de bouquin de merde, je l'ai jeté aux chiottes ! . Maintenant, je te préviens, si tu me téléphones une fois de plus, je te casse la tête ! Je ne veux plus entendre ta voix, plus jamais ! "
Énigme de la violence ordurière dans la thérapie de l'hystérie, je ne l'eus plus jamais au bout du fil.
- " Tu es sorcier ou quoi ? "
Moue désabusée du Gros.
- " Hystériques, hommes, femmes, on l'est tous. Simple question de degré. "
- " Il y a un traitement ? "
- " Tu l'as vu."
( Page 170 )