Vue d'abord par le petit bout de la lorgnette :
La directrice des ressources humaines du Centre Hospitalier Spécialisé où je travaille a adressé à un de mes collègues un courrier avec jointe la "fiche-métier du répertoire des métiers". Elle explique que "L'établissement participe à la validation du répertoire des métiers élaboré par la Direction de l'Hospitalisation et de l'Organisation des Soins (DHOS) du Ministère de la Santé, de la Famille et des Personnes Handicapées".
Pour un aperçu voici :
Ca commence par la carte d'identité du métier puis sa définition.
Définition du métier de psychologue : " évaluer et diagnostiquer les troubles de comportement, émotionnels et cognitifs des patients et assurer leur prise en charge thérapeutique".
Il y a un répertoire des activités du métier réparties en "activités principales" et parmi lesquelles certaines sont cochées comme "activité cœur" :
les activités cœur : - réalisation de tests et bilans psychiques
- prises en charge individuelle ou collective des patients
- recueil d'infos auprès du psychiatre, de l'entourage du patient et de l'éq. soignante et socio-éducative
- rédaction des comptes-rendus psychologiques
autres activités pas cœur celle-ci ! : conseil auprès de l'éq. soignante
recherche en psychologie clinique
présentation de projets et de résultats thérapeutiques lors de manifestations scientifiques
Ensuite, les 8 "savoirs-faire requis du métier" avec à nouveau en tête de liste "utiliser et interpréter divers tests (facultés cognitives, intelligence, mémoire, aptitudes...)".
La case "Conditions particulières d'exercice du métier" est vide. Même chose pour "l'expérience conseillée pour exercer le métier".
Le "pré-requis indispensable pour exercer le métier" : DESS / DEA !
Un autre point a retenu particulièrement mon attention : les tendances d'évolution du métier.
Il y a "des facteurs clés à moyen terme" et leurs "conséquences majeurs sur l'évolution des activités et des compétences".
Facteurs 1: - vieillissement de la population
Conséquences : - nécessité de développer ses compétences en gérontopsychologie
Facteur 2 : - baisse de la démographie médicale
Conséquences : - développement de l'expertise en matière de prise en charge psy et de diagnostic des troubles psychiques
Facteur 3 : - développement des réseaux de soins en psychiatrie
Conséquences : - nécessité d'adapter ses pratiques professionnelles
Il m'a semblé voir poindre là un nouvel indice de notre disparition programmée au même titre que celle des psychiatres avant nous.
En effet, la logique des réseaux de soins va de paire avec le transfert des compétences aux différents acteurs du champ social. C'est ainsi que l'on passe d'une politique psychiatrique à une politique de santé mentale où tout intervenant du champ social, éducatif, culturel, etc. devient psy. Les psychologues, après les psychiatres, deviennent à leur tour experts et peuvent ainsi se raréfier. Les pratiques d'évaluation standardisées et de prise en charge protocolisées deviennent les outils faciles, accessibles et efficaces pour chaque tout-venant-psy. Les problèmes humains sont classés et leurs modes de résolution répertoriés. Cela devient facile d'adresser les déviances, troubles et déficits aux professionnels spécialisés dans leur traitement ou leur éradication.
Par une ironie incroyable, la fiche métier précise ses sources d'inspiration : le code de déontologie et la charte des psychologues !
Maintenant d'où vient cette fiche métier et dans quelle vaste entreprise a-t-elle trouvé sa cause?
Il est question justement de créer des fiches métiers pour toutes les catégories professionnelles intervenant dans le champ de la santé pour faciliter la visualisation des possibles transferts de compétences !
Jugeons plutôt sur les informations que transmet Jacqueline Maillard (psychologue ayant participé au projet à titre de représentante du SNP), quant à la genèse de cette fiche.
L’Observatoire National des Emplois et des Métiers de la Fonction Publique Hospitalière a été créé en décembre 2001, installé en avril 2002, présidé par le Directeur de la DHOS. Il est composé de 22 membres (la moitié est désignée par les organisations syndicales siégeant au Conseil Supérieur de la Fonction Publique Hospitalière) et a pour mission de :
- suivre l’évolution des emplois dans la Fonction Publique Hospitalière
- contribuer au développement d’une stratégie de gestion prévisionnelle et prospective et proposer des orientations prioritaires, en particulier en matière de formation
- apprécier l’évolution des métiers, des fonctions et des qualifications
- recenser les métiers nouveaux et leurs caractéristiques.
Il mène depuis février 2003, un projet de création d’un Répertoire national des métiers parfois dits « de la santé », ou « hospitaliers », ou encore « de la FPH ».
Or, selon ce qu’a pu en constater Jacqueline Maillard, il s’agit, de fait, des métiers du sanitaire, du social et du médico-social.
Le répertoire a vocation de couvrir le plus grand nombre de métiers exerçant dans les établissements de santé ; il a pour objet d’être « un outil de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences pour la gestion collective et individuelle des ressources humaines ».
La démarche se déploie selon le dispositif institutionnel suivant :
* un comité de pilotage (infrastructure décisionnelle)
* un groupe projet constitué de 21 membres (directeurs de soins, DRH, ingénieurs et chefs d’établissement),
* un consultant spécialisé dans l’élaboration des répertoires des métiers,
* la coordination est confiée à la sous-direction des professions paramédicales et des personnels hospitaliers.
Elle définit un calendrier et un « cadre d’action en 3 phases » :
* l’élaboration de la nomenclature des métiers à 4 niveaux (fonction, famille, sous-famille, métier) : environ 250
* la description des métiers sur la base de la nomenclature (juillet –novembre 2003) animée par les 21 membres du groupe projet associant des professionnels exerçant ces métiers (infrastructure opérationnelle);
* la conception, la fabrication et la diffusion du répertoire des métiers (2004) ;
Elle prévoit une « maintenance du répertoire » dans le cadre d’une cellule de veille installée auprès de l’Observatoire National.
C’est donc dans le cadre de cette démarche que 5 psychologues (Jacqueline Maillard, représentant la Commission Fonction Publique Hospitalière du SNP et 4 psychologues du collège des psychos du CHRU de Strasbourg (M-T Hertzog, S. Kandel, D. Schlumberger, A. Thomas), sont invités à se présenter au cours de la phase opérationnelle, à une seule réunion, le 13/10/03, pour des conclusions à rendre fin octobre.
L’enjeu pour le SNP est alors de « traduire les activités du psychologue dans une approche compétences/emploi en le décalant le plus possible à la fois des paramédicaux et des socio-éducatifs ». Leur souci était aussi de « représenter le plus largement possible les champs d’activités actuels et à venir du psychologue dans un secteur en profonde mutation ».
Une fiche métier très élaborée a été remise au responsable du groupe projet fin octobre. Vous la trouverez en pièce jointe sous l’intitulé « fiche métier du SNP et du collège des psychos du CHRU de Strasbourg ». Ses promoteurs pensaient pouvoir suivre son devenir du côté de la DHOS et des objectifs initiaux et en faire également un « support à réflexion et action à l’intérieur de la profession ».
Quelle ne fut pas leur surprise quand, début février 04, mon collègue les a interpellés pour information. Ils découvraient l'effective mise en circulation (pour validation) dans 80 établissements de santé en France d’une fiche métier (sans rapport avec celle qu’ils avaient produite) et avec le sort réservé à leur travail, l’instrumentalisation dont ils ont fait l’objet !
Source : Association des Psychologues Freudiens
Avril 2004