La création de pôles de compétitivité a été décidée par le gouvernement Raffarin en novembre 2004. L'objectif affiché de ces pôles est de "faire travailler ensemble, dans un territoire rapproché trois types de partenaires - des entreprises, des centres de formation, et des unités de recherche - autour d'un projet commun, innovant, d'ambition internationale. Les pôles de compétitivité ont l'ambition de renforcer la place de la France en matière d'innovation et de lutter contre les délocalisations.
Pour mieux faciliter la mise en place et le développement de ces pôles, en juillet 2005 le gouvernement a évalué à 1,5 milliard d'euros sur trois ans le soutien de l'Etat aux futurs pôles. 800 millions seront accordés par l'Agence nationale de la recherche, l'Agence de l'innovation industrielle et par le groupe OSEO-Anvar, et 400 millions de crédits d'intervention proviendront des différents ministères. Quant aux 300 millions restant, ils prendront la forme d'exonérations d'impôt sur les bénéfices, ainsi que sur les cotisations de taxe professionnelle et de taxe foncière. Pour les employés effectuant des activités de recherche et d'innovation, les entreprises seront exonérées de 50 % des cotisations sociales, selon leur taille.
Pour l'instant, 66 pôles devraient être validés, dont 15 à rayonnement international. Ce type de projet présente des aspects positifs en ce qui concerne l'aménagement du territoire et l'incitation à la recherche. La création de ces pôles n'est donc pas une mauvaise chose pour notre économie, mais qu'en est-il plus particulièrement en ce qui concerne la lutte contre les délocalisations ?
Christian Estrosi, ministre délégué à l'aménagement du territoire, a déclaré le 14 septembre 2005 : « Les pôles permettront, d'ici à 2010, la création de milliers d'emplois, de dizaines de milliers d'emplois, voire de centaines de milliers d'emplois ». Si cette prévision se confirmait effectivement en 2010, ce serait très bien, car ces créations d'emplois permettraient alors de compenser une partie des emplois qui seront délocalisés d'ici cette date. Seulement, si on met cette prévision de création d'emplois en parallèle avec celle du cabinet Katalyse [1], qui prévoit que pour la même période les délocalisations entraîneront la perte de 202 000 emplois dans le seul secteur des services, on ne peut que douter de plus en plus de l'efficacité de ces pôles en ce qui concerne les pertes d'emplois consécutives aux délocalisations.
En fait, le principal lien concret entre les pôles de compétitivité et les délocalisations repose sur un constat : les délocalisations de production concernent des produits arrivés à maturité, c'est-à-dire peu susceptibles d'améliorations importantes aussi bien dans leur utilisation que dans leurs procédés de fabrication. Il suffirait alors d'innover, de nous spécialiser dans l'amélioration et la création de nouveaux produits, pour compenser les pertes d'emplois conséquentes aux délocalisations de productions de biens arrivés à maturité. Seulement, c'est oublier que ce constat date quelque peu. Il reposait encore sur une base tangible il y a quelques décennies, quand les pays émergents se contentaient de produire et d'exporter des biens à faible valeur ajoutée. Or, depuis, ces pays ont développé leurs technologies, et ont fortement augmenté leurs capacités de recherche et d'innovation. Ils ont eux-mêmes développé depuis longtemps leurs propres pôles de compétitivité, et à une échelle bien plus grande que les projets français.
Les premiers « Science Park » asiatiques, équivalents de nos pôles de compétitivité, ont ouvert en 1980. Le rapport 2005 de la CNUCED cite le Hsinchu Science Park de Taiwan regroupant 384 entreprises dont 52 étrangères. A Singapour, le premier Science Park, ouvert lui aussi en 1980, regroupe aujourd'hui 300 entreprises locales et étrangères. En Chine, le Zhongguancun Science Park regroupe 14 000 entreprises de haute technologie, dont 1600 d'origines étrangères.
La Chine et l'Inde forment aussi des spécialistes très pointus dans le domaine de la recherche, et en quantité bien plus importante que la France ou même l'Europe. Les entreprises qui sont installées dans ces pays, qu'elles soient d'origines locale ou transnationale, ont l'avantage de bénéficier de coûts salariaux bien inférieur à ceux de notre pays. Elles investissent dans la recherche à une échelle bien plus grande que nos futurs pôles de compétitivité, et à des coûts bien moindres.
Les pôles de compétitivité français s'accompagnent certes d'aides financières et fiscales aux entreprises, mais que pèsent ces aides face aux avantages qu'offrent les pays émergents ? Face à cette réalité, que représente la création de 66 pôles de compétitivité en France ? Même si l'intérêt de ces pôles reste néanmoins incontestable sous d'autres aspects, il apparaît clairement une très grande limite sur leur capacité à résister aux délocalisations.
Note :
[1] Rapport au Sénat de la Commission des Finances du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation, sur la globalisation de l'économie et les délocalisations d'activité et d'emplois. (Rapport Arthuis)
Par Michel Lasserre, membre du Conseil scientifique d'Attac France.
Source : Attac
03/03/2006