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Ana Castaño : Les glaneurs de la parole

Intervention au 1er Forum Psy à Barcelone, 14/02/2004


Rédigé le Jeudi 6 Mai 2004 à 00:00 | Lu 2092 commentaire(s)




Avant de débuter mon intervention, qui sera très brève, après tout ce que mes collègues ont dit, j’aimerais préciser quelque chose qui me semble fondamental afin de me faire comprendre.

Je suis psychiatre et, également, psychanalyste, membre de l’ELP dont le siége est à Madrid. Evidemment, je suis sous contrat pour le service public en tant que psychiatre, bien qu’il soit inévitable que ma pratique aussi bien la clinique que la gestion dans l’institution soit traversée par la psychanalyse.

Pour connaître l’impact possible de cette loi, la LOPS, il est nécessaire de réfléchir, à partir de mon point de vue, sur les conditions de pratique de la psychanalyse dans ma ville Madrid.

Je me pose la question suivante. Pourquoi dans cette ville y a t il un si grand obstacle à l’insertion de la psychanalyse ?

Je pense que le point de départ tient au fait que, historiquement, elle n’a jamais fait partie du débat sur la pensée contemporaine, contrairement à d’autres pays, restant en dehors des lieux emblématiques de la ville ; l’université, le domaine de la santé, la culture.
Traditionnellement, elle est restée en dehors pour avoir été suspecte et ascientifique. Bien que pour le moment elle ne paraisse pas menaçante.

En me recentrant sur la situation actuelle à Madrid, je vous commenterais une caractéristique de la politique sanitaire :elle est essentiellement publique, ce qui entraîne que lors de l’organisation d’un service, les embauches s’orientent en faveur des titularisations académiques et non sur le savoir faire par rapport au thérapeutique.
Sur le plan de l’éducation et du bien être social, il existe une entente dans ce domaine qui se fait avec des moyens privés pour des prestations données. Ce peut être des psychothérapies et surtout faites par des corps professionnels spécifiques, comme les soins aux mineurs et violence…Ces psychothérapies utilisées sont fondamentalement systémiques et cognitives et jusqu’à maintenant faites par des psychologues, sans plus de préambules.

Actuellement, il n’y a pas de cadre légal réglementant les psychothérapies dans le catalogue des prestations sanitaires, à l’exception de la psychanalyse qui avec l’hypnose et jusqu’à peu de temps, le changement de sexe, restent en dehors de la santé publique dans le sens où elle est gratuite.

Cette absence de cadre légal, nous permettra probablement d’exister en tant que psychanalystes, cas par cas et sans couper, dans l’espace public d’après notre logique : Se faisant le semblant d’objet, ce qui s‘oppose aux idéaux de santé et bien-être déterminant l’institution de santé mentale.

Au moins, pour le moment, en ce qui concerne le rencontre intime et particulière que représente l’acte analytique, l’administration ne s’immisce pas. Celui qui le désire peut appliquer la psychanalyse dans son labeur …

A Madrid, le débat sur la façon de réglementer la psychothérapie se fait à partir de deux versants, qui et à partir d’où. La question de savoir quelle place aurait la psychanalyse se dérobe, n’apparaît pas. Ce qui ne veut pas dire que dans le silence apparent ne se produisent pas des petits et insidieux changements et les positionnements qui vont avec. Il apparaît ce que j’appelle le marketing opportun, jugez en vous mêmes : il vient d’arriver dans les services une offre de cours du SERMAS (service de santé mentale) appelée " Interventions psychothérapiques chez l’adolescent depuis un point de vue psychanalytique en santé publique " .
Il y a plus d’un an, l’on a présenté dans la Maison de la Ville le plan de santé mentale 2003-2008 de la Commune, plan qui a été créé avec une grande participation de tous les professionnels du réseau d’experts. Bien que dans certains paragraphes du plan l’on fit des suggestions qui ne furent pas retenues, la méthode utilisée fit taire les critiques.

Dans l’un des paragraphes, il est fait référence à la psychothérapie avec l’intention de l ‘inclure, dans le futur, dans le catalogue des prestations. On propose d’inclure les courants psychothérapeutiques de référence, soit la systémie, le cognitivo- comportemental et la psycho dynamique. Aucune mention du courant psychanalytique. Il est également signalé l’engagement de personnel médical, des psychiatres et psychologues cliniciens avec une formation accréditée. Ici commence le galimatias politique actuel, puisque personne n’est en mesure de savoir ce qui va être ou pas accrédité.
La loi accréditera l’école, mon école, dans cette petite case psy. Psychothérapeute ?

Les obstacles sont nombreux face à cette nouvelle facette du maître. La pression croissante dans les soins, l’exigence de réduire les listes d’attente, l’augmentation de la bureaucratie qui entraîne de passer à chaque fois plus de temps à remplir les protocoles, le consentement notifié (qui introduit que à chaque intervention sur la santé, le citoyen soit informé des différentes options thérapeutiques et qu’ il puisse choisir) c’est dire la présence d’une médecine défensive. Il y a de moins en moins d’espaces cliniques, d’échange.

En définitive, la parole circule de moins en moins, c’est une valeur désuète avec des effets nocifs aussi bien pour le sujet désabonné de l’inconscient, que pour l’institution. Ce n’est pas étonnant que l’on nous appelle charlatans.

Dans cet horizon de hors propos, apparaît la loi pour la classification des professions sanitaires qui soulève une contradiction importante : Si l’on a financé un plan de santé mentale où l’on fait remarquer que le soin intégral et socio sanitaire, mené à bout par une équipe pluridisciplinaire avec des psychologues cliniciens, travailleurs sociaux, thérapeutes occupationnels, est fondamental, c’est à dire un plan mené par des professions qui ne sont pas reconnues pas la loi, peut t on prétendre que le psychothérapeutique n’est pas sanitaire ?

L’application de cette loi et ses interprétations possibles va dépendre de la volonté politique du moment, bien qu’il existe déjà, une habitude d’annulation difficile. Les votants, les usagers de nos services de santé sont demandeurs, de plus en plus, pour ce que nous pouvons appeler les malaises de la culture et veulent que ce soient des psychologues qui s ‘occupent d’eux .

La réalité immédiate est, je la connais puisque j’assiste à des tribunaux de sélection, est que les embauches actuelles de psychologues pour ces services sont dirigées vers la catégorie des cliniciens. Je ne sais pas quel va être le critère qui fera que l’on donnera ou pas cette catégorie à ceux qui l’on tant demandé aussi bien dans la pratique publique que privée sans qu’il y ait des torts. Il existe un défi important pour l’avenir de la psychanalyse, même si tant que le réel insiste il y a des conditions pour le possible. Même de cette façon là, il est nécessaire de commencer à inventer des modes d’application surtout dans le champ institutionnel : Quelle formule prendrait le groupe ?

Evidemment, si l’on décide de participer dans l’espace public, il faut tenir compte des caractéristiques du système sanitaire ; comme de la gratuité, l’universalité, la limitation du temps, etc.…Tout comme s’immiscer dans les lieux d’enseignement qui permettent la transmission. Mais comment le faire sans être dans un discours qui ne forclos pas le sujet ?

En ce qui concerne l’école, ses membres et sa politique, je pense qu’il pourrait s’agir de deux positions à prendre : la pure en intension, où l’on s’autorise soi même et l’appliquée plus en extension, qui nécessiterait la garantie de l’Etat pour participer dans la polis, c’est à dire là où les règles du jeu viennent de l’Autre.

Bien que l’Autre ne se prononce pas, ne sanctionne pas les psychanalystes, qu’il n’y ait pas d’amendements, les choses sont sur le point de passer ou passent à moitié, comme cela arrive dans ma ville, l’appel compromis à la désobéissance civile est possible, comme peut en rendre compte ce forum psy. Je pensais, il y a un temps, que qui ne dit mot consent. Maintenant je sais que nous ne consentons pas.

Dans un article de prise de position, j’ai bien peur qu’il soit le seul de la part de notre patrimoine culturel puisqu’il n’est pas bien venu de s’exposer dans la pratique de la psychanalyse, intitulé " Dévoiler Freud ", son auteur l’écrivain Vicente Molina Foix dit que la France est le laboratoire de notre futur puisque ce qui arrive là bas, proprement ou pas, tôt ou tard, finit par nous arriver à nous.
Pourtant la chasse aux sorcières s’approche ; la réglementation antisectes.

Cet article évoque le magnifique documentaire d’Agnès Varda " Les glaneurs et la glaneuse ", ce qui me fit penser que dans le film les cueilleurs des restes, des déchets sont dans la marge, dans la limite, avec sa réglementation, et se faisant nécessaires pour le système, pour l’opulente société.

Tant que l’on sera des glaneurs de la parole, il y aura un lieu pour exister dans la ville, il faudra réfléchir au comment .


Intervention effectuée lors du premier Forum Psy à Barcelone, le 14 février 2004, sur le thème "La situation en Espagne depuis le 21 nov. la loi 44/2003.



Espagne



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