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La situation dans le champ psy actuel en Espagne

Monique UTRILLA-GOTTIS, avril 2004


Rédigé le Jeudi 6 Mai 2004 à 00:00 | Lu 3769 commentaire(s)




D’après la lecture du site espagnol "el observatorio psi " et d’une sélection de textes, issus pour la plupart du forum psy qui eut lieu le 14 Février dernier à Barcelone.

Pour saisir la situation dans le champ psy actuel en Espagne, il faut connaître trois points essentiels : la nature du système sanitaire espagnol, l’adhésion de tous les psychologues à un corps d’Etat et les lois dernièrement et successivement votées dans le domaine de la psychologie et de la réglementation ayant trait au sanitaire.
En Espagne la protection maladie est assurée pour la plus part des espagnols (93%) par la sécurité sociale. Cette protection s’exprime uniquement, par des prestations en nature ; il n’y a pas de remboursement de dépenses, mais un accès à un service public de soins (v ; centres de santé, établissements de soins, hôpitaux) avec médecins attitrés. L’accès à l’offre privée n’est pas pris en charge, sauf lorsqu’il résulte de conventions passées entre le public et le privé, notamment en vue de réduire les listes d’attente hospitalières ou en cas d’urgence vitale (les délais pour une consultation dans le public sont parfois longs). Aussi, la médecine privée réalise un quart des consultations en médecine spécialisée.

D’autre part les psychologues en Espagne font partie d’une organisation corporatiste d’Etat ; le COP (Collège Officiel des Psychologues) proche de ce que nous entendons par ordre professionnel. Le collège représente, défend la profession, les intérêts de ses membres et ses usagers, organise la formation, a un rôle consultatif et de force de proposition réglementaire, de promotion, devoir scientifique, c’est également une instance disciplinaire. (1)

Dans ce contexte, des lois ont été votées en 1998 puis en 2003 portant atteinte à certains acquis et compromettant l’avenir d’une offre de soins, d’écoute assez spécifique.

En 1998 a été voté le décret royal qui gère et réglemente le titre de la spécialité en Psychologie Clinique (PECP) du 20 nov.1998. Celui-ci met en place un processus d’accréditation, d’attribution du titre de psychologue spécialiste en psychologie clinique, lequel passe par un enseignement " résidentiel ", PIR.

Mais c’est à partir du décret royal, 1277/2003 du 10 oct. 2003, établissant les bases générales sur l’accréditation des centres et établissements sanitaires publics et privés, avec une classification, dénomination et définition commune pour tous et la création d’un registre puis d’un catalogue général de ceux-ci, et avec la loi qui va suivre, la LOPS, que l’on s’est rendu compte de l’atteinte des pratiques actuelles.

La LOPSatant du 21 nov. 2003 ou loi de classification des professions sanitaires (2) a pour but de réglementer les conditions d’exercice professionnel dans différents domaines professionnels, dans le préventif et dans les soins aussi bien dans le service public que privé.

Dans le manifeste des étudiants en psychologie des Universités de Catalogne l’on précise que l’entrée en vigueur de la LOPS marque les prémisses de l’exclusion du champ psy du domaine des professions sanitaires et porte préjudice aux professionnels généralistes ainsi qu’à un large secteur de la population. Pour pouvoir exercer dans ce domaine " promotion, prévention, diagnostic, traitement, réhabilitation " il faudra le titre de psychologue spécialiste en psychologie clinique, pour lequel il sera nécessaire d’avoir suivi le PIR (psychologue interne résident) issu du modèle médical. Cela impliquera, également, pour tout candidat à la titularisation de la spécialité, d’être admis pour suivre cet enseignement dans la limite des places, très restreintes (74 pour tout le pays en 2003), officiellement ouvertes à cet effet. Les étudiants en Espagne sont au nombre de 50000.

Un exemple récent de l’application de la loi a été l’organisation des soins psychologiques pour les victimes et les personnes touchées par les attentats du 11 mars à Madrid. Le dispositif des soins pour le post 11 mars s’avère insuffisant. Les psychologues qui doivent être engagés pour assurer l’écoute de ces personnes sont dans l’obligation d’être en possession du titre de spécialiste en psychologie clinique. Ni les psychologues des urgences et catastrophes, ni les psychologues volontaires non spécialistes, ne seront embauchés pour assurer l’après. Des milliers de personnes ne recevront pas d’aide.

Dans ce contexte, l’exclusion du psychologique du champ sanitaire est annoncée, v. Manifeste pour la santé et la psychologie. Le choix thérapeutique, pour le sujet va être compromis, non seulement par la formation très officielle qui va s’imposer, mais, également, par l’offre quasiment unique que vont trouver les personnes surtout dans le système de santé public. C’est ce que dit Ana Castano dans le texte Les glaneurs de la parole. Elle donne l’exemple du courant psychanalytique qui passait, dans ce système de santé public, jusqu’à maintenant à travers les psychologues initiés qui en faisaient usage dans leur propre pratique et qui aura, désormais, plus de mal à être présent. La tendance va, déjà, vers les embauches de personnel avec le titre de psychologue spécialisé en psychologie clinique, sous contrôle d’un enseignement résidentiel, et vers les psychothérapies auxquelles l’on fait référence dans les plans de santé avenir ; les cognitivo comportementales, la psycho dynamique et la systèmie. A l’heure actuelle, lorsque dans le public l’on se décharge sur le privé par des conventions c’est vers ce type d’approches que l’on se dirige.

Au niveau de la pratique elle même, cette législation approuvée, définit l’unité de psychologie clinique étant celle qui s’occupe des phénomènes psychiques ; c’est à dire, le diagnostic, l’évaluation, et le traitement psychologique, tandis que les troubles mentaux et du comportement sont assignés à l’unité de psychiatrie. L’exercice des psychologues est de ce fait restreint au profit des psychiatres. Ce qui n’est pas anodin quand on saisit que c’est une logique de marché (marché pharmaceutique) qui est à l’origine de ces lois cautionnées par l’Etat qui prétexte la sauvegarde du droit à la protection de la santé. Les bonnes intentions de ces lois sont à questionner surtout quand elles sont issues d’une adoption peu consensuelle ; ni les COP, ni les Commissions nationales de la spécialité n’ont été consultées à leur sujet. J.R Ubieto, dans Il y a de quoi … se réveiller, est étonné du paradoxe que représente la méconnaissance du plus grand nombre de psys et de l’impact de ces réglementations. Les conséquences de ces lois comportent, effectivement, des paradoxes lorsque par exemple pour la LOPS l’on fait abstraction des précédents juridiques, des normes corporatistes ou des recommandations internationales pour ce qui a trait à l’exclusion de la profession de psychologue de la classification des professions sanitaires.


Dans le texte de Manuel Fernandez Blanco Autoritarisme incorporel, l’auteur nous fait entrevoir les dérives et les intérêts qui sous tendent ces lois. Par cette loi des classifications des professions sanitaires l’on en arrive à une absurdité et à des effets pervers. La titularisation qui paraissait attrayante, au début, par ses possibilités de carrière pour les psychologues, met le plus grand nombre de ceux-ci dans une situation où leur pratique devient illégale alors qu’ils ne l’ont pas modifiée. Cette loi a l’effet de ralentir le succès du champ psy qui empiétait sur l’avancée de l’industrie pharmaceutique. Ces lois successives, enfin, représentent, donc, les intérêts de ce marché là et les dérives qui en découlent sont nombreuses. En appliquant le modèle médical sur la subjectivité l’on va vers des modèles uniques de traitement, de soins, une standardisation des thérapies.

Cela va entraîner, sans doute, une modification de l’accès aux différents types d’approche, une modification de la relation elle même. Face à ces moyens, ces lois pouvant cautionner certaines politiques de contrôle social, de management, le psychologue est obligé de réfléchir à ces dérives et à penser sa position éthique.

Pour finir, Luis Segui dit, dans La Politique n’est pas étrangère au monde psy, que cette politique va au delà du monde psy puisqu’elle menace les libertés civiles jusqu’à maintenant acquises. L’Etat décide de tout avec sa volonté d’unifier toutes les pratiques, de reprouver tout ce qui n’est pas fondé sur le scientifique, déléguant, même, aux entreprises privées ce qui relève du système sanitaire public. Il ajoute que " toutes ces lois viennent incarner le discours du maître " et que c’est " le rôle des politiciens de faire fonctionner ce discours dans le réel alors que les psychanalystes savent qu’il est impossible de faire fonctionner le réel dans le discours. Il faudra trouver un point de suture pour que le monde psy ne soit pas seulement le sujet passif des décisions d’autrui ".

Ainsi, actuellement, en Espagne un recours pour inconstitutionnalité de la loi est porté devant les tribunaux.


(1) D’après le travail effectué par René Saboural.
(2) " ordination " dans sa traduction littérale.



Espagne



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