Le vote discret de l'amendement Accoyer par l'Assemblée nationale, puis le grand tapage de la campagne d'affolement et d'intimidation lancée courant novembre par le député de la Haute-Savoie, ont eu pour résultat d'alarmer d'innombrables patients, leurs proches et leurs thérapeutes, bien que les médias aient fort heureusement relativisé les extravagances répandues.
Bien entendu, ni les psychanalystes, ni les psychologues cliniciens, ni les psychothérapeutes, ne menacent le moins du monde la santé publique. Dans ce domaine, le risque est infime. L'avoir soudainement majoré et transformé en menace est à la fois aberrant du point de vue intellectuel, irresponsable du point de vue politique, et pervers du point de vue civique. On aurait voulu provoquer une panique que l'on ne s'y serait pas pris autrement. Au fait, savez-vous que des spécialistes en paniques sociales, ça existe ? Et qu'il faut désormais penser à nous protéger de ces experts qui, avec leurs prétendues sociétés de « vigilance », font en temps réel des expériences dont nous sommes les cobayes ?
On a lancé une chasse aux charlatans parmi les psys. Or, le thérapeute à qui vous vous confiez vous a certainement été recommandé par l'un de vos proches qui a pu apprécier son travail, par un médecin, par un psychologue scolaire, par un travailleur social. Cette connaissance par ouï-dire vaut tous les diplômes. Combien d'éminents professeurs qui sont inaptes, voire dangereux dans la pratique !
Non, la psychanalyse, la psychologie clinique, les psychothérapies, ce n'est pas la médecine. Celle-ci devient de plus en plus scientifique, technologique, ce qui est un bienfait, mais il en résulte qu'elle se tait de plus en plus. C'est ce qui explique que la psychanalyse se soit partout développée, et qu'elle l'ait fait indépendamment de la médecine. Les psychothérapies, la psychologie clinique, ont suivi.
Le plan consistant à médicaliser brusquement le champ psy en France par un coup de force législatif, en sidérant les professionnels, en les faisant trembler, en jouant sur leurs divisions, et en spéculant sur leur couardise face à l'État, était digne du Grand Guignol : un 2 décembre scénario Kafka, mise en scène Ubu, co-production Big Brother-Marx Brothers. Dans quels antres de notre société cet Opus diabolicum a-t-il bien pu être conçu ?
La mobilisation qui, au-delà du milieu psy, s'étend chez les intellectuels et les artistes ; l'émotion qui, au-delà des frontières françaises, se répand en Europe et dans le monde latin ; la sagesse légendaire des sénateurs ; tout laisse espérer que l'amendement Accoyer ne passera pas. Mais ne nous y trompons pas : ce projet insane bénéficie toujours de soutiens aussi discrets que puissants dans les allées du pouvoir comme dans celles de l'opposition. La tunique de Nessus, certes, est en loques, mais des petites mains s'activent dans l'espoir de la ravauder. La mobilisation devra encore s'amplifier avant que la bête ne soit terrassée.
D'ores et déjà nous savons que plus jamais nous ne dormirons tranquilles. Nous n'oublierons pas l¹expérience de cauchemar que nous aurons vécue : le souffle haletant de la bête ‹ la grimace de « l'arbitraire légal » (Y.-Ch. Zarka) " le mufle d'un Léviathan imbécile marchant l'amble, titubant, son grand corps manifestement trop puissant pour une cervelle atrophiée " l'indifférence de presque tous les hommes politiques alertés, non de tous heureusement.
Plus jamais ça !
Il nous faudra former une commission d'enquête citoyenne, et déterminer avec précision comment cet épisode honteux et inquiétant pour l'avenir a pu se produire.
Il nous faudra ensuite agir de façon régulière, persévérante, permanente, auprès du public et auprès des pouvoirs publics, pour informer, défendre, promouvoir.
Si nous voulons que subsiste la pratique de l'association libre et de l'interprétation telle que l'a connue le XXe siècle, que le choix transférentiel, et non bureaucratique, du thérapeute demeure licite, que cette enclave de liberté, ce village d'Astérix qu'est l'espace psy, ne soit pas submergé par des bataillons d'évaluateurs à la manque, alors il nous faudra nous battre pour la cause freudienne ‹ en citoyens, dans les conditions du XXIe siècle, ici, maintenant, moi-même, toi-même, vous-même (pas quelqu'un d'autre).
Judith LACAN et J.-A. MILLER
Mailto Judith Lacan
Bien entendu, ni les psychanalystes, ni les psychologues cliniciens, ni les psychothérapeutes, ne menacent le moins du monde la santé publique. Dans ce domaine, le risque est infime. L'avoir soudainement majoré et transformé en menace est à la fois aberrant du point de vue intellectuel, irresponsable du point de vue politique, et pervers du point de vue civique. On aurait voulu provoquer une panique que l'on ne s'y serait pas pris autrement. Au fait, savez-vous que des spécialistes en paniques sociales, ça existe ? Et qu'il faut désormais penser à nous protéger de ces experts qui, avec leurs prétendues sociétés de « vigilance », font en temps réel des expériences dont nous sommes les cobayes ?
On a lancé une chasse aux charlatans parmi les psys. Or, le thérapeute à qui vous vous confiez vous a certainement été recommandé par l'un de vos proches qui a pu apprécier son travail, par un médecin, par un psychologue scolaire, par un travailleur social. Cette connaissance par ouï-dire vaut tous les diplômes. Combien d'éminents professeurs qui sont inaptes, voire dangereux dans la pratique !
Non, la psychanalyse, la psychologie clinique, les psychothérapies, ce n'est pas la médecine. Celle-ci devient de plus en plus scientifique, technologique, ce qui est un bienfait, mais il en résulte qu'elle se tait de plus en plus. C'est ce qui explique que la psychanalyse se soit partout développée, et qu'elle l'ait fait indépendamment de la médecine. Les psychothérapies, la psychologie clinique, ont suivi.
Le plan consistant à médicaliser brusquement le champ psy en France par un coup de force législatif, en sidérant les professionnels, en les faisant trembler, en jouant sur leurs divisions, et en spéculant sur leur couardise face à l'État, était digne du Grand Guignol : un 2 décembre scénario Kafka, mise en scène Ubu, co-production Big Brother-Marx Brothers. Dans quels antres de notre société cet Opus diabolicum a-t-il bien pu être conçu ?
La mobilisation qui, au-delà du milieu psy, s'étend chez les intellectuels et les artistes ; l'émotion qui, au-delà des frontières françaises, se répand en Europe et dans le monde latin ; la sagesse légendaire des sénateurs ; tout laisse espérer que l'amendement Accoyer ne passera pas. Mais ne nous y trompons pas : ce projet insane bénéficie toujours de soutiens aussi discrets que puissants dans les allées du pouvoir comme dans celles de l'opposition. La tunique de Nessus, certes, est en loques, mais des petites mains s'activent dans l'espoir de la ravauder. La mobilisation devra encore s'amplifier avant que la bête ne soit terrassée.
D'ores et déjà nous savons que plus jamais nous ne dormirons tranquilles. Nous n'oublierons pas l¹expérience de cauchemar que nous aurons vécue : le souffle haletant de la bête ‹ la grimace de « l'arbitraire légal » (Y.-Ch. Zarka) " le mufle d'un Léviathan imbécile marchant l'amble, titubant, son grand corps manifestement trop puissant pour une cervelle atrophiée " l'indifférence de presque tous les hommes politiques alertés, non de tous heureusement.
Plus jamais ça !
Il nous faudra former une commission d'enquête citoyenne, et déterminer avec précision comment cet épisode honteux et inquiétant pour l'avenir a pu se produire.
Il nous faudra ensuite agir de façon régulière, persévérante, permanente, auprès du public et auprès des pouvoirs publics, pour informer, défendre, promouvoir.
Si nous voulons que subsiste la pratique de l'association libre et de l'interprétation telle que l'a connue le XXe siècle, que le choix transférentiel, et non bureaucratique, du thérapeute demeure licite, que cette enclave de liberté, ce village d'Astérix qu'est l'espace psy, ne soit pas submergé par des bataillons d'évaluateurs à la manque, alors il nous faudra nous battre pour la cause freudienne ‹ en citoyens, dans les conditions du XXIe siècle, ici, maintenant, moi-même, toi-même, vous-même (pas quelqu'un d'autre).
Judith LACAN et J.-A. MILLER
Mailto Judith Lacan