Les psychologues perçoivent assez clairement que les réformes de l'hôpital – organisation en pôles, T2A, … - et de l'administration de la santé – ARS polycompétentes – présentent une menace pour l'exercice de leur profession. Mais ils en cernent encore difficilement les contours, ils en évaluent mal les conséquences et surtout ils sont plutôt démunis d'imagination pour se repositionner dans la nouvelle configuration. Il convient donc d'examiner les nouvelles dispositions. De penser l'intégration des psychologues. Et pour finir de s'accorder sur les moyens à mettre en oeuvre.
La "santé" en involution
Les dispositions légales et réglementaires qui réorganisent l'hôpital et l'administration de la santé – nouvelle gouvernance en 2005, loi Hôpital Patient Santé Territoire en 2009 – ne se contentent pas d'ignorer les psychologues, absents de toute instance susceptible de les représenter collectivement à l'instar des médecins ou des paramédicaux. Elles vont plus loin en s'efforçant de développer insidieusement une forme paramédicale de substitution à l'intervention psychologique. Ainsi les transferts de compétence sont limités (loi HPST, article 51) aux seules "professions de santé", donc à l'exclusion des psychologues qui y sont pourtant déjà pleinement engagés. Par ailleurs il est attendu de "l'éducation thérapeutique" (loi HPST, article 84) qu'elle règle toutes les difficultés psychologiques liées aux soins ou survenant à leur occasion. Quant à la notion de "prise en compte des aspects psychologiques des personnes", elle a été abrogée par la loi HPST et ne fait désormais plus partie intégrante des missions de l'hôpital. Enfin pour le titre de psychothérapeute (loi HPST, article 91), les décrets d'application devraient confirmer la réduction des exigences de qualification, rendue possible par l'abandon d'obligation de cursus universitaire.
La nouvelle donne
L'hôpital est profondément réorganisé. L'équipe de direction se trouve flanquée d'un Directoire resserré et rend des comptes à un Conseil de Surveillance. La Commission Médicale d'Etablissement (CME) et la récente Commission de Soins Infirmiers, de Rééducation et Médico-Technique (CSIRMT instaurée par l'ordonnance de 2005), permettent aux soignants d'apporter leurs voix au fonctionnement des instances et des pôles. Ou plutôt à presque tous les soignants, car si les psychologues ne sont logiquement pas partie intégrante de la CME, pour autant ils ne trouvent pas non plus leur place dans le vaste ensemble qu'est la CSIRMT. Enfin, les services d'antan sont recomposés dans des pôles d'activité fonctionnant sur le principe de contrats d'objectifs passés avec la direction.
Quid des psychologues ?
Pour ces derniers, on l'aura compris, rien de prévu. Un véritable état d'apesanteur. Les optimistes se consoleront en y voyant une page blanche. Mais quoi qu'il en soit, il y a matière à sereinement se demander si la participation des psychologues à l'hôpital et au système de soins est souhaitée par le gouvernement qui a conçu la réforme hospitalière et par la majorité parlementaire qui l'a adoptée. Mais qu'on ne s'y trompe pas. La difficulté relevée ici ne tient pas d'abord aux psychologues. En fait elle tient… aux usagers ! Aux personnes qui d'ores et déjà ont recours aux services de santé en croyant et en espérant y trouver des psychologues avec qui parler de ce qui leur arrive, de ce qui ne va pas. Au point que leurs demandes saturent les capacités d'accueil des consultations de psychiatrie dans la plupart desquelles les psychologues sont contraints de fonctionner avec des listes d'attente. Dans les autres spécialités hospitalières, comme la pédiatrie, la cancérologie, les longs séjours…, les patients, leurs familles, les proches les réclament. Sans parler des équipes auprès desquelles ils interviennent. De s'être jusqu'à présent efforcé de percevoir et d'analyser les multiples besoins d'intervention psychologique oblige les psychologues à imaginer les moyens les plus adéquats pour y
répondre. A la force de travail qu'ils représentent auprès du public et des équipes, ils doivent ajouter une force de proposition. Et pour ce faire, intégrer les différents niveaux d'organisation des soins.
Au niveau des pôles
Depuis 2006, le premier niveau d'organisation est celui des pôles d'activité clinique. Le praticien chef de pôle signe avec le directeur un contrat d'objectifs et de moyens. Et pour sa réalisation, il organise le fonctionnement du pôle et l'affectation des ressources humaines, en étant assisté par des collaborateurs dont il propose la nomination au directeur (loi HPST, article 13). Il paraît logique que dans les pôles de psychiatrie, et si besoin dans d'autres cas, un psychologue soit régulièrement associé aux personnes assistant le chef de pôle clinique.
Au niveau de l'établissement : le Directoire
La loi HPST instaure un Directoire (article 10) et un Conseil de Surveillance (article 9). Si le rôle de ce dernier peut être identifié à celui d'un Conseil d'Administration, il en va autrement du Directoire, limité à 7 membres, 9 pour les CHU. Il est composé exclusivement de personnels de l'établissement dont une majorité de personnel médical. A l'exception du président de la CME et du président de la CSIRMT, les nominations sont du ressort du directeur.
Aussi, vu la composition et les finalités de cette nouvelle instance (se prononcer sur le projet médical, sur le projet de soins infirmier, sur le projet d'établissement, conseiller le directeur, …) il paraît logique et surtout nécessaire qu'en leur qualité de soignants les psychologues y soient aussi associés.
Le collège de psychologie
Toujours au niveau de l'établissement, l'organisation et la régulation de la participation des psychologues aux structures internes de l'établissement (pôles, Directoire, …) et aux groupes de travail (certification et qualité, élaboration de projets, …) supposent l'existence d'une instance regroupant l'ensemble des professionnels. Nécessité organisationnelle dont les psychologues sont convaincus et qui fait que les collèges de psychologues évoluant vers des collèges de psychologie, existent de facto et depuis assez longtemps dans la plupart des établissements. Le degré de formalisation et le degré de reconnaissance acquis par le collège de psychologie de l'Hôpital de Rouffach en fait une référence.
Au niveau régional
Dans la mesure où les Agences Régionales de Santé (loi HPST, article 18) exercent une compétence d'organisation et de fonctionnement portant sur les établissements hospitaliers, sur le secteur médico-social, et sur l'activité libérale, rien, du moins dans la santé, ne peut donc se faire sans elle. Ce qui pour les psychologues soulève un double problème : celui de déterminer quelles instances investir au sein des ARS et celui de l'organisation dont ils auraient à se doter pour ce faire.
Dans un premier temps, c'est bien sûr la "Conférence Régionale de la Santé et de l'Autonomie" qui paraît déterminante, même si à l'usage, une seule instance ne saurait suffire à conduire un dialogue efficace entre d'une part cette double tutelle qu'est l'ARS et d'autre part les professionnels, les usagers et les collectivités concernées.
Reste que pour exister comme interlocuteur un tant soit peu représentatif au niveau régional, les psychologues ont un gros effort d'organisation à fournir. En regard de leur faible lisibilité et de leur faible légitimité, les actuelles structures régionales existantes au niveau des organisations professionnelles ne peuvent suffire. Sans doute faut-il s'inspirer de ce que met en place la loi (loi HPST, article 123) en matière d'organisation de la représentativité des professionnels de santé exerçant en libéral. Ce qui pourrait conduire à la mise sur pied d'Unions Professionnelles Régionales différenciées. Une première rassemblant les psychologues des hôpitaux sur la base d'un fonctionnement inter-collèges régional. Une deuxième Union Professionnelle Régionale rassemblant les psychologues exerçant en libéral, sur la base des listes départementales. Enfin une troisième Union Professionnelle Régionale regroupant les psychologues des établissements médico-sociaux à partir du recensement des établissements existants. Les différents champs et types d'exercice trouveraient ainsi le moyen de s'impliquer dans les instances régionales.
Question de méthode
Les psychologues qui ont jusqu'à présent privilégié les questions statutaires faisant l'objet de concertation avec les administrations centrales doivent changer leur façon de voir. Les profondes évolutions actuelles obligent à penser plus en terme d'organisation que de statut et à penser plus en terme d'expérimentation locale et régionale qu'en attente d'avancées sur les plans réglementaires et législatifs.
Et pour ce faire, les psychologues doivent laisser émerger dans leurs rangs des personnalités susceptibles de s'impliquer fortement aussi bien dans ce genre de tâches ainsi que dans les nouvelles instances que sont les collèges de psychologie, les pôles, les directoires, les unions professionnelles régionales, les commissions des ARS, … De même, c'est par leur soutien résolu à ce mouvement que les organisations de la profession trouveront à fonder leur légitimité.
Emmanuel Garcin, Mai 2010
Références
Ordonnance 2005-406, dite de "Nouvelle Gouvernance" (pôles, CSIRMT, contractualisation, …).
Loi 2009-879, dite HPST.
Collège de psychologie. Rouffach, 2008.
La "santé" en involution
Les dispositions légales et réglementaires qui réorganisent l'hôpital et l'administration de la santé – nouvelle gouvernance en 2005, loi Hôpital Patient Santé Territoire en 2009 – ne se contentent pas d'ignorer les psychologues, absents de toute instance susceptible de les représenter collectivement à l'instar des médecins ou des paramédicaux. Elles vont plus loin en s'efforçant de développer insidieusement une forme paramédicale de substitution à l'intervention psychologique. Ainsi les transferts de compétence sont limités (loi HPST, article 51) aux seules "professions de santé", donc à l'exclusion des psychologues qui y sont pourtant déjà pleinement engagés. Par ailleurs il est attendu de "l'éducation thérapeutique" (loi HPST, article 84) qu'elle règle toutes les difficultés psychologiques liées aux soins ou survenant à leur occasion. Quant à la notion de "prise en compte des aspects psychologiques des personnes", elle a été abrogée par la loi HPST et ne fait désormais plus partie intégrante des missions de l'hôpital. Enfin pour le titre de psychothérapeute (loi HPST, article 91), les décrets d'application devraient confirmer la réduction des exigences de qualification, rendue possible par l'abandon d'obligation de cursus universitaire.
La nouvelle donne
L'hôpital est profondément réorganisé. L'équipe de direction se trouve flanquée d'un Directoire resserré et rend des comptes à un Conseil de Surveillance. La Commission Médicale d'Etablissement (CME) et la récente Commission de Soins Infirmiers, de Rééducation et Médico-Technique (CSIRMT instaurée par l'ordonnance de 2005), permettent aux soignants d'apporter leurs voix au fonctionnement des instances et des pôles. Ou plutôt à presque tous les soignants, car si les psychologues ne sont logiquement pas partie intégrante de la CME, pour autant ils ne trouvent pas non plus leur place dans le vaste ensemble qu'est la CSIRMT. Enfin, les services d'antan sont recomposés dans des pôles d'activité fonctionnant sur le principe de contrats d'objectifs passés avec la direction.
Quid des psychologues ?
Pour ces derniers, on l'aura compris, rien de prévu. Un véritable état d'apesanteur. Les optimistes se consoleront en y voyant une page blanche. Mais quoi qu'il en soit, il y a matière à sereinement se demander si la participation des psychologues à l'hôpital et au système de soins est souhaitée par le gouvernement qui a conçu la réforme hospitalière et par la majorité parlementaire qui l'a adoptée. Mais qu'on ne s'y trompe pas. La difficulté relevée ici ne tient pas d'abord aux psychologues. En fait elle tient… aux usagers ! Aux personnes qui d'ores et déjà ont recours aux services de santé en croyant et en espérant y trouver des psychologues avec qui parler de ce qui leur arrive, de ce qui ne va pas. Au point que leurs demandes saturent les capacités d'accueil des consultations de psychiatrie dans la plupart desquelles les psychologues sont contraints de fonctionner avec des listes d'attente. Dans les autres spécialités hospitalières, comme la pédiatrie, la cancérologie, les longs séjours…, les patients, leurs familles, les proches les réclament. Sans parler des équipes auprès desquelles ils interviennent. De s'être jusqu'à présent efforcé de percevoir et d'analyser les multiples besoins d'intervention psychologique oblige les psychologues à imaginer les moyens les plus adéquats pour y
répondre. A la force de travail qu'ils représentent auprès du public et des équipes, ils doivent ajouter une force de proposition. Et pour ce faire, intégrer les différents niveaux d'organisation des soins.
Au niveau des pôles
Depuis 2006, le premier niveau d'organisation est celui des pôles d'activité clinique. Le praticien chef de pôle signe avec le directeur un contrat d'objectifs et de moyens. Et pour sa réalisation, il organise le fonctionnement du pôle et l'affectation des ressources humaines, en étant assisté par des collaborateurs dont il propose la nomination au directeur (loi HPST, article 13). Il paraît logique que dans les pôles de psychiatrie, et si besoin dans d'autres cas, un psychologue soit régulièrement associé aux personnes assistant le chef de pôle clinique.
Au niveau de l'établissement : le Directoire
La loi HPST instaure un Directoire (article 10) et un Conseil de Surveillance (article 9). Si le rôle de ce dernier peut être identifié à celui d'un Conseil d'Administration, il en va autrement du Directoire, limité à 7 membres, 9 pour les CHU. Il est composé exclusivement de personnels de l'établissement dont une majorité de personnel médical. A l'exception du président de la CME et du président de la CSIRMT, les nominations sont du ressort du directeur.
Aussi, vu la composition et les finalités de cette nouvelle instance (se prononcer sur le projet médical, sur le projet de soins infirmier, sur le projet d'établissement, conseiller le directeur, …) il paraît logique et surtout nécessaire qu'en leur qualité de soignants les psychologues y soient aussi associés.
Le collège de psychologie
Toujours au niveau de l'établissement, l'organisation et la régulation de la participation des psychologues aux structures internes de l'établissement (pôles, Directoire, …) et aux groupes de travail (certification et qualité, élaboration de projets, …) supposent l'existence d'une instance regroupant l'ensemble des professionnels. Nécessité organisationnelle dont les psychologues sont convaincus et qui fait que les collèges de psychologues évoluant vers des collèges de psychologie, existent de facto et depuis assez longtemps dans la plupart des établissements. Le degré de formalisation et le degré de reconnaissance acquis par le collège de psychologie de l'Hôpital de Rouffach en fait une référence.
Au niveau régional
Dans la mesure où les Agences Régionales de Santé (loi HPST, article 18) exercent une compétence d'organisation et de fonctionnement portant sur les établissements hospitaliers, sur le secteur médico-social, et sur l'activité libérale, rien, du moins dans la santé, ne peut donc se faire sans elle. Ce qui pour les psychologues soulève un double problème : celui de déterminer quelles instances investir au sein des ARS et celui de l'organisation dont ils auraient à se doter pour ce faire.
Dans un premier temps, c'est bien sûr la "Conférence Régionale de la Santé et de l'Autonomie" qui paraît déterminante, même si à l'usage, une seule instance ne saurait suffire à conduire un dialogue efficace entre d'une part cette double tutelle qu'est l'ARS et d'autre part les professionnels, les usagers et les collectivités concernées.
Reste que pour exister comme interlocuteur un tant soit peu représentatif au niveau régional, les psychologues ont un gros effort d'organisation à fournir. En regard de leur faible lisibilité et de leur faible légitimité, les actuelles structures régionales existantes au niveau des organisations professionnelles ne peuvent suffire. Sans doute faut-il s'inspirer de ce que met en place la loi (loi HPST, article 123) en matière d'organisation de la représentativité des professionnels de santé exerçant en libéral. Ce qui pourrait conduire à la mise sur pied d'Unions Professionnelles Régionales différenciées. Une première rassemblant les psychologues des hôpitaux sur la base d'un fonctionnement inter-collèges régional. Une deuxième Union Professionnelle Régionale rassemblant les psychologues exerçant en libéral, sur la base des listes départementales. Enfin une troisième Union Professionnelle Régionale regroupant les psychologues des établissements médico-sociaux à partir du recensement des établissements existants. Les différents champs et types d'exercice trouveraient ainsi le moyen de s'impliquer dans les instances régionales.
Question de méthode
Les psychologues qui ont jusqu'à présent privilégié les questions statutaires faisant l'objet de concertation avec les administrations centrales doivent changer leur façon de voir. Les profondes évolutions actuelles obligent à penser plus en terme d'organisation que de statut et à penser plus en terme d'expérimentation locale et régionale qu'en attente d'avancées sur les plans réglementaires et législatifs.
Et pour ce faire, les psychologues doivent laisser émerger dans leurs rangs des personnalités susceptibles de s'impliquer fortement aussi bien dans ce genre de tâches ainsi que dans les nouvelles instances que sont les collèges de psychologie, les pôles, les directoires, les unions professionnelles régionales, les commissions des ARS, … De même, c'est par leur soutien résolu à ce mouvement que les organisations de la profession trouveront à fonder leur légitimité.
Emmanuel Garcin, Mai 2010
Références
Ordonnance 2005-406, dite de "Nouvelle Gouvernance" (pôles, CSIRMT, contractualisation, …).
Loi 2009-879, dite HPST.
Collège de psychologie. Rouffach, 2008.