La nouvelle industrie de la santé mentale et du secteur social : les professionnels disent non !
Plus de 300 cliniciens, travailleurs sociaux et personnels administratifs dans les Institutions de l’ouest disent non à la mise en concurrence des institutions de soin et à la normalisation des pratiques selon les références de l’OMS.
La table ronde organisée à Brest par les « Comités de Vigilance des Centres Médico Psycho_ Pédagogiques et des Centres Medico- Psychologiques de l’Ouest » a rassemblé le 4 Juin des professionnels de toute catégorie venus des 5 départements du grand Ouest et d’une centaine d’institutions différentes.
Ont été regrettées les « non – réponses » de l’INSERM , de la « Haute Autorité en Santé », et le manque de disponibilité à cette date de personnes « suffisamment compétentes » du Ministère de la Santé et proches collaborateurs pour participer à cette table ronde ce jour là .
Un débat est aujourd’hui incontournable et commence à s’ouvrir : l’enjeu n’a pas à se poser comme celui d’une « spécialisation » contre une autre mais beaucoup plus fondamentalement comme le statut donné au psychisme humain dans une civilisation à venir.
Les médias y ont un grand rôle : soit elles participent à l’ouverture de ce débat qui nous concerne tous dans un moment charnière de notre culture, qui s’opère (de moins en moins) à bas bruit, soit elles tentent de les réduire à des questions identitaires de corporations .
Le Patient est-il encore quelqu’un, entre protocoles standardisés, évaluations et judiciarisation. ?
Cette question centrale aux débats et titre de la Table Ronde a été abordé principalement avec les apports très précis de deux psychanalystes, Claire CHRISTIEN, médecin directeur et psychiatre en Centre Médico- Psycho- Pédagogique et Roland GORI, professeur de psychopathologie à l’Université d’Aix- Marseille et auteur, avec Marie José DEL VOLGO de « La Santé Totalitaire ».
Deux autres interventions informatives sont venues ponctuer ces deux exposés :
Jean Paul BRIDE psychologue clinicien, en psychiatrie de secteur en côte d’Armor représentant le Comité de Vigilance des CMP de l’Ouest et Jean –Yves BITEAU Psychologue en CMPP dans le Morbihan, psychanalyste.
* la situation des institutions de soin en psychiatrie adulte et infanto-juvenile très préoccupante dans les côtes d’Armor( entre autre département) pour le premier
* une lecture de morceaux choisis dans la presse quotidienne nationale de tout bord illustrant l’idéologie qui prévaut actuellement concernant les « modes de gestion »de la souffrance psychique pour le second.
Patricia Viollette a introduit les débats resituant la mobilisation depuis 2 ans du Comité de Vigilance des CMPP de l’Ouest puis de celui des CMP composés d’ un ensemble de multiples corporations professionnelles.
Claire Christien a éclairé une pratique institutionnelle sans cesse renouvelées par deux situations cliniques d’enfants en grande difficulté suivis au CMPP de Pithiviers( Loiret).
« Le comportement d’un enfant est, à lui seul, opaque, fermé comme une huître. Envisager les soins par un côté comportemental serait soumettre l’enfant à toutes les violences de l’ignorance arrogante de pratiques mimant la science sans en avoir la rigueur
Les exemples de Juliette et K. montrent comment chaque intervenant accepte de se mettre à l’épreuve des symptômes de l’enfant, cela dans une institution hétérogène ; tout le contraire du grand magasin des thérapies, vers lequel on semble aller, où la position d’un savoir normé par les protocoles de soins obture ce qui peut venir du patient et se construire avec lui dans le risque d’une rencontre sans cesse à analyser.
Juliette a trois ans, est adressée au CMPP par le pédiatre qui la suit de façon très rigoureuse sur le plan somatique et le médecin scolaire, car « elle ne parle pas, elle n’a aucun lien avec les enfants, fuit le regard, est agitée sans sembler avoir conscience du danger » et donc est très mal supportée à l’école maternelle.
Le psychiatre, psychanalyste, qui la reçoit au CMPP propose immédiatement plusieurs séances par semaine, et après avoir entendu sa mère faire part de sa grande détresse et d’une lourde histoire personnelle et familiale, proposera l’aide de l’assistante sociale du CMPP. Juliette sera aussi accueillie, une, puis deux et trois fois par semaine, dans un petit groupe thérapeutique animé par une psychologue et une éducatrice.
Chaque entretien avec cette enfant amène l’analyste à s’appliquer au détail clinique, ici, une étrange modulation sonore, un trémolo qui fait vibrer toute la gorge de l’enfant ravie et alors inaccessible. C’est à partir de là, en inventant, en mettant en jeu sa propre voix, que l’analyste pourra amener l’enfant à une ébauche de parole, tandis que la relation de confiance, et le travail avec la famille et l’école, modifient la place de Juliette parmi les humains….
K a deux ans, ne parle pas, son avenir semble grevé par un diagnostic néo-natal de maladie génétique rare. La psychomotricienne qui le reçoit, engage avec lui et ses parents, spécialement sa mère, un travail inventif et polyglotte. Puisque la maman ne parle pas français, un dictionnaire sera nécessaire. Un va et vient permanent entre cette écoute particulière et un travail en réunions de synthèse avec l’équipe du CMPP fera apparaître que K. ne supporte pas d’être regardé. Il choisit l’autre place, celui qui regarde, et se met alors à parler. Pour cet enfant, observé « sous toutes les coutures » depuis sa naissance, il a été essentiel de pouvoir, grâce à une riche production de dessins et de modelages, dire cette souffrance, et par là même, se dégager de cette place avant de consentir aux apprentissages scolaires . Il a fallu aussi toute « la docilité au cas » de la psychomotricienne, dont le travail avec lui est loin d’une pratique de rééducation standard.
Dans cette prise de position comme analyste, il ne s’agit pas de défendre une identité comme analyste, ni d’entrer en guerre contre les médecins, pédiatres, neurologues. Il ne s’agit pas de défendre une théorie contre une autre. Cela ne suppose pas une théorie de l’étiologie, de la cause de l’autisme. Peut être trouvera-t-on dans les années à venir différents facteurs organiques intervenant dans cette maladie, facteurs génétiques, neurophysiologiques, etc. Rien de tout cela ne dément l’hypothèse que nous faisons d’un sujet affecté par le langage et la parole.
Nous pensons que toute demande doit être entendue, qu’à toute demande il doit être répondu. Nous ne pensons pas que toute demande doit être satisfaite ! Il arrive aussi que la demande des parents ne suffise pas à mettre l’enfant au travail… il faut qu’à un moment la balle passe dans son camp pour que nous puissions jouer avec lui. Ce travail d’accouchement de la demande est imprévisible et ne peut guère faire l’objet d’une standardisation… »
**************
Que faire des lors de la loi de 2002 qui vise « la satisfaction de l’usager », le « devoir d’information », le « consentement éclairé » qui a pour principal effet non pas d’ouvrir vers une recherche appuyée sur le savoir inconscient du demandeur mais avant tout de défendre le professionnel des « attaques judiciaires » de ses patients.(tout est en règle il était prévenu !).
« Mettre l’usager au centre du dispositif » revient dans nos structures à fabriquer un leurre pour passer sans encombre de la prise en compte psychopathologique d’une souffrance humaine à l’organisation d’un système de consommation de soin psychique avec en mirage le concept de « bonne santé mentale » défini par l’OMS et révisé en 2001 :
« La santé est un état de complet bien être physique mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité »
On doute qu’une telle définition, agréée par 191 membres de l’OMS, fasse baisser les files d’attente.
Dans le même temps, on culpabilise les patients du coût de la sécurité sociale tout en les infantilisant par une médiatisation exacerbée du « tout psy » au plus près de l’intime , voire de l’ exhibition de l’ humiliation de tragédies humaines.
Ces affirmations et injonctions procèdent de quelle logique économique ?
Peut on encore croire qu’il s ‘agit de diminuer les coûts de la sécurité sociale…ou au contraire d’augmenter les « flux » de consommateurs de soin et faire exploser les structures dans un marché très prisé.
A qui profitera cette ouverture ?
*************
Ponctuation informative de J.P Bride (Psychiatrie de secteur en côte d’Armor),
Bien au fait de l’importance des réunions de synthèses quand elles engagent le clinicien, Jean Paul Bride nous alerte sur la situation désastreuse des hôpitaux dont la gestion va à l’encontre de toute préoccupation humaine et dans les sens inverse du développement précédent.
Les conséquences financières du blocage financier du coefficient directeur ont en effet de nombreuses répercussions cliniques :
-Départs en retraite non remplacés, passage des professionnels des CMP vers l’Hôpital pour « soutenir » le manque d’effectif, entraînant une diminution drastique des consultations ambulatoires et à terme le risque d’une suppression de plusieurs CMP sur l’Ouest du seul département des Côtes d’Armor.
Pour les patients ceci signifie en clair, l’impossibilité de s’adresser à un service public, sauf à attendre un temps un temps considérable dans les CMP restants et un abandon de soin pour ceux qui n’auront pas les moyens de se déplacer régulièrement.
-Les arrêts de maladie se multiplient , non remplacés .
-Plus grave surtout, des mineurs se retrouvent faute de place en services adultes avec tous les risques de dérapage :abus sexuels, toxicomanie…
L’expérimentation du PMSI(programme de médicalisation des systèmes d’information) en psychiatrie ou VAP (valorisation en psychiatrie) non seulement met en cause le temps nécessaire à chaque patient (il s’agit de mesurer minute par minute le temps réservé à chacun, y compris en réunion de synthèse, pour en déduire l’activité et les ressources de chaque établissements) mais remet en cause la confidentialité même des prises en charge. Comme le DMP informatisé(dossier médical personnel)
Dans le même sens, le rapport « Benisti » veut transformer le secret médical en « secret partagé » entre les parents, le pédiatre, l’école et la police des la maternelle pour « prévenir la délinquance »… Ce rapport est suivi de celui de M.T Hermange, sénateur de Paris et Luc Rudolph, Inspecteur général de la police Nationale le 1er Mars 2005…pour la sécurité des mineurs.
La traçabilité est aujourd’hui de mise des la maternelle .
*******************
Roland Gori répond aux précédents intervenants et fait le lien avec ses travaux .
L’ introduction peut se résumer simplement : Comment en est on arrivé là ?
C’est dans une perspective anthropologique qu’il resitue le bouleversement actuel de la place du sujet dans la culture occidentale que nous connaissons aujourd’hui.
Développant l’essai sur la « médicalisation de l’existence », Roland Gori reprend, la trame du travail réalisé avec Marie José Del Volgo selon trois références
La norme, ce n’est pas simplement, ce n’est même pas un principe d’intelligibilité, c’est un élément à partir duquel un certain exercice du pouvoir se trouve fondé et légitimé. ”-
1 «… La médecine en luttant rationnellement et scientifiquement contre les maladies a mis en réserve le malade et plus particulièrement son corps érogène dont le fait psychique constitue la représentation essentielle…Il y a des maladies qui parlent, qui ne se résument pas à une analyse médico-biologique et dont les symptômes obéissent aux lois de la parole, du langage et du discours…. Des lors que la psychanalyse a pu élaborer une théorie cohérente de la réalité psychique et des pratiques qu’elle requiert, elle s’est progressivement vouée à prendre en charge la souffrance psychique et y compris celle que les maladies organiques imposent aux sujets malades…
2-«… La médecine ne s’est pas contentée de devenir scientifique et expérimentale dans la prise en charge des pathologies individuelles. A partir du XVIIe siècle, elle a étendu à l’infini son pouvoir social de civilisation normalisatrice des mœurs, des conduites et des comportements.
La frontière entre la santé et la maladie s’est trouvée déplacée jusqu’à étendre le magister médical au contrôle des styles de vie… A la fin du XIXe siècle, la médecine participe à la fabrication d’un nouveau territoire qui va s’accroître sans cesse, celui de la santé psychique et morale…
C’est un corps à la fois libre et sécurisé à l’image des autres biens qui se trouve mis à la disposition des propriétaires destinés à en jouir de manière raisonnable, normée, libre et surtout rentable. »
3-« …Cette civilisation médicale du corps avait produit un reste nécessitant des thérapeutiques du « souci de soi » irréductibles à ce régime de savoir et de pouvoir.
C’est de ce reste qu’est née la Psychanalyse et toute la culture de la deuxième moitié du XXe siècle s’est trouvée innervée par des théories revendiquant une place tant pour le sujet politique que pour le sujet de l’inconscient…
Or actuellement le néolibéralisme dans les logiques de santé, en particulier celles de la santé mentale tente de réduire ce reste de la logique iatrique et consumériste en le réduisant à un comportement…ce jusque dans l’ épreuve tragique des maladies organiques et douloureuses.
Le sujet devient soluble dans le comportement, des lors que celui-ci se trouve conçu comme le produit modélisé comme une entreprise. Le corps devient une partie du capital dont dispose l’individu transformé en « entrepreneur de lui même » pour reprendre Michel Foucault. »
« Tandis que l’individu disparaît devant l’appareil qu’il sert, il est pris en charge mieux que jamais par cet appareil même »
Cette conception médico-économique du corps heurte de plein fouet la démarche freudienne assumant la promotion du symptôme au delà de toute prétention à la causalité.
Le savoir conçu comme un montage mathématique de calcul de risque et de profit se trouve à l’interface de ces trois thèse posées ici à l’emporte pièce.
Dans notre ouvrage, les exemples quotidiens et la clinique issue de nos pratiques tentent d’amender la rudesse de cette présentation en lui restituant la chair de nos pratiques »
question de la salle :
« Mais alors, devant ces attaques répétées contre la psychanalyse et même la transmission de la Psychopathologie clinique à l’Université pour y substituer des ersatz de pratiques dites scientifiques et évaluationnistes quelles ouvertures peut on espérer ? »
Réponse de Roland Gori :
« Aujourd’hui ce ne semble pas être du côté de la formation des psychiatres qu’une attente se dessine, par contre, ce qui peut paraître paradoxal mais ne l’est pas, c’est du côté de la médecine générale et des spécialités très pointues sur le plan organique qu’une demande se précise nettement : « comment parler au malade de sa maladie, quels sont les effets de ce qu’on lui dit, comment écouter ce qu’il a à nous dire de sa souffrance et de son angoisse » telles sont quelques questions que des médecins ou des soignants parfois en analyse, amènent sur le divan ou en formation.
Plus les techniques instrumentales évoluent plus le médecin se trouve pris au dépourvu face au psychisme du malade et à sa parole… »
A une autre question de la salle « Est ce du seul fait des médecins ? » Roland Gori précise :
« Bien sûr que non !Il ne s’agit en aucun cas de diaboliser un métier ou un autre : un psychologue peut tout autant être plus médical dans ses réponses et les dossiers qu’il constitue, qu’un médecin qui sait écouter la souffrance de son patient.
Il ne s’agit pas non plus de nier l’apport de la recherche pharmaceutique qui a permis entre autre à des psychotiques de sortir de l’hôpital, de s’insérer socialement, et de construire avec qui sait l’écouter, les nouages qui permettent de penser sa vie.
Il s’agit de repérer une logique totalitaire médicalisante et son glissement de plus en plus effréné vers le consumérisme et la norme comportementale… »
******************************
Ponctuation informative de Jean-Yves Biteau.
Jean Yves Biteau vient illustrer brièvement et avec un humour tragico-comique les propos précédents par une revue de presse : « Actualités d’un monde nouveau, standardisé et évalué »
Nous ne reprendrons ici que les titres :
-« La peau des tout-petits menacés par l’eczéma- Jean François Stadler »( le Monde 30/03/05)
-« éduquer, une mission de santé » de Dominique Jammet (Bulletin de l’ALP(Agence Lacanienne de Presse), mai 2005)
-« Améliorer le sommeil malmené de l’adolescent -Michaëla Bobaski »(Le Monde 06/ 04 /05)
-« Psychothérapeute invitée d’Hygiène de vie » (Ouest France 13/05/05)
-« Enfants des crèches, évaluons notre salive- Jacques Borie » (Bulletin de l’ALP concernant le CHU de St Etienne et les propos du Dr Berger édité par Dunod : « L’échec de la protection de l’enfance »
-« Histoire d’un refus –Professeurs Bursztejn ,Golse, Houzel » Volume 46 de la Psychiatrie de l’Enfant éditée au PUF concernant le rapport INSERM sensé évaluer les psychothérapies et le retrait du texte du Professeur Houzel sans que son auteur en ait été averti.
***************
Après d’autres questions de la salle, nous reprendrons pour conclure cette écrit visionnaire de Claude Levi- Strauss en 1955, cité par R. Gori :
« L’humanité s’installe dans la monoculture ; elle s’apprête à produire la civilisation en masse, comme la betterave. Son ordinaire ne comportera plus que ce plat »
Etienne Rabouin
Médicalisation du XXIe siècle - Table ronde organisée par le Comité de vigilance des CMPP de l'Ouest. Le patient est quelqu'un ? Entre protocoles standardisés, évaluations et judiricisation.
Brest 4 Juin 2005
Plus de 300 cliniciens, travailleurs sociaux et personnels administratifs dans les Institutions de l’ouest disent non à la mise en concurrence des institutions de soin et à la normalisation des pratiques selon les références de l’OMS.
La table ronde organisée à Brest par les « Comités de Vigilance des Centres Médico Psycho_ Pédagogiques et des Centres Medico- Psychologiques de l’Ouest » a rassemblé le 4 Juin des professionnels de toute catégorie venus des 5 départements du grand Ouest et d’une centaine d’institutions différentes.
Ont été regrettées les « non – réponses » de l’INSERM , de la « Haute Autorité en Santé », et le manque de disponibilité à cette date de personnes « suffisamment compétentes » du Ministère de la Santé et proches collaborateurs pour participer à cette table ronde ce jour là .
Un débat est aujourd’hui incontournable et commence à s’ouvrir : l’enjeu n’a pas à se poser comme celui d’une « spécialisation » contre une autre mais beaucoup plus fondamentalement comme le statut donné au psychisme humain dans une civilisation à venir.
Les médias y ont un grand rôle : soit elles participent à l’ouverture de ce débat qui nous concerne tous dans un moment charnière de notre culture, qui s’opère (de moins en moins) à bas bruit, soit elles tentent de les réduire à des questions identitaires de corporations .
Le Patient est-il encore quelqu’un, entre protocoles standardisés, évaluations et judiciarisation. ?
Cette question centrale aux débats et titre de la Table Ronde a été abordé principalement avec les apports très précis de deux psychanalystes, Claire CHRISTIEN, médecin directeur et psychiatre en Centre Médico- Psycho- Pédagogique et Roland GORI, professeur de psychopathologie à l’Université d’Aix- Marseille et auteur, avec Marie José DEL VOLGO de « La Santé Totalitaire ».
Deux autres interventions informatives sont venues ponctuer ces deux exposés :
Jean Paul BRIDE psychologue clinicien, en psychiatrie de secteur en côte d’Armor représentant le Comité de Vigilance des CMP de l’Ouest et Jean –Yves BITEAU Psychologue en CMPP dans le Morbihan, psychanalyste.
* la situation des institutions de soin en psychiatrie adulte et infanto-juvenile très préoccupante dans les côtes d’Armor( entre autre département) pour le premier
* une lecture de morceaux choisis dans la presse quotidienne nationale de tout bord illustrant l’idéologie qui prévaut actuellement concernant les « modes de gestion »de la souffrance psychique pour le second.
Patricia Viollette a introduit les débats resituant la mobilisation depuis 2 ans du Comité de Vigilance des CMPP de l’Ouest puis de celui des CMP composés d’ un ensemble de multiples corporations professionnelles.
Claire Christien a éclairé une pratique institutionnelle sans cesse renouvelées par deux situations cliniques d’enfants en grande difficulté suivis au CMPP de Pithiviers( Loiret).
« Le comportement d’un enfant est, à lui seul, opaque, fermé comme une huître. Envisager les soins par un côté comportemental serait soumettre l’enfant à toutes les violences de l’ignorance arrogante de pratiques mimant la science sans en avoir la rigueur
Les exemples de Juliette et K. montrent comment chaque intervenant accepte de se mettre à l’épreuve des symptômes de l’enfant, cela dans une institution hétérogène ; tout le contraire du grand magasin des thérapies, vers lequel on semble aller, où la position d’un savoir normé par les protocoles de soins obture ce qui peut venir du patient et se construire avec lui dans le risque d’une rencontre sans cesse à analyser.
Juliette a trois ans, est adressée au CMPP par le pédiatre qui la suit de façon très rigoureuse sur le plan somatique et le médecin scolaire, car « elle ne parle pas, elle n’a aucun lien avec les enfants, fuit le regard, est agitée sans sembler avoir conscience du danger » et donc est très mal supportée à l’école maternelle.
Le psychiatre, psychanalyste, qui la reçoit au CMPP propose immédiatement plusieurs séances par semaine, et après avoir entendu sa mère faire part de sa grande détresse et d’une lourde histoire personnelle et familiale, proposera l’aide de l’assistante sociale du CMPP. Juliette sera aussi accueillie, une, puis deux et trois fois par semaine, dans un petit groupe thérapeutique animé par une psychologue et une éducatrice.
Chaque entretien avec cette enfant amène l’analyste à s’appliquer au détail clinique, ici, une étrange modulation sonore, un trémolo qui fait vibrer toute la gorge de l’enfant ravie et alors inaccessible. C’est à partir de là, en inventant, en mettant en jeu sa propre voix, que l’analyste pourra amener l’enfant à une ébauche de parole, tandis que la relation de confiance, et le travail avec la famille et l’école, modifient la place de Juliette parmi les humains….
K a deux ans, ne parle pas, son avenir semble grevé par un diagnostic néo-natal de maladie génétique rare. La psychomotricienne qui le reçoit, engage avec lui et ses parents, spécialement sa mère, un travail inventif et polyglotte. Puisque la maman ne parle pas français, un dictionnaire sera nécessaire. Un va et vient permanent entre cette écoute particulière et un travail en réunions de synthèse avec l’équipe du CMPP fera apparaître que K. ne supporte pas d’être regardé. Il choisit l’autre place, celui qui regarde, et se met alors à parler. Pour cet enfant, observé « sous toutes les coutures » depuis sa naissance, il a été essentiel de pouvoir, grâce à une riche production de dessins et de modelages, dire cette souffrance, et par là même, se dégager de cette place avant de consentir aux apprentissages scolaires . Il a fallu aussi toute « la docilité au cas » de la psychomotricienne, dont le travail avec lui est loin d’une pratique de rééducation standard.
Dans cette prise de position comme analyste, il ne s’agit pas de défendre une identité comme analyste, ni d’entrer en guerre contre les médecins, pédiatres, neurologues. Il ne s’agit pas de défendre une théorie contre une autre. Cela ne suppose pas une théorie de l’étiologie, de la cause de l’autisme. Peut être trouvera-t-on dans les années à venir différents facteurs organiques intervenant dans cette maladie, facteurs génétiques, neurophysiologiques, etc. Rien de tout cela ne dément l’hypothèse que nous faisons d’un sujet affecté par le langage et la parole.
Nous pensons que toute demande doit être entendue, qu’à toute demande il doit être répondu. Nous ne pensons pas que toute demande doit être satisfaite ! Il arrive aussi que la demande des parents ne suffise pas à mettre l’enfant au travail… il faut qu’à un moment la balle passe dans son camp pour que nous puissions jouer avec lui. Ce travail d’accouchement de la demande est imprévisible et ne peut guère faire l’objet d’une standardisation… »
**************
Que faire des lors de la loi de 2002 qui vise « la satisfaction de l’usager », le « devoir d’information », le « consentement éclairé » qui a pour principal effet non pas d’ouvrir vers une recherche appuyée sur le savoir inconscient du demandeur mais avant tout de défendre le professionnel des « attaques judiciaires » de ses patients.(tout est en règle il était prévenu !).
« Mettre l’usager au centre du dispositif » revient dans nos structures à fabriquer un leurre pour passer sans encombre de la prise en compte psychopathologique d’une souffrance humaine à l’organisation d’un système de consommation de soin psychique avec en mirage le concept de « bonne santé mentale » défini par l’OMS et révisé en 2001 :
« La santé est un état de complet bien être physique mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité »
On doute qu’une telle définition, agréée par 191 membres de l’OMS, fasse baisser les files d’attente.
Dans le même temps, on culpabilise les patients du coût de la sécurité sociale tout en les infantilisant par une médiatisation exacerbée du « tout psy » au plus près de l’intime , voire de l’ exhibition de l’ humiliation de tragédies humaines.
Ces affirmations et injonctions procèdent de quelle logique économique ?
Peut on encore croire qu’il s ‘agit de diminuer les coûts de la sécurité sociale…ou au contraire d’augmenter les « flux » de consommateurs de soin et faire exploser les structures dans un marché très prisé.
A qui profitera cette ouverture ?
*************
Ponctuation informative de J.P Bride (Psychiatrie de secteur en côte d’Armor),
Bien au fait de l’importance des réunions de synthèses quand elles engagent le clinicien, Jean Paul Bride nous alerte sur la situation désastreuse des hôpitaux dont la gestion va à l’encontre de toute préoccupation humaine et dans les sens inverse du développement précédent.
Les conséquences financières du blocage financier du coefficient directeur ont en effet de nombreuses répercussions cliniques :
-Départs en retraite non remplacés, passage des professionnels des CMP vers l’Hôpital pour « soutenir » le manque d’effectif, entraînant une diminution drastique des consultations ambulatoires et à terme le risque d’une suppression de plusieurs CMP sur l’Ouest du seul département des Côtes d’Armor.
Pour les patients ceci signifie en clair, l’impossibilité de s’adresser à un service public, sauf à attendre un temps un temps considérable dans les CMP restants et un abandon de soin pour ceux qui n’auront pas les moyens de se déplacer régulièrement.
-Les arrêts de maladie se multiplient , non remplacés .
-Plus grave surtout, des mineurs se retrouvent faute de place en services adultes avec tous les risques de dérapage :abus sexuels, toxicomanie…
L’expérimentation du PMSI(programme de médicalisation des systèmes d’information) en psychiatrie ou VAP (valorisation en psychiatrie) non seulement met en cause le temps nécessaire à chaque patient (il s’agit de mesurer minute par minute le temps réservé à chacun, y compris en réunion de synthèse, pour en déduire l’activité et les ressources de chaque établissements) mais remet en cause la confidentialité même des prises en charge. Comme le DMP informatisé(dossier médical personnel)
Dans le même sens, le rapport « Benisti » veut transformer le secret médical en « secret partagé » entre les parents, le pédiatre, l’école et la police des la maternelle pour « prévenir la délinquance »… Ce rapport est suivi de celui de M.T Hermange, sénateur de Paris et Luc Rudolph, Inspecteur général de la police Nationale le 1er Mars 2005…pour la sécurité des mineurs.
La traçabilité est aujourd’hui de mise des la maternelle .
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Roland Gori répond aux précédents intervenants et fait le lien avec ses travaux .
L’ introduction peut se résumer simplement : Comment en est on arrivé là ?
C’est dans une perspective anthropologique qu’il resitue le bouleversement actuel de la place du sujet dans la culture occidentale que nous connaissons aujourd’hui.
Développant l’essai sur la « médicalisation de l’existence », Roland Gori reprend, la trame du travail réalisé avec Marie José Del Volgo selon trois références
La norme, ce n’est pas simplement, ce n’est même pas un principe d’intelligibilité, c’est un élément à partir duquel un certain exercice du pouvoir se trouve fondé et légitimé. ”-
1 «… La médecine en luttant rationnellement et scientifiquement contre les maladies a mis en réserve le malade et plus particulièrement son corps érogène dont le fait psychique constitue la représentation essentielle…Il y a des maladies qui parlent, qui ne se résument pas à une analyse médico-biologique et dont les symptômes obéissent aux lois de la parole, du langage et du discours…. Des lors que la psychanalyse a pu élaborer une théorie cohérente de la réalité psychique et des pratiques qu’elle requiert, elle s’est progressivement vouée à prendre en charge la souffrance psychique et y compris celle que les maladies organiques imposent aux sujets malades…
2-«… La médecine ne s’est pas contentée de devenir scientifique et expérimentale dans la prise en charge des pathologies individuelles. A partir du XVIIe siècle, elle a étendu à l’infini son pouvoir social de civilisation normalisatrice des mœurs, des conduites et des comportements.
La frontière entre la santé et la maladie s’est trouvée déplacée jusqu’à étendre le magister médical au contrôle des styles de vie… A la fin du XIXe siècle, la médecine participe à la fabrication d’un nouveau territoire qui va s’accroître sans cesse, celui de la santé psychique et morale…
C’est un corps à la fois libre et sécurisé à l’image des autres biens qui se trouve mis à la disposition des propriétaires destinés à en jouir de manière raisonnable, normée, libre et surtout rentable. »
3-« …Cette civilisation médicale du corps avait produit un reste nécessitant des thérapeutiques du « souci de soi » irréductibles à ce régime de savoir et de pouvoir.
C’est de ce reste qu’est née la Psychanalyse et toute la culture de la deuxième moitié du XXe siècle s’est trouvée innervée par des théories revendiquant une place tant pour le sujet politique que pour le sujet de l’inconscient…
Or actuellement le néolibéralisme dans les logiques de santé, en particulier celles de la santé mentale tente de réduire ce reste de la logique iatrique et consumériste en le réduisant à un comportement…ce jusque dans l’ épreuve tragique des maladies organiques et douloureuses.
Le sujet devient soluble dans le comportement, des lors que celui-ci se trouve conçu comme le produit modélisé comme une entreprise. Le corps devient une partie du capital dont dispose l’individu transformé en « entrepreneur de lui même » pour reprendre Michel Foucault. »
« Tandis que l’individu disparaît devant l’appareil qu’il sert, il est pris en charge mieux que jamais par cet appareil même »
Cette conception médico-économique du corps heurte de plein fouet la démarche freudienne assumant la promotion du symptôme au delà de toute prétention à la causalité.
Le savoir conçu comme un montage mathématique de calcul de risque et de profit se trouve à l’interface de ces trois thèse posées ici à l’emporte pièce.
Dans notre ouvrage, les exemples quotidiens et la clinique issue de nos pratiques tentent d’amender la rudesse de cette présentation en lui restituant la chair de nos pratiques »
question de la salle :
« Mais alors, devant ces attaques répétées contre la psychanalyse et même la transmission de la Psychopathologie clinique à l’Université pour y substituer des ersatz de pratiques dites scientifiques et évaluationnistes quelles ouvertures peut on espérer ? »
Réponse de Roland Gori :
« Aujourd’hui ce ne semble pas être du côté de la formation des psychiatres qu’une attente se dessine, par contre, ce qui peut paraître paradoxal mais ne l’est pas, c’est du côté de la médecine générale et des spécialités très pointues sur le plan organique qu’une demande se précise nettement : « comment parler au malade de sa maladie, quels sont les effets de ce qu’on lui dit, comment écouter ce qu’il a à nous dire de sa souffrance et de son angoisse » telles sont quelques questions que des médecins ou des soignants parfois en analyse, amènent sur le divan ou en formation.
Plus les techniques instrumentales évoluent plus le médecin se trouve pris au dépourvu face au psychisme du malade et à sa parole… »
A une autre question de la salle « Est ce du seul fait des médecins ? » Roland Gori précise :
« Bien sûr que non !Il ne s’agit en aucun cas de diaboliser un métier ou un autre : un psychologue peut tout autant être plus médical dans ses réponses et les dossiers qu’il constitue, qu’un médecin qui sait écouter la souffrance de son patient.
Il ne s’agit pas non plus de nier l’apport de la recherche pharmaceutique qui a permis entre autre à des psychotiques de sortir de l’hôpital, de s’insérer socialement, et de construire avec qui sait l’écouter, les nouages qui permettent de penser sa vie.
Il s’agit de repérer une logique totalitaire médicalisante et son glissement de plus en plus effréné vers le consumérisme et la norme comportementale… »
******************************
Ponctuation informative de Jean-Yves Biteau.
Jean Yves Biteau vient illustrer brièvement et avec un humour tragico-comique les propos précédents par une revue de presse : « Actualités d’un monde nouveau, standardisé et évalué »
Nous ne reprendrons ici que les titres :
-« La peau des tout-petits menacés par l’eczéma- Jean François Stadler »( le Monde 30/03/05)
-« éduquer, une mission de santé » de Dominique Jammet (Bulletin de l’ALP(Agence Lacanienne de Presse), mai 2005)
-« Améliorer le sommeil malmené de l’adolescent -Michaëla Bobaski »(Le Monde 06/ 04 /05)
-« Psychothérapeute invitée d’Hygiène de vie » (Ouest France 13/05/05)
-« Enfants des crèches, évaluons notre salive- Jacques Borie » (Bulletin de l’ALP concernant le CHU de St Etienne et les propos du Dr Berger édité par Dunod : « L’échec de la protection de l’enfance »
-« Histoire d’un refus –Professeurs Bursztejn ,Golse, Houzel » Volume 46 de la Psychiatrie de l’Enfant éditée au PUF concernant le rapport INSERM sensé évaluer les psychothérapies et le retrait du texte du Professeur Houzel sans que son auteur en ait été averti.
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Après d’autres questions de la salle, nous reprendrons pour conclure cette écrit visionnaire de Claude Levi- Strauss en 1955, cité par R. Gori :
« L’humanité s’installe dans la monoculture ; elle s’apprête à produire la civilisation en masse, comme la betterave. Son ordinaire ne comportera plus que ce plat »
Etienne Rabouin
Médicalisation du XXIe siècle - Table ronde organisée par le Comité de vigilance des CMPP de l'Ouest. Le patient est quelqu'un ? Entre protocoles standardisés, évaluations et judiricisation.
Brest 4 Juin 2005