Commentant dans le journal Libération l’avant projet de décret d’application paru le 7 avril, M. Xavier Bertrand se réjouit de constater que les « psys » qu’il a consultés étaient prêts à « jouer le jeu » pour aboutir à un texte définitif.
A l'évidence, c’est plutôt en brandissant le carton rouge que les psys ont modifié la partie qui se joue actuellement. Leur mobilisation (grâce en particulier à l’initiative du site oedipe.org) a eu un premier effet: celui de faire disparaître du cahier des charges la liste exhaustive des quatre psychothérapies d'État, « validées scientifiquement », ainsi que les dispositions transitoires. Mais ne nous y trompons pas. Ce qui reste le fond et la contradiction de l'article 52 de la loi du 9 août 2004 demeure. Comme demeure, en dépit des dénégations de la DGS, l'institution d'une nouvelle profession, plutôt un nouveau métier de niveau licence: le métier de psychothérapeutes de santé (formés cette fois dans un cycle court à l'université ou au sein d'écoles privées), qui entre en concurrence avec la profession de psychologue sous sa forme actuelle.
A ce sujet la proposition de Xavier Bertrand de mettre en place un groupe de travail pour examiner le soi disant malaise des psychologues en quête d’une place au sein du système de santé, ne présage rien de bon quand cette proposition s’accompagne de la référence au Plan Psychiatrie et Santé Mentale. Rappelons les deux remèdes que ce Plan prétend apporter : en premier lieu, modifier à notre formation initiale en créant un nouveau diplôme : un Master Clinique et thérapeutique, sans doute conforme aux visées du dit Plan, et en second lieu, rallier les psychologues au bien fondé de la diffusion de « bonnes pratiques ». (Cf. à ce sujet, mon article paru dans L'Anti-livre noir de psychanalyse : « Quand les Tcc sont érigées en politique nationale de santé mentale).
Pour revenir à cette seconde mouture, allégée il est vrai, nous retrouvons donc la contradiction de la loi du 9 août 2004 et l'équivoque entre les "professionnels inscrits de droit" (médecins, psychologues, psychanalystes inscrits sur un annuaire), "les professionnels autres" que sont les psychothérapeutes qui sont ni médecins, ni psychologues, ni psychanalystes: ceux-ci doivent faire état de "formations dans le domaine de la pratique de psychothérapies" (le pluriel est à souligner).
Cette question de la formation est reprise dans le section II: "Formation minimale commune théorique et pratique en psychopathologie clinique". Il faut préciser qu'elle entend appliquer le dernier alinéa de l'article 52 que je rappelle ici:
"Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application du présent article et les conditions de formation théoriques et pratiques en psychopathologie clinique que doivent remplir les personnes visées aux deuxième et troisième alinéas."
Les personnes du 2°alinéa sont "les professionnels" inscrits sur la liste départementale et qui doivent mentionner "les formations" qu'ils ont suivies . Celles du 3° alinéa en question sont les médecins, les psychologues et les psychanalystes qui sont inscrits de droit (donc sans que soient précisées leurs formations: tout cela est confus quand on relit cet article 52!)
Bizarrement la section II sur la formation paraît s'appliquer uniquement aux "professionnels" ni-ni (les psychothérapeutes), alors que, selon l'article 52, elle peut s'étendre à l'ensemble des "professionnels" qui souhaitent faire usage du titre de psychothérapeute. A savoir également: les médecins, les psychologues, les psychanalystes, les psychothérapeutes.
Le cahier des charges de cette formation "minimale commune" est établi par le Ministère de la Santé seul. Elle sera donc nécessairement médicale. (Exit l'Éducation nationale). Elle aura pour but d’appliquer la ligne directrice du Plan psychiatrie et santé mentale: imposer la pluri-référence et par là, les neurosciences et les Tcc, ouvrant ainsi la voie aux "bonnes pratiques" : celles des protocoles évaluables au nom de la qualité des soins, selon les standards de l'H.A.S.
Donc:
- soit cette formation minimale ne concerne que les "psychothérapeutes" et ce nouveau métier de santé (qui vise entre autres les infirmiers et les travailleurs sociaux) fournira ces "accompagnants en santé mentale" que Xavier Bertrand avait appelés de ses vœux, suivant en cela les recommandation des experts de la M.N.A.S.M (cf. les rapports Piel-Roelandt, Massé , et compagnie).
- soit cette formation concerne également les médecins, les psychologues, les psychanalystes qui seront enrôlés pour cette même fonction dans laquelle la dimension de la psychothérapie est ravalée, fondue dans un ensemble de techniques de rééducations, d'adaptation, d'"habilitation" et de normalisation sociales, prescrites sur le modèle médical par les protocoles standards des parcours de soins en santé mentale (cf. le rapport Cléry-Melin et Convention CNAM octobre 2005).
Dans un cas comme dans l'autre, même allégé, ce dernier projet de Décret conserve tout sa capacité de nuisance, particulièrement pour le devenir de notre profession comme de nos pratiques. Il resterait à abroger cette loi contradictoire et donc inapplicable qui en est à l'origine.
En attendant, comme je l'ai déjà écrit, pour moi, il ne s'agit pas d'"améliorer" le texte mais de réduire autant que possible ses effets pervers. Pour ce qui nous concerne j'en vois deux:
-la disparition à terme de notre formation initiale au profit d’une nouvelle formation "minimale" propre à formater un nouveau métier para-médical de "psychothérapeutes" et d’un nouveau Master clinique sur le mode de la psychologie médicale organiciste au service des neurosciences, l’un et l’autre répondant à la politique actuelle de santé mentale normalisatrice et hygiéniste voulue par les experts de la DGS en matière de santé mentale (Académie de médecine, études de l’Inserm, FFP)
-la disparition de l'autonomie de notre pratique et du libre choix de notre orientation.
L'article 52 ne dit rien des psychothérapies, et ceci est une conséquence du rejet de l’amendement Accoyer dont il faut se féliciter. Il s'en tient à "l'usage du titre de psychothérapeute" sous condition d'un formation théorique et pratique en psychopathologie clinique. Comme je le rappelais, d'un point de vue tactique et stratégique, et pour nous en tenir à la loi du 9 août 2004, nous avons à affirmer que cette formation est déjà celle des psychologues cliniciens, qui dans leur cursus, prennent connaissance des différentes approches. Dans ce cursus, et au-delà de leur formation initiale, nous avons à faire reconnaître le droit qui est le leur de choisir leur orientation freudienne. Nous avons enfin à rappeler également la nécessaire autonomie de leur profession et sa spécificité : celle d’être non résorbable dans le champ médical, ni dans celui de la normalisation sociale. Un point c'est tout, au plan de l'Etat.
Comme l'a formulé à plusieurs reprises Jean-François Cottes, le reste, c'est-à-dire la dimension thérapeutique de leur acte, est affaire d'éthique
Michel Normand
Membre de l’Association des psychologues Freudiens
et de l’InterCoPsychos
Texte paru le 13 avril sur le site de Psychologues freudiens et dans Instantanés de l’InterCoPsychos N°180
A l'évidence, c’est plutôt en brandissant le carton rouge que les psys ont modifié la partie qui se joue actuellement. Leur mobilisation (grâce en particulier à l’initiative du site oedipe.org) a eu un premier effet: celui de faire disparaître du cahier des charges la liste exhaustive des quatre psychothérapies d'État, « validées scientifiquement », ainsi que les dispositions transitoires. Mais ne nous y trompons pas. Ce qui reste le fond et la contradiction de l'article 52 de la loi du 9 août 2004 demeure. Comme demeure, en dépit des dénégations de la DGS, l'institution d'une nouvelle profession, plutôt un nouveau métier de niveau licence: le métier de psychothérapeutes de santé (formés cette fois dans un cycle court à l'université ou au sein d'écoles privées), qui entre en concurrence avec la profession de psychologue sous sa forme actuelle.
A ce sujet la proposition de Xavier Bertrand de mettre en place un groupe de travail pour examiner le soi disant malaise des psychologues en quête d’une place au sein du système de santé, ne présage rien de bon quand cette proposition s’accompagne de la référence au Plan Psychiatrie et Santé Mentale. Rappelons les deux remèdes que ce Plan prétend apporter : en premier lieu, modifier à notre formation initiale en créant un nouveau diplôme : un Master Clinique et thérapeutique, sans doute conforme aux visées du dit Plan, et en second lieu, rallier les psychologues au bien fondé de la diffusion de « bonnes pratiques ». (Cf. à ce sujet, mon article paru dans L'Anti-livre noir de psychanalyse : « Quand les Tcc sont érigées en politique nationale de santé mentale).
Pour revenir à cette seconde mouture, allégée il est vrai, nous retrouvons donc la contradiction de la loi du 9 août 2004 et l'équivoque entre les "professionnels inscrits de droit" (médecins, psychologues, psychanalystes inscrits sur un annuaire), "les professionnels autres" que sont les psychothérapeutes qui sont ni médecins, ni psychologues, ni psychanalystes: ceux-ci doivent faire état de "formations dans le domaine de la pratique de psychothérapies" (le pluriel est à souligner).
Cette question de la formation est reprise dans le section II: "Formation minimale commune théorique et pratique en psychopathologie clinique". Il faut préciser qu'elle entend appliquer le dernier alinéa de l'article 52 que je rappelle ici:
"Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application du présent article et les conditions de formation théoriques et pratiques en psychopathologie clinique que doivent remplir les personnes visées aux deuxième et troisième alinéas."
Les personnes du 2°alinéa sont "les professionnels" inscrits sur la liste départementale et qui doivent mentionner "les formations" qu'ils ont suivies . Celles du 3° alinéa en question sont les médecins, les psychologues et les psychanalystes qui sont inscrits de droit (donc sans que soient précisées leurs formations: tout cela est confus quand on relit cet article 52!)
Bizarrement la section II sur la formation paraît s'appliquer uniquement aux "professionnels" ni-ni (les psychothérapeutes), alors que, selon l'article 52, elle peut s'étendre à l'ensemble des "professionnels" qui souhaitent faire usage du titre de psychothérapeute. A savoir également: les médecins, les psychologues, les psychanalystes, les psychothérapeutes.
Le cahier des charges de cette formation "minimale commune" est établi par le Ministère de la Santé seul. Elle sera donc nécessairement médicale. (Exit l'Éducation nationale). Elle aura pour but d’appliquer la ligne directrice du Plan psychiatrie et santé mentale: imposer la pluri-référence et par là, les neurosciences et les Tcc, ouvrant ainsi la voie aux "bonnes pratiques" : celles des protocoles évaluables au nom de la qualité des soins, selon les standards de l'H.A.S.
Donc:
- soit cette formation minimale ne concerne que les "psychothérapeutes" et ce nouveau métier de santé (qui vise entre autres les infirmiers et les travailleurs sociaux) fournira ces "accompagnants en santé mentale" que Xavier Bertrand avait appelés de ses vœux, suivant en cela les recommandation des experts de la M.N.A.S.M (cf. les rapports Piel-Roelandt, Massé , et compagnie).
- soit cette formation concerne également les médecins, les psychologues, les psychanalystes qui seront enrôlés pour cette même fonction dans laquelle la dimension de la psychothérapie est ravalée, fondue dans un ensemble de techniques de rééducations, d'adaptation, d'"habilitation" et de normalisation sociales, prescrites sur le modèle médical par les protocoles standards des parcours de soins en santé mentale (cf. le rapport Cléry-Melin et Convention CNAM octobre 2005).
Dans un cas comme dans l'autre, même allégé, ce dernier projet de Décret conserve tout sa capacité de nuisance, particulièrement pour le devenir de notre profession comme de nos pratiques. Il resterait à abroger cette loi contradictoire et donc inapplicable qui en est à l'origine.
En attendant, comme je l'ai déjà écrit, pour moi, il ne s'agit pas d'"améliorer" le texte mais de réduire autant que possible ses effets pervers. Pour ce qui nous concerne j'en vois deux:
-la disparition à terme de notre formation initiale au profit d’une nouvelle formation "minimale" propre à formater un nouveau métier para-médical de "psychothérapeutes" et d’un nouveau Master clinique sur le mode de la psychologie médicale organiciste au service des neurosciences, l’un et l’autre répondant à la politique actuelle de santé mentale normalisatrice et hygiéniste voulue par les experts de la DGS en matière de santé mentale (Académie de médecine, études de l’Inserm, FFP)
-la disparition de l'autonomie de notre pratique et du libre choix de notre orientation.
L'article 52 ne dit rien des psychothérapies, et ceci est une conséquence du rejet de l’amendement Accoyer dont il faut se féliciter. Il s'en tient à "l'usage du titre de psychothérapeute" sous condition d'un formation théorique et pratique en psychopathologie clinique. Comme je le rappelais, d'un point de vue tactique et stratégique, et pour nous en tenir à la loi du 9 août 2004, nous avons à affirmer que cette formation est déjà celle des psychologues cliniciens, qui dans leur cursus, prennent connaissance des différentes approches. Dans ce cursus, et au-delà de leur formation initiale, nous avons à faire reconnaître le droit qui est le leur de choisir leur orientation freudienne. Nous avons enfin à rappeler également la nécessaire autonomie de leur profession et sa spécificité : celle d’être non résorbable dans le champ médical, ni dans celui de la normalisation sociale. Un point c'est tout, au plan de l'Etat.
Comme l'a formulé à plusieurs reprises Jean-François Cottes, le reste, c'est-à-dire la dimension thérapeutique de leur acte, est affaire d'éthique
Michel Normand
Membre de l’Association des psychologues Freudiens
et de l’InterCoPsychos
Texte paru le 13 avril sur le site de Psychologues freudiens et dans Instantanés de l’InterCoPsychos N°180