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AUBEL J.P., BOISSENIN P., JANVION G.: Les psychologues et la psychothérapie


Rédigé le Mardi 2 Décembre 2003 à 00:00 | Lu 264 commentaire(s)


Une contribution de


Le récent vote de l'amendement Accoyer, dans l'article 18 quater (nouveau) du code de la santé publique veut encadrer par la loi l'exercice des psychothérapies, les catégories de psychothérapie et ceux qui les mettront en oeuvre. Ce cadre légal veut combler un vide juridique face à l’exercice des psychothérapies, selon Accoyer, l'auteur de l'amendement.
Bernard Kouchner s'était déjà essayé à cet exercice sans succès d'ailleurs.

Les constats

Jusqu'à ce jour, la psychothérapie n'était pas encadrée par la loi. Historiquement cette fonction était attribuée aux confesseurs et aux médecins. La société moderne faisant apparaître de nouveaux besoins, a vu naître une multitude de psychothérapeutes qui proposent des psychothérapies variées, d’une qualité très inégale. Nous pouvons en dresser un catalogue : médecins, psychiatres, psychologues, psychanalystes, psychothérapeutes… et les autres. Ces acteurs relèvent de champs variés : la médecine, la psychologie, la psychanalyse, la psychosociologie, l'ésotérisme … et ont des formations variées.

Nous aurons donc le médecin et le psychiatre attestant d’une formation essentiellement médicale et peu psychologique, dont la consultation sera remboursée par la sécurité sociale; le psychanalyste (parfois, médecin ou psychologue mais pas exclusivement) formés dans des « écoles » analytiques ayant leur propre système de formation; le psychologue libéral ou travaillant en institution (prestations non remboursées), lui aussi attestant d'une formation de haut niveau universitaire ; « divers travailleurs » ( prestations non remboursées, lui aussi) sans formation universitaire mais issu de formation de type social ou autre; enfin des personnes qui se sont découvertes un don qu'ils tenaient de leur mère ou de leur grand-père… ou de Dieu. Les pages jaunes sont le témoin de tout cela. Cela montre bien une diversité de personnes exerçant des psychothérapies toutes aussi diverses. Les psychothérapies peuvent être réalisées par des personnes solidement formées par un cursus universitaire, par des gens formés à la psychothérapie sans formation universitaire ou par des gens formés ni à l’un ni à l’autre mais avec une formation ésotérique.

Les psychothérapies sont demandées par le public (cf. rapport Piel Roelandts). Nous pouvons affirmer que les psychothérapies sont souhaitées par le public et que beaucoup sont très bien considérées. Elles sont théorisées à partir de plusieurs champs : les colloques témoignent de cette diversité des champs théoriques et ils réunissent souvent des psychologues, des psychiatres, des médecins, des psychanalystes, des travailleurs sociaux, des infirmiers psychiatriques. Les psychothérapies sont pratiquées avant tout dans les cabinets libéraux et, de plus en plus, dans les hôpitaux à côté de soins médicaux ou psychiatriques. En libéral, les psychothérapies réalisées par les médecins et psychiatres sont remboursées par la sécurité sociale ; en revanche, celles réalisées par tous les autres ne le sont pas.

Les problématiques soulevées par l'avènement de cet amendement.

L’amendement Accoyer encadre l’exercice des psychothérapies mises en œuvre par les médecins, psychiatres et psychologues et structure des catégories de psychothérapies. Ainsi, la loi veut mettre de l’ordre, protéger les citoyens contre les dérives sectaires : c’est le motif principal présenté et relayé par les médias et les professionnels eux- mêmes. Et en effet aucun citoyen ne peut raisonnablement s’opposer à ce motif principal: mais la question est plus complexe !

Nous regrettons, d’abord, dans l’élaboration de cette loi, le manque de concertation. Cet amendement fait irruption : il est voté sans concertation, sans débat préalable avec l’ensemble des organisations, des institutions et des acteurs qui proposent des psychothérapies. La démocratie voudrait que les débats aient lieu avant la promulgation de la loi ; mais nous observons que la loi se change en outil de pouvoir pour une corporation qui veut accroître un territoire déjà bien fortifié et bien rétribué.

D’autre part, nous constatons que le motif principal évoqué par l’auteur sert d’écran de fumée pour masquer d’autres effets tout aussi interrogeants.

La définition proposée par la loi, a indiqué que « les psychothérapies sont des outils thérapeutiques des troubles mentaux ». Cette loi, en donnant une définition réductrice et pharmaco-centriste de la psychothérapie, mise au niveau d’une pilule à absorber pour remettre le travailleur sur pied, vient définir et donner un territoire supplémentaire au médecin et déposséder un certain nombre de professionnels d’un champ d’exercice, d’un métier et d’un revenu. Nous pouvons affirmer que cette loi est issue d'une vision pharmaco-médico-centrée.

C'est une définition médicale de la psychothérapie. La psychothérapie ne peut être réduite à ce seul champ d'exercice puisqu’elle est pratiquée par un ensemble de professionnels plus nombreux que les médecins qui se référent à d’autres champs : psychologiques, philosophiques, anthropologiques et psychanalytique. Il s'avère que cette définition inscrite dans la loi fait suite à deux rapports issus du milieu médical : le rapport Allilaire et le rapport Clèry-Melin.

Donc, nous constatons que les rapports laissent entendre que les psychothérapies pourraient être prescrites comme on prescrit un médicament. Nous assistons là, à une instrumentalisation de la psychothérapie comme un outil supplémentaire au service de la médecine. La loi affirme que « leur mise en œuvre ne peut relever que de médecins, psychiatres ou de psychologues ayant les qualifications …» : les psychologues sont associés aux médecins pour mettre en oeuvre les psychothérapies. Nous regrettons cette collaboration que nous n'avons pas souhaitée ni élaborée conjointement et qui prive le psychologue de son autonomie professionnelle jusque là reconnue (Cf. loi de 1985).
Ainsi nous nous dirigeons vers une annexion au champ médical et psychiatrique du champ de la vie psychique et de la psychologie mais aussi de la psychanalyse et de la psychothérapie en général, dans une forme d’assimilation. Il nous semble utile d’aborder les conséquences de cette « assimilation-réduction » du psychologique au biologique : l’action du psychologue est présentée comme passant par les mêmes voies, les mêmes temps que le médical : plainte/examen/bilan/thérapie ; or dans la rencontre entre le psychologue et son patient, s’amorce dès les premiers instants une relation qui ne peut être réduite à ce schéma : le processus psychothérapique est un continuum; jugeant de ses compétences, de la qualité du transfert, de la nature pathologique ou non des problèmes, … seul le psychologue pourra juger de l’opportunité d’une psychothérapie, du moment où le demandeur sera prêt à la suivre, si elle se fera avec lui on non, etc.. Au lieu d'accepter la différence constructive des divers champs au service de l'usager, comme cela est visible dans les pratiques psychothérapeutiques actuelles, le champ médical tente d'accroître son espace en absorbant l'espace même de ce qui fonde l'intervention des psychologues, des psychanalystes ou des psychothérapeutes, l’espace psychique du sujet. Cette intronisation des psychothérapies dans le champ médical apparaît au moment d'ailleurs où les psychiatres sensibles à une approche psychothérapeutique, voient leur nombre diminuer. Elle avait ouvert le champ médical à d’autres champs, la psychanalyse, la psychologie et la philosophie et l’anthropologie. Cela permettait des intersections, des rencontres à tel ou tel moment entre des conceptions différentes de la santé et du bien-être de la personne selon les arguments que développe G fourcher, psychologue et philosophe.[1] Cette approche analytique des psychiatres est devenue « résistante » face aux nouvelles approches plus gestionnaires, plus programmatiques.

Nous devons donc voir le signe que l’action du psychologue lui sera prescrite. La para médicalisation, tant voulu par certains médecins chefs (psychiatres) pour combler leur envie de tout contrôler, sera alors effective.

Nous notons avec stupéfaction que la rencontre et la coopération très efficaces et cordiales des psychologues avec les psychiatres cliniciens, parmi ceux qui ne revendiquent pas le pouvoir hiérarchique, sont battues en brèche par ces enjeux de pouvoir. Au lieu d’une relation de coopération, c’est une relation de domination qui est imposée par la loi. Ce sont deux façons de faire qui s’opposent : à l'espace du soin qui tablait sur le temps de l'élaboration psychique d'un sujet, est préféré un programme de soin dont le temps est calculé en argent, contrôlé, évalué de l'extérieur par des experts gestionnaires.
La loi est alors une instrument du pouvoir d’un petit nombre et non plus une fonction régulatrice des échanges multiples entre les citoyens et leurs organisations.

Le regard des psychologues sur les psychothérapies.

Bien que les législateurs expriment peu leur volonté de débattre de cette question des psychothérapies, nous proposons notre définition des psychothérapies.

Nous attestons que les racines de la définition de la psychothérapie sont multiples. La psychothérapie puise ses racines dans des champs conceptuels tels que la psychologie, la philosophie, l’anthropologie, la psychanalyse. Pour nous les psychologues, la psychothérapie dans sa définition psychologique se réfère à l'approche relative aux sciences humaines et à sa construction dans l’histoire.

Elle est, selon une définition de Jean-Louis Queheillard, psychologue, « un moyen par lequel, par une rencontre, on se propose d'amener un sujet à la transformation de son psychisme et par la suite à l'abandon de ses symptômes » et à l’apaisement de sa souffrance psychique. Cette action psychothérapeutique du psychologue dans le champ de la parole aide à donner du sens au mal-être, dans un temps plus ou moins long incompatible avec une gestion technocratique du temps. On voit que cette définition recouvre un domaine bien plus vaste que celui du « soin psychologique », auquel on a recours dans les cas de troubles mentaux qualifiés.

Pour nous, psychologues, la conduite de la psychothérapie requiert plusieurs conditions :

· une formation universitaire de haut niveau relative à l’étude du psychisme, à son développement, à ses fixités, à ses capacités de remaniements dans une économie globale de la personne et s’appuyant sur une analyse critique (dimension recherche) des théories cliniques utilisées ;

· une formation personnelle par une connaissance approfondie de son propre psychisme ;

· un contrôle continu de l’action du psychothérapeutique par des tiers formés à cela.

· une formation théorique continuellement réactualisée.


12 NOV 2003

Aubel J P, adhérent snp
Boissenin P, adhérent snp
Janvion G, adhérent snp
Minervini G , adhérent snp




1 Article paru dans le Journal des Psychologues.



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