Entretien avec Roland Gori, psychanalyste et professeur de psychopathologie à l'université d'Aix-Marseille
En tant que psychanalyste et professeur de psychopathologie à l'université d'aix-marseille, que vous inspire le rapport de l'inserm ?
Du dégoût. Ce rapport se présente comme scientifique mais ne l'est pas. Tout est mélangé, on passe des troubles à la souffrance... La psychothérapie, c'est une nébuleuse. Tout n'est pas comparable et on fait semblant de pouvoir comparer. Au début, on lit qu'il est difficile d'évaluer, et on évalue quand même. Et la manière de poser la question, en termes d'évaluation, d'efficacité et de critères purement comportementaux, détermine déjà la réponse. Sous un biais méthodologique, ce n'est qu'un discours pseudo scientifique qui légitime l'idéologie à la mode, hygiéniste et sécuritaire. Il faut que tout soit transparent, rentable, socialement et politiquement correct. On assiste à une médicalisation scandaleuse de la souffrance psychique qui vise à faire croire aux patients qu'ils sont responsables de leurs troubles et qu'on va les guérir par le dressage.
Vous voulez parler des thérapies cognitivo-comportementales (TCC) ? Le rapport les juge pourtant efficaces...
Les TCC, c'est un dressage éducatif, pavlovien, qui amène les gens à modifier leur comportement. En cas d'anorexie, par exemple, on dresse les gens à segmenter leurs aliments pour en prendre un peu plus à chaque fois. J'ai eu un patient soigné par TCC pour des obsessions : on le plongeait dans des situations dont il avait peur, comme affronter la foule. On ne se demande pas ce qu'un symptôme veut dire. On est dans la soumission librement consentie. Et politiquement, c'est dangereux : il suffit de se reporter aux travaux d'Hannah Arendt ou de Michel Foucault. Il ne s'agit pas d'aider les gens à soulager leurs souffrances. On ne s'interroge pas sur ce en quoi la culture, l'environnement, le passé familial... peuvent concourir à l'apparition d'un symptôme.
Contrairement à la psychanalyse ?
Le patient arrive avec des symptômes et il s'aperçoit, au fil de la thérapie, que ceux-ci ne sont que l'écran sur lequel il projette un malaise intérieur. La psychanalyse ne répare pas son histoire mais lui permet d'en faire le deuil. La pratique thérapeutique n'est pas une technique médicale, il est donc difficile de l'évaluer.
Or, dans ce rapport de l'Inserm, une structure où il n'y a pas de psychanalystes, on voit qu'il s'agit de ramener la psychopathologie et la psychiatrie sous protectorat médical. Par une manœuvre rhétorique, on montre l'efficacité des TCC, dont on fait l'apologie, à faire entrer la souffrance dans le champ médical. C'est une machine de guerre contre la psychanalyse. Avec, derrière, des arrière-pensées économiques : s'emparer du marché juteux de la santé mentale. On veut former des gens à faire de l'expertise des comportements, un relevé des troubles, pour prescrire des psychotropes. Ce rapport n'est que l'annonciation de ce qu'Elizabeth Roudinesco appelle "l'homme comportemental".
Propos recueillis par Delphine Saubaber
ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 26.02.04
Le Monde
En tant que psychanalyste et professeur de psychopathologie à l'université d'aix-marseille, que vous inspire le rapport de l'inserm ?
Du dégoût. Ce rapport se présente comme scientifique mais ne l'est pas. Tout est mélangé, on passe des troubles à la souffrance... La psychothérapie, c'est une nébuleuse. Tout n'est pas comparable et on fait semblant de pouvoir comparer. Au début, on lit qu'il est difficile d'évaluer, et on évalue quand même. Et la manière de poser la question, en termes d'évaluation, d'efficacité et de critères purement comportementaux, détermine déjà la réponse. Sous un biais méthodologique, ce n'est qu'un discours pseudo scientifique qui légitime l'idéologie à la mode, hygiéniste et sécuritaire. Il faut que tout soit transparent, rentable, socialement et politiquement correct. On assiste à une médicalisation scandaleuse de la souffrance psychique qui vise à faire croire aux patients qu'ils sont responsables de leurs troubles et qu'on va les guérir par le dressage.
Vous voulez parler des thérapies cognitivo-comportementales (TCC) ? Le rapport les juge pourtant efficaces...
Les TCC, c'est un dressage éducatif, pavlovien, qui amène les gens à modifier leur comportement. En cas d'anorexie, par exemple, on dresse les gens à segmenter leurs aliments pour en prendre un peu plus à chaque fois. J'ai eu un patient soigné par TCC pour des obsessions : on le plongeait dans des situations dont il avait peur, comme affronter la foule. On ne se demande pas ce qu'un symptôme veut dire. On est dans la soumission librement consentie. Et politiquement, c'est dangereux : il suffit de se reporter aux travaux d'Hannah Arendt ou de Michel Foucault. Il ne s'agit pas d'aider les gens à soulager leurs souffrances. On ne s'interroge pas sur ce en quoi la culture, l'environnement, le passé familial... peuvent concourir à l'apparition d'un symptôme.
Contrairement à la psychanalyse ?
Le patient arrive avec des symptômes et il s'aperçoit, au fil de la thérapie, que ceux-ci ne sont que l'écran sur lequel il projette un malaise intérieur. La psychanalyse ne répare pas son histoire mais lui permet d'en faire le deuil. La pratique thérapeutique n'est pas une technique médicale, il est donc difficile de l'évaluer.
Or, dans ce rapport de l'Inserm, une structure où il n'y a pas de psychanalystes, on voit qu'il s'agit de ramener la psychopathologie et la psychiatrie sous protectorat médical. Par une manœuvre rhétorique, on montre l'efficacité des TCC, dont on fait l'apologie, à faire entrer la souffrance dans le champ médical. C'est une machine de guerre contre la psychanalyse. Avec, derrière, des arrière-pensées économiques : s'emparer du marché juteux de la santé mentale. On veut former des gens à faire de l'expertise des comportements, un relevé des troubles, pour prescrire des psychotropes. Ce rapport n'est que l'annonciation de ce qu'Elizabeth Roudinesco appelle "l'homme comportemental".
Propos recueillis par Delphine Saubaber
ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 26.02.04
Le Monde