Les psychologues sont dans un rapport particulier aux services de psychiatrie. C’est la « voie royale » de confrontation aux manifestations les plus classiques de la psychopathologie. C’est un secteur d’activité permettant des pratiques professionnelles variées. C’est un lieu d’élaboration de dispositions statutaires réfléchies. Et, très bientôt, en septembre 2004, ce sera un espace des plus concerné par la réforme annoncée de l’assurance maladie.
D’une certaine manière, cette réforme et la façon dont les psychologues vont réussir ou pas à faire respecter leur autonomie professionnelle se présentent comme un tournant pour la profession. Car à n’en pas douter, ce qui sera adopté pour les psychologues en matière de marge de manœuvre et de modalités d’intervention fera office de référence pour l’ensemble de la profession.
Faire exister une réponse non médicale …
Armés de la psychanalyse et sous couleur de psychologie dite clinique, les psychologues ont commencé d’investir les services de psychiatrie et les dispensaires depuis un certain moment déjà. Comme un passage obligé pour éprouver ses limites et conquérir une forme de légitimité à intervenir ( Yves Gérin *1) . En multipliant les lieux de soin, la politique de sectorisation et le mouvement des structures alternatives ont donné l’occasion aux psychologues d’élaborer, en situation, des méthodes et des procédures d’interventions originales.
Mais, sans doute, est-ce l’absence de toute possibilité de recourir de façon directe à l’arsenal médical existant (psychotropes, cure de coma, électrothérapie, hospitalisation …) tout en étant impliqué fortement dans des prises en charge individuelles qui a obligé les psychologues à tout miser sur un travail exclusivement relationnel. Ces moments d’ouverture et de remaniement, combinés à l’écart d’avec les interventions médicales ont servi le développement de l’exercice des psychologues en psychiatrie.
Contrairement aux services de médecine dans lesquels interventions médicales et interventions psychologiques sont assez nettement hétérogènes dans leurs modalités, dans les services de psychiatrie, les échanges entre médecins et psychologues n’ont pas toujours été sereins. Pour autant, les psychiatres ont pour une bonne part d’entre eux compris l’intérêt qu’il y avait à retenir des psychologues combinant une expérience personnelle de la psychanalyse avec un parcours dans les institutions. Il en résultera un renforcement de la présence et l’implication de ces psychologues dans les services de psychiatrie.
… dans l'hôpital public
Mais avant d’examiner plus avant la destinée paradoxale des psychologues intervenant en psychiatrie, il faut encore évoquer deux autres caractéristiques de ces professionnels.
La première, c’est leur identité de « ni-ni » : ni médecins, ni paramédicaux. Ni même profession de santé, précisent ceux qui ont consulté le Code de la santé. Et ces « ni-ni » travaillent justement dans un milieu tout entier polarisé par les réponses de type médicales. Cette position d’écart d’avec l’ordre médical oblige à une recherche d’équilibre dont toute rupture connaît deux destins violents : l’assimilation ou le rejet.
La deuxième caractéristique c’est leur rapport au système hiérarchique. Ils n’exercent aucune responsabilité hiérarchique sur d’autres personnels. Il n’existe aucune hiérarchie dans le corps des psychologues. Et certains prétendent, quand le climat se détériore gravement que la responsabilité hiérarchique, au sens technique du terme, du médecin chef de service pourrait se discuter. Tout cela heurte profondément le « bon sens » des administrations et renforce le sentiment qui veut que les psychologues sont insaisissables. La participation aux instances hospitalières (CAP, CTE, voire CA et CME) et la généralisation des regroupements spontanés sous l’appellation de Collèges ont certes réduit l’impression de singularité attachée à l'image des psychologues, mais sans éroder celle de leur hétérogénéité.
Premiers temps d'une reconnaissance
Quelques indicateurs font alors pressentir un tournant. Le premier, assez massif, est l’accroissement du nombre de patients s’adressant aux centres médico-psychologiques - les anciens dispensaires d’hygiène mentale devenus CMP - pour rencontrer des psychologues, phénomène dont les professionnels, le Conseil économique et social et la Sécurité sociale vont prendre conscience quasi en même temps.
Pascal Le Maléfan *3 a fort bien dit la façon dont les psychologues appréhendaient cet irrésistible développement de la demande, entre autre émanant des jeunes. En ce qui concerne le Conseil économique et social, troisième assemblée du pays avec l’Assemblée nationale et le Sénat -, »le Rapport Joli « *4 esquisse un premier signe de prise en compte de l’intérêt du public pour les psychologues. Les auteurs attestent, en effet, que l’intervention des psychologues est perçue comme « moins stigmatisante« . Quant aux caisses d’assurance maladie, leur question était de savoir avec plus d’exactitude ce qu’elles finançaient. Elles ont donc procédé par enquête. C’est ce qui a été conduit en Normandie, dans les 8 départements de la Haute et de la Basse Normandie en 1996 *5 , avec épluchage sur une même semaine d’activité, des files actives, des actes, des catégories diagnostiques, étude de dossiers et identification des acteurs … Il en ressort qu’un nombre conséquent de patients suivis en CMP ne sont pas médicalisés c’est-à-dire sont pris en charge par un psychologue, mais sans intervention d’un médecin du service dans le suivi. Vigilantes sur leurs dépenses et attentives aux choix des mots, les caisses ont, en conclusion de leur étude, affirmé qu’un suivi non médicalisé était un « traitement de confort« . En rappelant aussitôt que les traitements de confort … ne relèvent pas d’une prise en charge par l’assurance maladie.
Une vieille querelle réchauffée
Le signal du tournant sera donné par le rapport Piel-Roelandt , De la psychiatrie à la santé mentale *6 . Les psychologues qui voyaient leur relation avec les psychiatres évoluer vers une reconnaissance réciproque apaisée découvrent le cynisme de propos nettement outranciers. Ni leur exercice professionnel, ni leur formation, ni leurs conditions de travail ne trouvent grâce aux yeux des auteurs du rapport, brutalement disqualifiant.
Peu après, un groupe de travail ministériel sur l’Évolution des métiers en santé mentale accouche de bien maigres résultats alors que des choses fort intéressantes avaient été dites lors des réunions. Mais bien vite, les débats parlementaires sur la loi Kouchner de Modernisation de la santé *7 vont montrer la réalité des intentions du ministère de la santé. On y retrouve les options du rapport Piel-Roelandt, en particulier celle consistant à subordonner l’intervention des psychologues à une décision médicale.
Certes, le ministre, alerté des « alarmes » suscités par cet aspect de son projet bat alors en retraite. Et le rapporteur général du projet de loi, Claude Evin, l’ancien ministre des affaires sociales et de la santé, entérine ce recul. Mais le répit est de courte durée.
Quelques mois après, le rapport Berland *8 remis au nouveau ministre de la santé revient à la charge. En abordant le problème de la démographie médicale, il préconise au passage de "décloisonner" les professions de santé. A la façon d’un rouleau compresseur peu délicat et surtout pressé de faire des économies, il part du principe que les psychologues sont des paramédicaux comme les autres et que les « autres » sont tous un peu psychologues - ou au moins psy quelque chose …
A l’heure où nous écrivons, le rapport Cléry Melin sur la « politique de santé mentale » n’est pas encore diffusé. Néanmoins, les éléments qui en filtrent sont en cohérence avec ce qui a précédé : reconnaître l’intérêt que peut trouver le public à des prises en charge effectuées par des psychologues ; mais, en instaurant une régulation de l’accès par un … réfèrent médical. En fait, de rapports en déclarations en petites phrases, la vérité se fait jour. Le contrôle médical des psychologues, tel que le conçoivent les responsables politiques n’est pas essentiellement d’ordre technique mais plutôt d’ordre budgétaire.
Réguler l'accès du public aux psychologues
Ce n’est pas tant l’exercice professionnel qui fait problème, mais l’accès direct du patient aux prestations des psychologues quand elles impliquent une participation financière de la collectivité.
Pour mieux comprendre le mode de raisonnement des gestionnaires de la santé, il faut faire un petit détour par les projets de réformes de l’Assurance maladie. Les grandes manœuvres durent depuis longtemps mais ce n’est qu’au milieu des années 90 que la réflexion s’est engagée sur la façon d’appliquer la réforme de l’AM dans le domaine des maladies mentales. La recherche d'économies a suscité plusieurs scénarios qui tous intègrent la prise en compte de prestations « psy » effectuées par des non-médecins. Sur la base d'un double constat issu de l’expérience des psychologues intervenant dans le champ de la psychiatrie : leur capacité à intervenir dans des suivis individualisés, souvent en première ligne voire en première intention, et cela à moindre coût que les médecins spécialisés en psychiatrie.
Reconnaissance flatteuse mais reconnaissance aussi infiniment périlleuse car il n’est absolument pas question de laisser les psychologues devenir prescripteurs directs. Il n’est pas imaginable de laisser une profession, nouvelle venue, disposer d’une sorte de droit de tirage sur l’assurance maladie.
La contrainte économique exige que l'accès des consultants aux prestations des psychologues émargeant au budget de l’Assurance maladie soit régulé. Sont concernés les psychologues intervenant dans les futurs « réseaux » en santé mentale (dont il est question qu’ils soient rémunérés au forfait) et les psychologues des hôpitaux publics puisque ces établissements sont financés par l’AM. Concrètement, l’accès aux prestations de ces psychologues doit donc être, à côté de celui des infirmiers ou des kinésithérapeutes, contrôlé, régulé, par un prescripteur.
L’impératif économique oblige, il n’est de prescripteur que médical, l’impératif économique, donc l’activité des psychologues passe au domaine de la médecine.
Ce tour de passe-passe préparé par le rapport Piel-Roelandt, par Kouchner, par Berland, par Cléry-Melin *9 va être habillé par l’Académie de médecine. C’est le sens du rapport Pichot-Allilaire *10 adopté par l’Académie de Médecine en juillet 2003. La plus incontestable autorité médicale du pays "admet le principe d’une pratique des psychothérapies par des non médecins (psychologues cliniciens) à la condition d’une formation préalable adéquate et contrôlée, ainsi que d’un encadrement médical." Pour s'assurer d'être bien compris, les auteurs se sentent obligés d'ajouter que "cette activité doit faire l’objet d’une prescription médicale, le médecin étant responsable du diagnostic, du choix du traitement et de son évaluation. " Tout cela est amené par l'affirmation que « les actes psychothérapiques [effectués par des psychologues cliniciens] ne sont pas identiques à ceux plus globaux et intégrés réalisés par le psychiatre qui dispose de l’ensemble des moyens thérapeutiques « !
L’indigence intellectuelle des arguments et la radicalité des conséquences qui en sont tirées révèlent à quel point nous ne sommes plus dans l’ordre du débat mais dans celui du coup de force, de l’annexion pure et simple. Il s’agit de tout mettre en ordre avant la réforme de l’Assurance maladie (prévue pour la rentrée 2003 et reportée à celle de 2004) et, dans cette perspective, de s’assurer du contrôle des psychologues par les médecins.
Que veulent les psychologues… ?
Jusqu’à présent, ces considérations ont suscité trois types de réactions chez les psychologues. D’une part, une partie de la profession, un peu à l’écart des informations sur le devenir de la profession , reste encore apparemment à distance. D’autre part, quelques responsables d’organisations, « mieux informés« , considèrent que les jeux sont faits. En conséquence , ils défendent une formation initiale ne dépassant pas le deuxième cycle (niveau master). Ils considèrent que le temps FIR (Formation-Information-Recherche) ou DIRES destinés à la recherche est donc indéfendable. Et surtout, car cela explique le pourquoi des deux options précédentes, ils estiment que le passage par la prescription et le contrôle médical est le seul moyen d’obtenir des financements de l’AM pour une partie des prestations des psychologues.
Et pour finir, la dernière catégorie admet que les psychologues puissent être considérés comme une profession concourant à la santé - à condition de créer dans le Code de la Santé Publique, une rubrique « psychologue » qui ne soit ni médicale, ni paramédicale (G. Fourcher *11 ). Elle défend une formation de troisième cycle garantissant l’autonomie de leur discipline universitaire. Elle défend le temps FIR-DIRES. Elle prône le rassemblement par région des collèges hospitaliers, et soutient les projets associant les professionnels au fonctionnement des agences régionales de santé. Elle entend propulser un débat sur la régularisation non "médicalisée" de l’accès du public aux prestations des psychologues quand celles-ci relèvent de l’Assurance maladie.
En soulevant la question de la prise en charge par la collectivité d'une partie des prestations des psychologues, les options retenues par la réforme de l'assurance maladie seront cruciales pour l'avenir de la profession. Soit les psychologues rentrent dans le schéma classique de la prescription médicale auquel on les prépare. Ce sera alors une profession de technicien supérieur, chargé d'appliquer, sous contrôle médical, des méthodes codifiées (voir comment les récents débats ont réduit "les" psychothérapies à des techniques protocolisables ! ). Soit les psychologues sont une profession autonome. Auquel cas ils instaurent des dispositifs et des procédures propres à réguler l'accès aux suivis psychologiques quand ceux-ci sont pris en charge par l'assurance maladie !
Emmanuel Garcin
Psychologue au CMP
Bibliographie
*1 Yves Gérin : Souffrance et psychose. Paris, l’Harmattan, 1997.
Projet de circulaire relative à la question des psychologues. Direction des hôpitaux - archives du SNP, Juin 1999.
*3 Pascal Le Maléfan : Ces adolescents qui nous conseillent sur ce que veulent les adolescents et ce qu’offrent les structures de soins. Pratiques psychologiques, 2000 - 2.
*4 Préventions et soins des maladies mentales. Rapport du Conseil économique et social présenté par Pierre Joly, 1997.
*5 B. Ellesort : Conclusions malheureuses d’une Évaluation. Psychologues et psychologies, Avril 1997.
*6 Eric Piel, Jean-Luc Rœlandt : De la psychiatrie vers la santé mentale. Rapport du ministère de la santé, Juillet 2001.
*7 Emmanuel Garcin : Le projet de loi Kouchner, le contraire du « bon sens ». Journal des psychologues, déc. 2001/janv. 2002.
*8 Emmanuel Garcin : Les psychologues dans le rapport Berland. Journal des psychologues, Fev.2003.
*9 Cléry-Melin : Politique de santé mentale. Mission confiée par le Ministère de la Santé au Docteur Cléry-Melin (rapport terminal encore non diffusé à cette date)
*10 Pichot-Allilaire : Rapport à l'Académie de Médecine. Juillet 2003.
*11 Gérard Fourcher : Créer un livre 4 bis, "psychologues" au code de la santé ?. Journal des psychologues, Juin 2003.
En attente de publication en « Psychologues et Psychologie », prévu en déc. 2003.