Le petit monde de la psy est sollicité par le texte de l’amendement Accoyer, adopté par l’Assemblée Nationale et devenu amendement Giraud-Mattei après son passage au Sénat. La suite c’est une relecture à l’Assemblée Nationale – prévue pour début Avril – et enfin en Commission Mixte Paritaire – associant des élus des deux hémicycles – pour conclure.
Nous avons donc un texte. Celui issu du Sénat. Un texte qui a évolué. A l’Assemblée Nationale il était question de psychothérapie, au pluriel. Depuis la séance du Sénat il est question de psychothérapeutes. Un texte voulu par la majorité. Il aurait pu être retiré au profit d’un groupe de travail. Solution préconisée par Elisabeth Roudinesco, qui l’avait fait connaître y compris par voie de presse .Un texte finalement contrôlé par le gouvernement, ainsi qu’en atteste le pas de deux esquissé au Sénat par Giraud et Mattei. Un texte qui a peu de chance de beaucoup évoluer. Ainsi, en dépit des promesses du ministre faisant référence aux navettes parlementaires susceptibles de prolonger le débat, la réunion préparatoire de la Commission des Affaires Culturelles, Familiales et Sociales de l’Assemblée Nationale en date du 3 Mars s’est-elle conclue par un rejet de toutes les demandes de modification. C’est donc un texte à prendre au sérieux .Un texte à décortiquer pour en mesurer la portée exacte.
Des psychologues médicalisés
Pour le décrire, c’est une sorte d’inventaire à la Prévert. On y trouve des psychothérapeutes titrés, des médecins généralisés, des psychanalystes annuarisés et des psychologues diplômés. Cherchez l’erreur dans cet ensemble hétéroclite. Cherchez l’erreur que personne n’a vu. Sauf les psychologues. Parce que l’erreur c’est eux. C’est leur diplôme. Ce diplôme d’Etat de psychologue. Ce diplôme n’existe pas !
Erreur bénigne, venant d’un quelconque parlementaire peu au fait de ces questions .On a bien fait état de « psychologue clinicien », alors que statutairement et juridiquement le terme est impropre. Mais venant du ministre de la Santé, proposé puis imposé par le ministre de la Santé, l’erreur prend une autre dimension. L’innocence et l’ignorance n’y sont pour rien. Alors il faut chercher le sens, la raison de cette erreur.
Les connaisseurs – citons entre autres Brigitte Bereni Marzouk dans le bulletin fédéral de FO, Marie-Odile Rucine dans la revue de Psyclihos, Michel Normand dans le Nouvel Âne – les connaisseurs reconnaîtront les thèses de Monsieur Berland. L’activité des psychiatres « pourrait être transférée, sous leur contrôle, à des psychologues praticiens dont ils envisageraient le juste niveau de formation » (page 54). Les psychologues praticiens doivnet être « formés à la fois par les facultés de psychologie et les facultés de médecine » (page 53). Périmètre exact d’une profession paramédicale.
Nous sommes dans le vieux schéma du ministère de la santé : médicaliser les psychologues pour enfin les gérer sans états d’âme. Pour eux, le fait que les psychologues ne soient pas une profession de santé répertoriée dans le Code de la Santé Publique est une erreur – une faute – une anomalie à corriger. Le diplôme d’Etat de psychologue serait une excellente façon de faire rentrer les psychologues dans le rang, dans le grand giron de la santé, puisque comme chacun sait la santé en France c’est la médecine. D’ailleurs l’arrivée du diplôme d’Etat se fait sur l’effacement du « titre de psychologue ».
Pourquoi ne pas, dans le projet, faire usage des termes juridiques appropriés et incontestables, « personnes habilitées à faire usage professionnel du titre de psychologue ».
Ça va sans dire. Mais ça va encore mieux en le disant, surtout s’il s’agit de traiter des psychologues en les accolant à un diplôme qui n’existe que dans les intentions inavouées du ministère de la Santé.
Des psychothérapeutes paramédicalisés
Alertés par les probables intentions médicalisantes du ministère de la santé vis à vis des psychologues, examinons la suite du texte. Nous tombons sur une deuxième erreur .Celle de l’absence de référence au Code de Santé Publique. En effet, le texte adopté en première lecture en Octobre 2003 par l’Assemblée Nationale situait l’amendement Accoyer comme un chapitre du Code de Santé Publique consacré au traitement des maladies mentales. Et qui met en œuvre les traitements définis dans le Code de Santé Publique ? Et bien ils sont du ressort des médecins, de la responsabilité médicale. Nous sommes dans le domaine de l’exercice médical au sens de l’article L 4261-1 qui en sanctionne l’exercice illégal. Diagnostics et traitements des maladies en relèvent. Ce qui veut dire que définir les psychothérapies comme traitements au sens du Code de Santé Publique revient à en faire une pratique médicale ou relevant d’une prescription médicale. Cela a été vigoureusement dénoncé.
Dénoncé mais pas corrigé par les débats du Sénat. A aucun moment des débats n’a été dit qu’il fallait retirer les psychothérapies du Code de Santé Publique. Du coup le texte issus du Sénat comporte une ambiguïté remarquable. L’article 18 quater est détaché de sa localisation. Où trouvera-t-il sa place ? A quel ensemble est-il destiné ? Pas de réponse dans les débats qui n’en soufflent pas mot. Ce qui conduit les esprits chagrins à faire l’hypothèse que si les psychothérapies étaient placées dans le Code de Santé Publique et que rien n’a été dit contre ce positionnement, c’est que le titre de psychothérapeute pourrait bien, au dernier moment, se trouver placé… dans le Code de Santé Publique. Mais pas dans les traitements cette fois. Dans la partie consacrée aux professions de santé. Lesquelles se répartissent en deux catégories. Les professions médicales et les auxiliaires médicaux.
Averti des vœux ardents et secrets formés par le ministère de la santé à l’endroit des psychologues, on imagine assez bien la solution profilée pour les futurs psychothérapeutes.
La politique du ministère de la santé
Ces deux erreurs indiquent une piste. Oublier de mentionner le titre de psychologue au profit d’un projet de diplôme de psychologue - auxiliaire médical et localiser implicitement le titre de psychothérapeute dans le Code de Santé Publique, c’est tenter de médicaliser le champ psy. A partir de ce constat, il ne faut pas être grand clerc pour reconstituer le cheminement du ministère de la Santé, repris à son compte par Bernard Kouchner il y a peu et par Mattei désormais.
La séquence peut s’énoncer ainsi. Le public demande des psys. En psychiatrie, en cancérologie, en pédiatrie, lors de catastrophes, etc.. Les psychiatres coûtent cher. Les psychologues à bac + 5 + fonction spécialisée coûtent relativement cher et sont malaisément gérables par le fait de leur extériorité du Code de Santé Publique. Des « psychothérapeutes » à bac + 3 et intégrés au Code de Santé Publique – en qualité d’auxiliaires médicaux – sont donc une solution. Il est ainsi répondu aux deux préoccupations du ministère de la santé : réduire les coûts des prestations psy et réguler l’accès au remboursement par le moyen de la prescription médicale.
On imagine aisément que cette perspective n’enchante guère les psychologues. Les psychothérapeutes ne doivent pas non plus être emballés. Mais après tout dira-t-on, il s’agit des deniers publics et le corporatisme n’a pas sa place ici. Sauf que, à vouloir en faire des « catégories » listées par décret, à les réduire à des techniques évaluables et comparables comme vient très opportunément de le faire l’INSERM, à les constituer comme objets de prescription on met en place subrepticement une formidable dynamique de consommation passive, alors même que ce que cherchent les psys c’est de cultiver l’implication et la responsabilisation de leurs patients.
Refuser la logique de déresponsabilisation
Qu’on pense aux injonctions de soins. Ces patients qui viennent vous voir parce que le juge en a fait une condition de l’allègement de la mesure judiciaire. Vous pouvez leur appliquer toutes les méthodes que vous voulez et ce pendant des années. Rien n’y fera. A moins que vous renonciez à appliquer telle ou telle technique. Et que vous réfléchissiez à la situation. Que vous en preniez la mesure. Que vous construisiez une approche, intégrant éventuellement telle ou telle technique de psychothérapie. Et par l’ajustement de votre démarche vous suscitiez activement et personnellement l’étincelle qui fera démarrer le travail : l’implication de votre interlocuteur dans la rencontre que vous lui proposez.
Privilégier l’aspect technique des psychothérapies, en faire des traitements applicables aux indications codifiées, c’est tendre à en faire des objets de consommation par des patients attentistes. C’est se placer dans la logique « d’abus » et de « gaspillage » menaçant les fondements de la sécurité sociale vigoureusement dénoncée dans le Monde du 18 Mars dernier par Jean-Michel Dubernard. C’est aller à l’encontre de la responsabilisation des patients prônée de tous bords par les responsables politiques.
Avec l’idée de développer la prévention et l’arrière pensée d’aider la pratique médicale contemporaine, Bernard Kouchner voyait les psychologues comme « éducateurs » de santé. Donneurs de conseils, d’explications, dispensateurs de bonnes paroles en sorte. Mattei voit les psychologues comme metteurs en œuvre de techniques de psychothérapies. Intentions louables.
Mais les psychologues ont une autre idée. Ils ne voient pas les patients en consommateurs de soins. Ils ne se voient pas en dispensateurs de soins, y compris de psychothérapies. Ils entendent mettre toutes leurs qualifications et toutes leurs compétences en œuvre, psychothérapies entre autres, pour constituer les patients comme acteurs de leur santé.
Emmanuel Garcin,
à la demande du Réseau National des Psychologues
20 Mars 2004
Nous avons donc un texte. Celui issu du Sénat. Un texte qui a évolué. A l’Assemblée Nationale il était question de psychothérapie, au pluriel. Depuis la séance du Sénat il est question de psychothérapeutes. Un texte voulu par la majorité. Il aurait pu être retiré au profit d’un groupe de travail. Solution préconisée par Elisabeth Roudinesco, qui l’avait fait connaître y compris par voie de presse .Un texte finalement contrôlé par le gouvernement, ainsi qu’en atteste le pas de deux esquissé au Sénat par Giraud et Mattei. Un texte qui a peu de chance de beaucoup évoluer. Ainsi, en dépit des promesses du ministre faisant référence aux navettes parlementaires susceptibles de prolonger le débat, la réunion préparatoire de la Commission des Affaires Culturelles, Familiales et Sociales de l’Assemblée Nationale en date du 3 Mars s’est-elle conclue par un rejet de toutes les demandes de modification. C’est donc un texte à prendre au sérieux .Un texte à décortiquer pour en mesurer la portée exacte.
Des psychologues médicalisés
Pour le décrire, c’est une sorte d’inventaire à la Prévert. On y trouve des psychothérapeutes titrés, des médecins généralisés, des psychanalystes annuarisés et des psychologues diplômés. Cherchez l’erreur dans cet ensemble hétéroclite. Cherchez l’erreur que personne n’a vu. Sauf les psychologues. Parce que l’erreur c’est eux. C’est leur diplôme. Ce diplôme d’Etat de psychologue. Ce diplôme n’existe pas !
Erreur bénigne, venant d’un quelconque parlementaire peu au fait de ces questions .On a bien fait état de « psychologue clinicien », alors que statutairement et juridiquement le terme est impropre. Mais venant du ministre de la Santé, proposé puis imposé par le ministre de la Santé, l’erreur prend une autre dimension. L’innocence et l’ignorance n’y sont pour rien. Alors il faut chercher le sens, la raison de cette erreur.
Les connaisseurs – citons entre autres Brigitte Bereni Marzouk dans le bulletin fédéral de FO, Marie-Odile Rucine dans la revue de Psyclihos, Michel Normand dans le Nouvel Âne – les connaisseurs reconnaîtront les thèses de Monsieur Berland. L’activité des psychiatres « pourrait être transférée, sous leur contrôle, à des psychologues praticiens dont ils envisageraient le juste niveau de formation » (page 54). Les psychologues praticiens doivnet être « formés à la fois par les facultés de psychologie et les facultés de médecine » (page 53). Périmètre exact d’une profession paramédicale.
Nous sommes dans le vieux schéma du ministère de la santé : médicaliser les psychologues pour enfin les gérer sans états d’âme. Pour eux, le fait que les psychologues ne soient pas une profession de santé répertoriée dans le Code de la Santé Publique est une erreur – une faute – une anomalie à corriger. Le diplôme d’Etat de psychologue serait une excellente façon de faire rentrer les psychologues dans le rang, dans le grand giron de la santé, puisque comme chacun sait la santé en France c’est la médecine. D’ailleurs l’arrivée du diplôme d’Etat se fait sur l’effacement du « titre de psychologue ».
Pourquoi ne pas, dans le projet, faire usage des termes juridiques appropriés et incontestables, « personnes habilitées à faire usage professionnel du titre de psychologue ».
Ça va sans dire. Mais ça va encore mieux en le disant, surtout s’il s’agit de traiter des psychologues en les accolant à un diplôme qui n’existe que dans les intentions inavouées du ministère de la Santé.
Des psychothérapeutes paramédicalisés
Alertés par les probables intentions médicalisantes du ministère de la santé vis à vis des psychologues, examinons la suite du texte. Nous tombons sur une deuxième erreur .Celle de l’absence de référence au Code de Santé Publique. En effet, le texte adopté en première lecture en Octobre 2003 par l’Assemblée Nationale situait l’amendement Accoyer comme un chapitre du Code de Santé Publique consacré au traitement des maladies mentales. Et qui met en œuvre les traitements définis dans le Code de Santé Publique ? Et bien ils sont du ressort des médecins, de la responsabilité médicale. Nous sommes dans le domaine de l’exercice médical au sens de l’article L 4261-1 qui en sanctionne l’exercice illégal. Diagnostics et traitements des maladies en relèvent. Ce qui veut dire que définir les psychothérapies comme traitements au sens du Code de Santé Publique revient à en faire une pratique médicale ou relevant d’une prescription médicale. Cela a été vigoureusement dénoncé.
Dénoncé mais pas corrigé par les débats du Sénat. A aucun moment des débats n’a été dit qu’il fallait retirer les psychothérapies du Code de Santé Publique. Du coup le texte issus du Sénat comporte une ambiguïté remarquable. L’article 18 quater est détaché de sa localisation. Où trouvera-t-il sa place ? A quel ensemble est-il destiné ? Pas de réponse dans les débats qui n’en soufflent pas mot. Ce qui conduit les esprits chagrins à faire l’hypothèse que si les psychothérapies étaient placées dans le Code de Santé Publique et que rien n’a été dit contre ce positionnement, c’est que le titre de psychothérapeute pourrait bien, au dernier moment, se trouver placé… dans le Code de Santé Publique. Mais pas dans les traitements cette fois. Dans la partie consacrée aux professions de santé. Lesquelles se répartissent en deux catégories. Les professions médicales et les auxiliaires médicaux.
Averti des vœux ardents et secrets formés par le ministère de la santé à l’endroit des psychologues, on imagine assez bien la solution profilée pour les futurs psychothérapeutes.
La politique du ministère de la santé
Ces deux erreurs indiquent une piste. Oublier de mentionner le titre de psychologue au profit d’un projet de diplôme de psychologue - auxiliaire médical et localiser implicitement le titre de psychothérapeute dans le Code de Santé Publique, c’est tenter de médicaliser le champ psy. A partir de ce constat, il ne faut pas être grand clerc pour reconstituer le cheminement du ministère de la Santé, repris à son compte par Bernard Kouchner il y a peu et par Mattei désormais.
La séquence peut s’énoncer ainsi. Le public demande des psys. En psychiatrie, en cancérologie, en pédiatrie, lors de catastrophes, etc.. Les psychiatres coûtent cher. Les psychologues à bac + 5 + fonction spécialisée coûtent relativement cher et sont malaisément gérables par le fait de leur extériorité du Code de Santé Publique. Des « psychothérapeutes » à bac + 3 et intégrés au Code de Santé Publique – en qualité d’auxiliaires médicaux – sont donc une solution. Il est ainsi répondu aux deux préoccupations du ministère de la santé : réduire les coûts des prestations psy et réguler l’accès au remboursement par le moyen de la prescription médicale.
On imagine aisément que cette perspective n’enchante guère les psychologues. Les psychothérapeutes ne doivent pas non plus être emballés. Mais après tout dira-t-on, il s’agit des deniers publics et le corporatisme n’a pas sa place ici. Sauf que, à vouloir en faire des « catégories » listées par décret, à les réduire à des techniques évaluables et comparables comme vient très opportunément de le faire l’INSERM, à les constituer comme objets de prescription on met en place subrepticement une formidable dynamique de consommation passive, alors même que ce que cherchent les psys c’est de cultiver l’implication et la responsabilisation de leurs patients.
Refuser la logique de déresponsabilisation
Qu’on pense aux injonctions de soins. Ces patients qui viennent vous voir parce que le juge en a fait une condition de l’allègement de la mesure judiciaire. Vous pouvez leur appliquer toutes les méthodes que vous voulez et ce pendant des années. Rien n’y fera. A moins que vous renonciez à appliquer telle ou telle technique. Et que vous réfléchissiez à la situation. Que vous en preniez la mesure. Que vous construisiez une approche, intégrant éventuellement telle ou telle technique de psychothérapie. Et par l’ajustement de votre démarche vous suscitiez activement et personnellement l’étincelle qui fera démarrer le travail : l’implication de votre interlocuteur dans la rencontre que vous lui proposez.
Privilégier l’aspect technique des psychothérapies, en faire des traitements applicables aux indications codifiées, c’est tendre à en faire des objets de consommation par des patients attentistes. C’est se placer dans la logique « d’abus » et de « gaspillage » menaçant les fondements de la sécurité sociale vigoureusement dénoncée dans le Monde du 18 Mars dernier par Jean-Michel Dubernard. C’est aller à l’encontre de la responsabilisation des patients prônée de tous bords par les responsables politiques.
Avec l’idée de développer la prévention et l’arrière pensée d’aider la pratique médicale contemporaine, Bernard Kouchner voyait les psychologues comme « éducateurs » de santé. Donneurs de conseils, d’explications, dispensateurs de bonnes paroles en sorte. Mattei voit les psychologues comme metteurs en œuvre de techniques de psychothérapies. Intentions louables.
Mais les psychologues ont une autre idée. Ils ne voient pas les patients en consommateurs de soins. Ils ne se voient pas en dispensateurs de soins, y compris de psychothérapies. Ils entendent mettre toutes leurs qualifications et toutes leurs compétences en œuvre, psychothérapies entre autres, pour constituer les patients comme acteurs de leur santé.
Emmanuel Garcin,
à la demande du Réseau National des Psychologues
20 Mars 2004