Depuis quelque temps, de multiples formes de psychothérapies ont droit de cité dans les médias. Comme s'il y en avait d'ennuyeuses, façon psychanalyse. D'autres exotiques, les plus spectaculaires. Et d'autres encore, labellisées du fait d'être pratiquées dans des services hospitaliers. En 2001, Bernard Kouchner, alors ministre de la santé, avançait le chiffre de 300 méthodes. Chiffre qu'en réaction à cette grotesque inflation, les officines de formation à l'exercice de diverses psychothérapies, se sont efforcées de ramener à moins d'une vingtaine.
Ces comptes d'apothicaires , ces tris sélectifs, ces querelles d'école, … sont bien évidemment liés à l'intérêt croissant du public pour la psychothérapie. Mais ces disputes et ces classements n'ont pas de sens.
Une psychothérapie, c'est d'abord une rencontre. La rencontre de quelqu'un qui cherche à dire, à exprimer quelque chose avec quelqu'un qui a envie de l'aider à y parvenir. Des études fort savantes démontrent d'ailleurs et comme l'on pouvait s'en douter, qu'en la matière, l'effet thérapeutique est plus lié à la personnalité du thérapeute et à la durée de sa formation et de son niveau d'étude qu'à l'emploi de telle ou telle technique. Les psychothérapies ne sont pas des potions préparées à l'avance selon de savants dosages. Une psychothérapie c'est d'abord et avant tout une relation intersubjective.
Alors le malaise est profond quand on voit les parlementaires adopter presque à la sauvette, sous forme d'un amendement additionnel, le principe d'un "décret" fixant les différentes "catégories de psychothérapie" et leur classement, comme "outil thérapeutique" dans le Code de la Santé Publique. Les "psychothérapies" sont ainsi par la force de la loi, instrumentalisées sous forme "d'outils" et implicitement et de facto assimilées à des médicaments relevant de prescriptions médicales et d'indications codifiées. Un décret va dire quels ingrédients mettre dans l'échange entre patient et psychothérapeute. Et un jury de savants décidera de qui sera déclaré compétent dans le maniement de ces ingrédients.
Le coup de force est choquant. Il est également inquiétant. Car c'est justement de s'être posé comme de nature et de philosophie différente des actes médicaux que la psychothérapie tient son intérêt. Pour elle-même ou en synergie de soins médicaux - en psychiatrie, en cancérologie, en pédiatrie, … et jusqu'en stomatologie - l'approche psychothérapique a fait preuve de son efficacité. Et le public qui réclame l'accès direct à ce type d'intervention ne s'y trompe pas.
Mais la placer sous contrôle médical et en faire une prestation normée, relevant d'une prescription et d'une évaluation médicale, revient à en détruire le principe actif. Une rencontre ne se prescrit pas. Le sens de l'écoute et l'envie de parler ne se décrètent pas.
Si les parlementaires en sont arrivés là, ce n'est pas seulement par précipitation et par manque d'information. Et à leur façon, ils rendent hommage aux vertus de la psychothérapie. Car l'intention affichée de lutte contre les dérives sectaires et de protection du public s'accompagne d'une intention cachée (mais évidente quand même) qui, elle, consiste à placer les psychothérapies dans l'espace médical. L'idée étant alors de faire prendre en charge un certain nombre de suivis psychothérapiques par l'assurance maladie (dans le cadre de la réforme à venir dans les prochains mois), sans pour autant laisser les psychologues devenir une nouvelle catégorie de prescripteurs afin de ne pas accroître trop considérablement les dépenses de santé. En effet, si les psychothérapies sont des actes relevant d'une compétence médicale, il revient aux médecins de les prescrire, ce qui veut dire dans le contexte actuel de maîtrise des dépenses de santé, contrôler et réguler l'accès au public à ce genre de traitements.
Depuis un certain temps, les projets de réforme de l'assurance maladie tentent de concilier l'accès du public à des suivis psychologiques sérieux avec un contrôle réfléchi de cette dépense. Médicaliser les psychothérapies est apparu comme la seule solution possible. Mais à l'examen, sa façon d'assimiler l'ordre de la relation à celui de la substance est désastreuse.
D'ici le passage de ce projet de loi devant le Sénat et avant la réforme de l'Assurance Maladie annoncée pour le milieu de l'année 2004, espérons que les Parlementaires, le Haut Conseil de la Réforme de l'Assurance Maladie, les professionnels… imaginent et mettent au point des solutions permettant de préserver la nature et l'esprit de la psychothérapie.
Emmanuel GARCIN
7 novembre 2003
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