1) Les auteurs effleurent, dans un premier temps, la difficile définition de la psychothérapie :
« La définition la plus couramment admise se contente d’affirmer que la psychothérapie est seulement " l’aide qu’un psychisme peut apporter à un autre psychisme "
Pour l’associer à la prescription de médicaments, ils ramènent ensuite cette définition à « une bonne relation » :
« La prescription d’une thérapeutique biologique associée à la psychothérapie peut aussi constituer l’essentiel du traitement… Mais même dans ces cas, une bonne relation psychothérapique avec le patient s’avère indispensable. »
L’avantage d’une définition aussi inconsistante de la psychothérapie est évident : éviter d’ouvrir la discussion sur l’incompatibilité de tenir à la fois une position de psychothérapeute et une position de prescripteur qui, par « ordonnances », décide de prescrire des médicaments, un arrêt de travail ou une hospitalisation. Chacune de ces deux positions sont certes justifiables et justifiées mais relèvent de deux démarches intellectuelles et méthodologiques très distinctes. Le fait d’être dans une position de savoir par rapport au patient et, par conséquent, de pouvoir à tout moment intervenir concrètement dans sa vie physiologique et sociale est constitutif de la position professionnelle du psychiatre, puisque par définition il est d’abord médecin. Cette double position de savoir et de pouvoir est nécessaire à l’exercice de sa pratique mais cette responsabilité prédétermine psychiquement toute la relation patient-psychiatre ; et ce déterminisme opère au-delà de l’attention et des compétences que le psychiatre met en oeuvre pour accéder à la compréhension du psychisme de son patient.
Pour poser les bases de leur rapport, les auteurs ont donc préféré occulter tous les travaux qui montrent que l’efficacité d’une psychothérapie procède très souvent de l’inversion de cette relation de savoir entre le professionnel et le sujet ; efficacité qui ne s’évalue pas en terme de guérison mais s’apprécie par la restauration du lien de l’intime au social. En effet, cette inversion permet que le sujet se réapproprie son savoir sur lui-même à partir de lui-même (2) retrouve la capacité d’exercer sa personnalité en toute autonomie et sa citoyenneté en pleine responsabilité. Ces deux positions méthodologiques et déontologiques sont tellement antagonistes que de nombreux psychiatres qui dans les années 60-70 avaient complété leur formation médicale par une psychanalyse personnelle, ont préféré, par souci d’efficacité, se dégager de la pratique médicale, allant parfois jusqu’à retirer leur plaque de psychiatre.
2) Dans un deuxième temps, les auteurs reconnaissent que les principaux courants psychothérapiques ne sont pas issus de la médecine :
« La psychothérapie d’inspiration psychanalytique… est une pratique dérivée de la psychanalyse. »
« Le courant comportementaliste et cognitiviste… s’inspire de l’application de la psychologie expérimentale au champ de la clinique »
« Le courant systémique… repose sur des conceptions théoriques inspirées à la fois de l’anthropologie et de la théorie générale des systèmes. Elaboré à partir des années cinquante à Palo Alto par un psychologue américain… »
« Le courant humaniste. C’est un psychologue américain, Carl Rogers, qui a défini le premier les concepts de la psychothérapie humaniste et précisé sa technique. »
Pour paradoxalement affirmer deux pages après :
« Quoiqu’il en soit, une attitude psychothérapique est indispensable dans toutes les activités d’un psychiatre. Au cours d’une consultation, celui-ci fonctionne selon un double registre, à la fois objectif et subjectif. »
« Cette double compétence, médicale et psychothérapique, caractérise l’aptitude professionnelle des psychiatres français. On ne peut donc que souhaiter que la formation à la psychothérapie soit encore renforcée. »
Il est regrettable de constater ici à quel point le raisonnement académique laisse la place à un sophisme sentencieux par le biais de quatre glissements successifs : puisque la psychothérapie est pour l’essentielle issue des travaux de psychologues et de psychanalystes, les auteurs remplacent ce nom par l’adjectif « psychothérapique » -1er glissement- pour poser que c’est une « attitude indispensable dans toutes » les activités d’un psychiatre (comme si un fonctionnement « subjectif » lui était toujours nécessaire -2ème glissement- et comme si le recours d’un professionnel à sa subjectivité était une condition suffisante pour que son attitude soit thérapeutique -3ème glissement-). Puis -4ème glissement- cette « attitude indispensable » devient miraculeusement une « aptitude professionnelle », une « compétence » de tous les psychiatres français. Tout ce cheminement afin de conclure par une pirouette à peine implicite : tout psychiatre pratique d’office la psychothérapie donc la psychothérapie est, par définition, ce que pratique les psychiatres, les autres professionnels devront faire la preuve qu’ils sont compétents s’ils veulent l’exercer.
3) Toutefois les auteurs admettent, dans un troisième temps, les carences des études médicales dans ce domaine et émettent des suggestions pour améliorer la situation actuelle :
• La formation des médecins généralistes « doit s’appuyer sur un enseignement théorique diversifié comportant des notions de psychologie… »
• Pour les psychiatres, une « formation à la psychothérapie de base… devrait être acquise pendant le cursus universitaire. » « Aucune de ces formations ne peut être imposée aux futurs praticiens… il serait toutefois souhaitable que chaque psychiatre puisse se former à l'une d'entre elles."
• Et ils estiment « indispensable d’instituer, pour toute formation à la psychothérapie, un système de contrôle sous forme de groupes de régulation ou de contrôles individuels »
Cette dernière suggestion serait très cohérente si elle concernait exclusivement les médecins généralistes et les psychiatres. Cela signifierait que le corps médical constate ses carences et son retard dans le domaine des approches psychothérapiques et décide d’y remédier énergiquement en s’attelant à améliorer sa compétence et sa crédibilité. Mais, comme le révèle paradoxalement la suite du document, les auteurs entendent confier aux psychiatres ce contrôle et cette régulation de la psychothérapie y compris sur les psychologues qui, en l’état actuel, y sont pourtant nettement mieux formés que les psychiatres (3). En effet, les psychologues sont pour une grande part à l’origine de ces théories, les étudient, en analysent les présupposés et les limites durant au minimum cinq années de formation universitaire, les mettent en pratique dans des secteurs d’activité très diversifiés et les font évoluer depuis plusieurs décennies en consacrant une part non négligeable de leur temps de travail aux travaux de recherche et de contrôle.
4) Les recommandations de ce rapport sont évidemment empreintes des paradoxes et des glissements précédents.
• Pour avoir évité la discussion de fond sur l’essence même du processus psychothérapique, l’analyse ne peut que conduire à une vision techniciste des psychothérapies, repérer leurs grandes diversités, conclure à « une dissociation des approches » et affirmer que « la psychothérapie réalisée par les psychiatres comporte une composante particulière que l’on peut considérer comme une valeur ajoutée du point de vue de la santé mentale, du fait de leur formation médicale initiale… formation qui autorise les psychiatres à établir un diagnostic, poser une indication thérapeutique et la mener à bien. » Argument qui exclue de fait l’apport des autres disciplines intervenant dans le champ de la santé mentale, à moins que celles-ci renoncent à leur autonomie épistémologique, à leur spécificité méthodologique et acceptent de soumettre leur pratique, notamment celle de la psychothérapie, au révisionnisme médical.
• « Le premier impératif est de rendre accessible au public une information claire et valide sur les différents types de psychothérapies et les professions qui les pratiquent. » Cette validité étant évidemment, dans ces conditions, donnée par un estampillage psychiatrique. Cette vision hégémonique de la psychothérapie -qui ne fait pas l’unanimité des psychiatres- va donc ainsi jusqu’à prétendre au monopole de l’information dans un contexte de société qui amène le public ressentant le besoin d’un espace d’écoute et de restructuration psychique à opter de plus en plus pour la compétence de professionnels non médecins.
5) L’Académie de Médecine conclue in fine par cinq courtes recommandations. Uniquement la première s’adresse aux seuls psychiatres : « les psychiatres ont vocation à pratiquer les psychothérapies » (vocation que personne conteste). La deuxième vise tous les autres professionnels qui pratiquent la psychothérapie, les trois recommandations suivantes concernent directement les psychologues. L’objectif est clair, il vise une confiscation du terme de psychothérapie par la médecine.
« L’Académie de Médecine"
• est opposée à la création d’un statut légal de psychothérapeute ».
• admet le principe d’une pratique des psychothérapies par des non-médecins (psychologues cliniciens), à la condition d’une formation préalable adéquate et contrôlée, ainsi que d’un encadrement médical ; cette activité doit faire l’objet d’une prescription médicale, le médecin étant responsable du diagnostic, du choix du traitement et de son évaluation ;
• recommande la systématisation de l’enseignement et de cette formation à la psychothérapie pendant l’ensemble du cursus médical, et plus particulièrement au cours de la spécialisation en psychiatrie ; elle recommande en outre de définir les critères d’une formation en vue de l’habilitation à la pratique des psychothérapies pour les non-médecins ;
• demande que les règles déontologiques applicables à l’exercice de la médecine soient étendues à l’activité psychothérapique des non-médecins. »
Le plus grand nombre de ces recommandations vise donc à morceler la profession de psychologue en voulant créer un titre de « psychologues cliniciens » alors que le Parlement, par souci de protection du public et de clarification, a justement défini en 1985 un titre unique de psychologue. Un tel contrôle par le corps médical de la formation à la psychothérapie des psychologues et de leur exercice reviendrait à la mainmise d’un trust sur le champ de la psychologie.
Le public perçoit fort bien en effet que, dans son essence première, la psychologie a pour finalité de « promouvoir l’autonomie de la personnalité ». Cette définition de la mission du psychologue dans la fonction publique (5) déborde le cadre de la santé mentale et de la santé en général, car la raison sociale du psychologue est « d’extraire le verbe de l’âme » pour rappeler, puisque cela semble nécessaire, l’étymologie de ce mot. Faire advenir à la verbalisation les failles, les traumatismes psychiques qui perturbent une personne ou un groupe, constitue la raison d’être de tout psychologue, quel que soit son lieu d’exercice et son option théorique. Subordonner à la médecine cette mission-ci, qui peut indifféremment s’appeler « consultation psychologique » ou « psychothérapie », c’est vider la psychologie de sa substance vitale, de son âme. Les grecs avaient un terme pour désigner cela : psycho-phthoros (6).
Chaque jour des milliers de personnes s’adressent directement à des psychologues -installés en libéral ou exerçant dans les hôpitaux, les services et les institutions de l’enfance, de la justice, de la police, dans les entreprises,…- sans passer par des médecins. Depuis plusieurs mois le ministre de la santé semble focaliser l’attention de son ministère sur cette question en fermant désormais la porte à une approche non médicale de la santé (7). Même sans le vote de l’amendement Accoyer sur la psychothérapie, les décrets envisagés conduiraient les psychologues à dire ces personnes : oui j’entends bien que vous avez besoin d’être écouté et que vous me faite confiance, oui je sais que l’objectif est de réduire les dépenses de la Caisse maladie mais vous devez quand même aller voir un psychiatre car si je réponds à votre demande de suivi psychologique je risque d’être accusé de faire de la psychothérapie et donc d’être condamné pour exercice illégal de la médecine. Si ce n’était l’objectif visé, quel serait l’intérêt d’étendre le code de déontologie des médecins aux non-médecins pratiquant la psychothérapie ? Pourtant le code de déontologie médicale n’est pas un modèle d’excellence, comme le reconnaît le Professeur de droit Gérard LYON-CAEN : « Alors qu’il existe un statut juridique du corps de l’homme, il n’existe pas de statut de la « psyché », pas plus que de ses produits ou éléments (les représentations, les images, les idées). Le Code civil lui-même, le Code de déontologie médicale, le Code de la santé publique, sont de ce fait inadéquats et aucune transposition, aucun décalque ne paraissent entièrement appropriés. »(8)
Que conclure de cette contribution qui par-delà les réserves apportées ouvre un débat de fond ?
Gageons que nos concitoyens préserveront leur libre accès à ces différences et que les nombreux pays en développement qui portent intérêt à la médecine et à la psychologie françaises pourront continuer à échanger avec ces deux disciplines autonomes. C’est maintenant au Parlement et au Gouvernement à qui revient cette responsabilité. Le défi consiste à faire émerger une volonté politique autour d’un consensus simple : à la fois faire valoir que la médecine et donc les psychiatres ont vocation à s’ouvrir davantage aux théories et aux pratiques de la psychothérapie ; tout autant que les sciences humaines et donc les psychologues ont vocation de concevoir et d’exercer leur discipline sans l’ascendance de la médecine. La coopération entre ces deux corps professionnels ne pourra qu’être plus saine une fois qu’il sera mis fin à ces velléités colonisatrices qui, en France, occasionnent trop de perte d’énergie depuis plusieurs lustres.
La psychothérapie répond à des besoins suffisamment importants pour mériter, comme le souligne ce rapport de l’Académie de Médecine, que psychiatres et psychologues soient dotés d’une meilleure formation. Leur conception de la psychothérapie étant épistémologiquement différente, il convient que cet effort soit équitablement réparti pour laisser au public un réel choix entre ces deux approches, l’une appartenant aux sciences de la vie, l’autre relevant des sciences humaines.
En ce qui concerne la question du remboursement, si le Parlement estime que la solidarité nationale n’a pas à favoriser une profession plus qu’une autre, la prise en charge des prestations de psychologues libéraux ne pourrait se concevoir qu’en dehors de la caisse d’assurance maladie (9) et devrait donc relever d’un budget annexe de la Sécurité sociale.
Ce rapport offre également l’opportunité de dresser un inventaire des moyens que la psychologie est en état d’offrir au public français. Vu l’accroissement et la diversité des missions qui leur incombent, les psychologues engagent de plus en plus leur responsabilité et celle des organisations qui les emploient, il devient nécessaire de reconnaître cette réalité sociale.
Ces professionnels s’activent depuis plusieurs années à apporter des garanties au public au-delà des contraintes fixées par la loi ; à cet effet, ils se sont assigné en 1996 un code de déontologie approprié, enseigné à l’université et déjà appliqué par les psychologues. Le moment est venu que le Parlement lui confère une valeur juridique opposable devant les tribunaux.
Coté formation, l’enseignement de la psychologie, au regard de nombreux autres pays et d’autres formations professionnalisantes universitaires qui sont en moyenne de niveau bac+6, se trouve dans un état financier qui est loin d’apporter la qualité que le public est en droit d’attendre ; les masters de psychologie tels qu’ils sont actuellement attribués avec parcimonie par le ministère de l’Education nationale sont loin de pouvoir inclure dans le tronc commun de tout psychologue les pré-requis souhaitables qui découlent du débat sur la psychothérapie qui fait à juste titre la Une des médias grâce à l’amendement Accoyer ; un passage à une formation bac+8 conforme au standard européen serait dès à présent à programmer pour permettre de rattraper le retard de la France.
Coté recherche, qu’elle soit « institutionnelle » ou non, la situation relève davantage de l’abnégation que d’une politique volontariste ; Il faut souligner qu’en psychologie, la théorie ne précède pas la pratique, comme la pratique ne précède la théorie. Il ne s’agit pas d’une science appliquée, la distinction entre laboratoire de recherche et terrain rencontre très vite des limites handicapantes. Il en découle que l’actuel éclatement et précarité de la recherche produisent conjointement des effets préjudiciables aussi bien sur le développement de la discipline, en favorisant le morcellement de celle-ci, que sur la qualité de son exercice, en carençant le praticien des outils d’analyse nécessaire à son implication personnelle.
Quant aux psychologues qui relèvent de la Fonction publique (10) leur positionnement porte les traces d’une insertion récente et motivée au cas par cas dans des structures administratives qui ne savent toujours pas trop « dans quel tiroir les mettre » ; ce positionnement devrait être totalement repensé pour prendre en compte que la mission première des professionnels de la psychologie -qui est bien comprise en tant que telle par le public- se justifie, bien au-delà du rôle découlant de l’administration où ils exercent, par leur qualification de haut niveau et le respect de leur code de déontologie qui apportent des garanties sérieuses aux usagers.
Norbert HACQUARD
Réseau national des psychologues
(1) Rapport PICHOT-ALLILAIRE sur la pratique de la psychothérapie, adopté par l’Académie Française de Médecine le 1er juillet 2003
(2) Ce savoir perdu, cette faille psychique fait que la personne ne sait plus où elle en est, se sent perdue dans sa relation à son corps ou aux autres et se voit en proie à des symptômes ou à des comportements dans lesquels elle ne se reconnaît plus.
(3) Même si la qualification des psychologues mérite elle aussi d’être encore substantiellement améliorée, ce qui nécessiterait que le ministère de l’Education nationale ne s’oppose plus à la demande de la profession en refusant de « mettre un sou de plus » dans leur formation.
(4) « Les psychologues étudient et traitent, au travers d’une démarche professionnel propre, les rapports réciproques entre la vie psychique et les comportements individuels et collectifs afin de promouvoir l’autonomie de la personnalité. » Cette définition est la même pour les psychologues de la Fonction publique hospitalière, territoriale et de la Protection judiciaire de la jeunesse.
(5) Pour donner une traduction plus moderne du mot psychologie.
(6) Ψυχο-φθορος : qui détruit l’âme ou la vie.
(7) Depuis cet été, au moins une demi-douzaine de rapports et de missions, tous confiés à des médecins, alimente les décrets que Mattéi envisage de prendre.
(8) LYON-CAEN, G. in Ethique en psychologie et déontologie des psychologues, page 97, Bulletin de psychologie, tome 53 (1) / 445 /, janv.-févr. 2000.
(9) Les psychologues n’ont effectivement pas vocation à devenir des professionnels de santé.
(10) Qu’elle soit Fonction publique hospitalière, Fonction publique territoriale ou Protection judiciaire de la jeunesse.
Copyright Réseau national des psychologues