Jeudi 4 mars 2004, s’est tenu le Forum de Nancy, intitulé « Non aux logiques de la peur ».
SUR L’INSTITUTION DU CONTRÔLE PSYCHIQUE
L'Agence Lacanienne de Presse a donné deux textes rédigés à partir des interventions à ce, de Sylvaine Sidot (1) et de Norbert Hacquard (2), ainsi que le débat qui a suivi.
1 - Nouvelles stratégies de la « Gouvernance »
Nous avons vu au mois d’octobre, au nom de la sécurité du public, un député stigmatiser la présence de charlatans dans la pratique des psychothérapies. À partir de là, on s’est aperçu que ce n’était que la pointe d’un iceberg, et qu’il y avait derrière toute une politique, appuyée sur un nombre considérable de rapports.
Ce n’est pas un cas isolé, c’est l’application d’une nouvelle stratégie de « gouvernance ». Celle-ci consiste à prendre appui sur un droit des patients ou sur une demande des usagers, notamment celle des associations de parents. Ce droit et cette demande sont utilisés comme arguments d’autorité pour justifier la mise en route de rapports d’expertise sur une question précise (cf. le rapport de l’Inserm). Ce dispositif au coup par coup est fait pour masquer ce dont il s’agit en fait : une politique de grande ampleur, qui étend ses ramifications dans différentes institutions, notamment entre le ministère de la Santé et celui de l’Éducation nationale, qui s’insinue partout, faisant disparaître les frontières public/privé.
Autre stratégie : mettre le minimum dans les textes de loi ; s’en remettre pour l’essentiel aux décrets d’application ; là, faire jouer les rapports d’experts.
Voici donc comment procède aujourd’hui la « Gouvernance ». Elle met en avant la nécessité de répondre au souci de sécurité et de garantie des citoyens par la loi, et par ce biais elle introduit de « pratiques de bonne conduite » soumises à accréditation par une généralisation de l’évaluation. Concernant le champ psy, on peut prévoir les conséquences suivantes :
1 - la liberté de choix des citoyens quant à leur psychothérapeute sera réduite ;
2 - les praticiens se verront contraints de ne proposer que des pratiques thérapeutiques évaluables et reconnues par les experts. N’étant pas évaluable selon ces procédures, la psychanalyse est la première visée.
Cette politique de santé publique est soutenue par l’Académie de médecine et un certain nombre d’universitaires qui comptent regagner ainsi le pouvoir qu’ils avaient perdu dans le champ de la psychiatrie. Elle est mise en ºuvre depuis plusieurs années déjà par les conseillers techniques du ministère de la Santé.
2 - Le « parler creux » et l’imposition d’une langue bureaucratique
Les mises aux pas s’exercent par la transformation des usages de la langue.
Avec le rapport Inserm, il s’est agi de changer la signification du mot « psychothérapie » afin de l’introduire dans le champ de la santé publique. La conséquence directe sera de rendre illégale toute « pratique psy » ne se présentant pas sous des modalités évaluables selon les critères utilisés par le rapport de l’Inserm.
La réduction de la santé mentale à la santé publique provoque la disparition de la particularité du psychisme comme irréductible à l’organisme. Elle permet de produire à la place de la définition relationnelle de la psychothérapie, « espace de liberté de paroles dans un cadre sécurisant permettant la confiance en un professionnel qui tiendra le coup quelle que soit la parole prononcée », une technique de réadaptation proposant « des bonnes conduites ».
Après avoir rayé l’ancrage historique et sémantique auquel se référait la majorité des psychothérapeutes, l’inscription d’une nouvelle signification devient possible dans le code de la santé publique. Le préfixe « psy » tombe, la thérapie s’adresse maintenant à des malades. On comprend ainsi la justesse de la position de J.-A. Miller proposant de faire vivre ce champ « psy ».
On ne parlera plus de folie, ni de psychiatrie, mais de troubles mentaux et de souffrance mentale. Un énurétique devient un malade mental. Tous les « mal-êtres » des vivants-parlants deviennent des troubles, et peuvent donc être soignés par des TCC (techniques cognitivo-comportementales), avec un certain nombre de séances. Il n’y aura plus d’hôpitaux psychiatriques, mais des réseaux d’établissements qui vont mutualiser leurs moyens.
Ces réseaux sont prévus dans le plan « Hôpital 2007 », qui prévoit déjà des services pour les adolescents « suicidants », obèses, anorexiques… Cette organisation en réseau provoque sans bruit la disparition des frontières entre la fonction publique et l’entreprise privée, chacune devant se réorganiser par rapport au financement par l’activité.
Les psychiatres organisateurs auront sous leurs ordres un panel de professionnels qui deviendront ainsi des paramédicaux. Les psychologues également. Ils devront avoir un diplôme d’État, diplôme qui pourrait bien être celui d’une formation aux TTC proposée dans les Facultés de médecine. Ce diplôme les autorise, s’ils satisfont à la préparation, à s’inscrire sur une liste d’aptitude. Les psychologues deviendraient ainsi l’armée de réserve de la psychiatrie.
Si un patient ne veut pas suivre ces techniques, le rapport Pier-Roland prévoit de l’y contraindre.
Ainsi s’établit un contrôle psychique indirect généralisé sur tous les citoyens par la menace, la peur et la sanction, ainsi qu’un contrôle des métiers par réduction de l’espace de liberté de leur usage.
3 - Débat
Un débat a suivi, qui a permis d’éclairer certains raccourcis pour éviter d’opposer certains « psys » à d’autres.
« Nous sommes tous en danger », remarque une psychiatre. Il y a urgence à faire le point sur comment chacun est rattrapé dans sa pratique professionnelle par l’excès de légifération et par la standardisation.
Une autre énonce : « Quand on veut éliminer l’hétérogène, c’est, socialement le début de toutes les exclusions ; psychiquement, c’est organiser la mort, l’éviction de ce qui dérange : le désir. »
« C’est l’exercice libre qui est en danger », souligne une troisième.
Les marges de manoeuvre diminuent, voire disparaissent. Ce qui est apparent pour les métiers de la santé, le devient également dans le cadre éducatif et dans la fonction enseignante.
Il en va de même à l’ANPE, comme certains ont pu en témoigner. Dans les bilans de compétence, on nie la personne et « son souci » au profit des informations qu’on lui extorque. Les procédures utilisées (questionnaires…) rendent nul l’intime du désarroi, et transforment en informations fixées des énonciations qui n’auraient à être qu’éphémères.
Dans l’enseignement primaire, secondaire, agricole, le recours aux pratiques artistiques n’est pas renouvelé, parce que non rentable par rapport aux études. Une enseignante en art plastique a fait part de son émoi : « S’il y a suppression de ces projets, les écarts scolaires vont encore se creuser, car pour certains élèves, faire autre chose que du scolaire, ça les sauvait, si ça n’est plus possible, la violence peut augmenter. »
Lecture a été faite de l’article 11 du projet de loi de prévention de la délinquance, qui prévoit que « chacun des professionnels intervenant au bénéfice de personne présentant des difficultés sociales, éducatives ou matérielles, devra avertir le maire, responsable en titre de la collectivité, et communiquer tous renseignements et documents nécessaires à l’accomplissement de leur mission ». C'est explicitement un appel à la délation.