(Texte à paraître en Tribune libre dans “Psychologues et psychologies”
n° 171, Nov 2003)
L’Académie de Médecine, très respectable assemblée, a adopté le 1er
Juillet un rapport sur la pratique de la psychothérapie qui ne devrait pas passer inaperçu. J’en dois la découverte au webmestre du SNP, S. B., qui nous en a signalé l’existence dès le 8 septembre.
Ce court texte de 10 pages est très remarquable par la logique colonisatrice, astucieuse bien que grossière, qui l’habite. Il traite en fait essentiellement de la formation à la pratique de la psychothérapie.
C’est un sujet embarrassant, car chacun sait que les formations universitaires (en psychologie ou en psychiatrie) ne peuvent pas prétendre y former de manière suffisante, et d’ailleurs le débat fait rage: les propositions de loi sur le sujet, actuellement caduques, et les projets universitaires qui se multiplient, le montrent bien. Voici donc la méthode pronée par les rapporteurs (les professeurs Pichot et Allilaire) pour résoudre la difficulté:
1°) Avant tout, annexer le champ en affirmant que la psychothérapie est
consubstantielle à la psychiatrie: “tout acte psychiatrique s’inscrit nécessairement dans une démarche psychothérapique”. Préalablement, on aura pris soin de verrouiller le champ en question en posant que psychothérapie = soin, et que soin = médecine: la psychothérapie est un geste de technique médicale parmi d’autres. Conquérir le territoire avant de parlementer a l’intérêt de placer dans une position nettement
avantageuse; de là on peut voir venir.
2°) Comme la manœuvre risque d’être perçue comme abusive, il convient de favoriser la discussion en établissant des degrés, des différenciations,
mais sans jamais lâcher la main. On va dire, par exemple, qu’il existe plusieurs “niveaux” en psychothérapie. Le premier niveau sera celui du concierge: “psychothérapie du profane, fondée sur le bon sens et réalisée dans le milieu naturel en utilisant les aptitudes psychologiques spontanées présentes chez toute personne humaine”. Le deuxième niveau sera quand même plus honorable car c’est celui de la psychologie médicale qui enseigne des “attitudes psychothérapiques” à tout médecin au cours de sa formation. Enfin, le troisième sera le niveau noble, celui des psychothérapies proprement dites ou “codifiées”.
3°) A partir de là, on peut procéder à l’opération de justification: les psychiatres (mais aussi certains médecins qui se prétendent psychothérapeutes) sont “formés de façon variable au cours de leur cursus aux interventions de niveau 1 et de niveau 2” (je suis sûr que mon concierge sera surpris d’apprendre qu’il pourrait obtenir l’équivalence d’un module de médecine). Quant au degré noble, le troisième niveau, il faut bien reconnaître que tous les psychiatres ne peuvent y prétendre. Ce niveau est même partagé par d’autres professionnels ? notamment des psychologues ?, sauf que ces derniers présentent le défaut… de ne pas être médecins.
4°) La conclusion s’imposera alors d’elle-même: bien sûr, on chassera du
territoire les psychothérapeutes de tout poil sans diplôme, mais on se montrera magnanime avec les psychologues dûment formés en leur donnant le statut de colonisé. Le médecin posera le diagnostic, choisira le traitement et l’évaluera. Dûment encadré, le psychologue pourra alors
procéder à l’exécution. Mais comme ces sauvages ne connaissaient pas de loi avant l’arrivée des colons bienfaiteurs, on va leur en donner une: ils seront soumis aux “règles déontologiques applicables à l’exercice de la médecine”.
Qui donc disait que la psychothérapie était une pratique de désaliénation?
Jean-Louis QUEHEILLARD
n° 171, Nov 2003)
L’Académie de Médecine, très respectable assemblée, a adopté le 1er
Juillet un rapport sur la pratique de la psychothérapie qui ne devrait pas passer inaperçu. J’en dois la découverte au webmestre du SNP, S. B., qui nous en a signalé l’existence dès le 8 septembre.
Ce court texte de 10 pages est très remarquable par la logique colonisatrice, astucieuse bien que grossière, qui l’habite. Il traite en fait essentiellement de la formation à la pratique de la psychothérapie.
C’est un sujet embarrassant, car chacun sait que les formations universitaires (en psychologie ou en psychiatrie) ne peuvent pas prétendre y former de manière suffisante, et d’ailleurs le débat fait rage: les propositions de loi sur le sujet, actuellement caduques, et les projets universitaires qui se multiplient, le montrent bien. Voici donc la méthode pronée par les rapporteurs (les professeurs Pichot et Allilaire) pour résoudre la difficulté:
1°) Avant tout, annexer le champ en affirmant que la psychothérapie est
consubstantielle à la psychiatrie: “tout acte psychiatrique s’inscrit nécessairement dans une démarche psychothérapique”. Préalablement, on aura pris soin de verrouiller le champ en question en posant que psychothérapie = soin, et que soin = médecine: la psychothérapie est un geste de technique médicale parmi d’autres. Conquérir le territoire avant de parlementer a l’intérêt de placer dans une position nettement
avantageuse; de là on peut voir venir.
2°) Comme la manœuvre risque d’être perçue comme abusive, il convient de favoriser la discussion en établissant des degrés, des différenciations,
mais sans jamais lâcher la main. On va dire, par exemple, qu’il existe plusieurs “niveaux” en psychothérapie. Le premier niveau sera celui du concierge: “psychothérapie du profane, fondée sur le bon sens et réalisée dans le milieu naturel en utilisant les aptitudes psychologiques spontanées présentes chez toute personne humaine”. Le deuxième niveau sera quand même plus honorable car c’est celui de la psychologie médicale qui enseigne des “attitudes psychothérapiques” à tout médecin au cours de sa formation. Enfin, le troisième sera le niveau noble, celui des psychothérapies proprement dites ou “codifiées”.
3°) A partir de là, on peut procéder à l’opération de justification: les psychiatres (mais aussi certains médecins qui se prétendent psychothérapeutes) sont “formés de façon variable au cours de leur cursus aux interventions de niveau 1 et de niveau 2” (je suis sûr que mon concierge sera surpris d’apprendre qu’il pourrait obtenir l’équivalence d’un module de médecine). Quant au degré noble, le troisième niveau, il faut bien reconnaître que tous les psychiatres ne peuvent y prétendre. Ce niveau est même partagé par d’autres professionnels ? notamment des psychologues ?, sauf que ces derniers présentent le défaut… de ne pas être médecins.
4°) La conclusion s’imposera alors d’elle-même: bien sûr, on chassera du
territoire les psychothérapeutes de tout poil sans diplôme, mais on se montrera magnanime avec les psychologues dûment formés en leur donnant le statut de colonisé. Le médecin posera le diagnostic, choisira le traitement et l’évaluera. Dûment encadré, le psychologue pourra alors
procéder à l’exécution. Mais comme ces sauvages ne connaissaient pas de loi avant l’arrivée des colons bienfaiteurs, on va leur en donner une: ils seront soumis aux “règles déontologiques applicables à l’exercice de la médecine”.
Qui donc disait que la psychothérapie était une pratique de désaliénation?
Jean-Louis QUEHEILLARD